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D-9 - MISE EN PLACE DES «TÂCHES COMPLEXES » ET ÉVALUATION DES COMPÉTENCES

1- Qu’est-ce qu’une tâche complexe ?

La tâche « complexe » est une activité qui nécessite l’intégration d’un ensemble de tâches simples pour résoudre un problème (souvent puisé de la vie réelle), dans un contexte donné. Elle implique une intra-disciplinarité (mobilisation de liens entre les différents concepts d’une même discipline) et parfois une interdisciplinarité (mobilisation des liens entre les concepts appartenant à des disciplines différentes). Elle ne s’inscrit pas dans une logique juxtapositive et linéaire, d’où le lien entre le concept de « compétence » et celui de « tâche complexe ». C’est le lieu où s’expriment les compétences mobilisées en termes de savoir, de savoir-faire, de savoir être, de savoir-participer et de savoir créer. Selon le socle des compétences défini par le ministère de l’Education nationale[1] et de la Jeunesse, en France : « La tâche complexe est une tâche mobilisant des ressources internes (culture, capacités, connaissances, attitudes, vécu...) et externes (aides méthodologiques, protocoles, fiches techniques, ressources documentaires ou autres...) ». « Complexe » n’est pas synonyme de « compliqué ». Une pensée « complexe » est fondée sur la liaison, sur l’implication mutuelle et l’inséparabilité des éléments d’un système. Morin (1999) se réfère au sens latin élémentaire du mot «complexus», «ce qui est tissé ensemble», pour résoudre une problématique. Le vrai problème affirme-t-il, serait de passer de l’habitude de séparer, de morceler et de sur-spécialiser, de mobiliser des liens directs de causes à effets, à la capacité de relier, de connecter et de concevoir des émergences plus significatives que la somme des parties prises isolément, de manière additive et linéaire. Il s’agit de proposer, dans une situation nouvelle et concrète :

  • Une consigne à la fois globale et précise (ce qu’il y a à produire sans indiquer comment s’y prendre)
  • Des ressources externes (internet, documents, observations microscopiques, données du « terrain », etc…)
  • Des aides évolutives et progressives (étayages) pour ceux qui n’y parviennent pas « du premier coup » (aides cognitives, procédurales, méthodologiques, paliers, etc.)

L’enseignement par « tâches complexes » s’inscrit dans une perspective constructiviste de l’apprentissage: le développement des compétences à travers la résolution des tâches complexes, en tant que processus, est conçu comme un cheminement individuel. Cette approche substitue la notion de « ressources » à celle de « connaissances », trop restreinte. Ces ressources peuvent être internes et concerner divers domaines (cognitif, affectif, attitudes, sensorimoteur, habiletés), différents types (connaissances déclaratives et connaissances d’action) et différentes origines (savoirs codifiés et savoirs d’expérience). Mais il peut s’agir également de ressources externes (collègues dont on sollicite l’avis ou l’expertise, bases de données scientifiques et livres de référence, nouvelles technologies de l’information et logiciels, etc.).

2- Pourquoi enseigner par tâches complexes ?

Dans la vie réelle, en dehors des limites des classes et des campus universitaires, la vie est faite de « situations complexes ». Leur résolution ne se réduit pas à les découper en une somme de tâches simples effectuées les unes après les autres sans liens apparents. La résolution des tâches complexes nécessite la mobilisation d’un ensemble de compétences que la formation universitaire est supposée développer chez les étudiants. L’enseignement ou la formation par « tâches complexes » permet de développer les compétences du XXIème siècle ciblant les dimensions cognitives (Culture digitale, Créativité/Innovation, Curiosité, Esprit critique, Problem solving et Meta-cognition), les dimensions instrumentales (Coopération, Négociation et Prise de décision), les dimensions individuelles (Auto-Protection, Gestion de soi, Résilience, Communication, Flexibilité, Adaptabilité et Développement personnel) et les dimensions sociales (Inter-culturalité, Citoyenneté, Respect de la diversité, Empathie, Engagement social, Équité, Droits humain, Valeurs et Justice sociale).

Dans la formation par « tâches complexes », chaque étudiant déploie sa propre méthodologie et invente sa propre démarche de résolution de problèmes, ce qui laisse une marge de créativité et d’innovation ouverte. Il s’agit de former les étudiants à gérer des situations nouvelles en mobilisant des connaissances, des capacités et des attitudes, c’est-à-dire à exprimer de véritables compétences dans des situations complexes, en tenant compte des différences entre individus.

Selon Gérard, F. (2010), Si l’approche par les compétences vise à rendre les étudiants capables de mobiliser leurs savoirs et savoir-faire pour résoudre des situations-problèmes (Le Boterf, 1994 ; Rey, 1996 ; Perrenoud, 1997 ; De Ketele, 2000 ; Roegiers, 2000 ; Legendre, 2001 ; Jonnaert, 2002), les outils d’évaluation des acquis des étudiants ne peuvent plus se limiter à prélever un échantillon de contenus et/ou d’objectifs opérationnels, mais ils se basent sur des situations complexes, appartenant à la famille de situations définie par la compétence, qui nécessiteront de la part de l’étudiant une production elle-même complexe pour résoudre la situation (Beckers, 2002 ; Roegiers, 2004 ; Rey, Carette, Defrance & Kahn, 2003 ; Scallon, 2004 ; De Ketele & Gerard, 2005 ; Gerard – BIEF, 2008 ; Tardif, 2006).

3- Comment mettre en place une tâche complexe ?

En classe :

Étape 1 : Identifier la situation et le problème à résoudre

L’enseignant propose la situation complexe à résoudre. Il identifie les « résultats d’apprentissage attendus » et les compétences visées. Il précise les ressources (internes et externes) permettant d’accéder à des éléments de réponse, répartit les étudiants en équipes de travail, à raison de 5 ou 6 étudiants par groupe Les étudiants identifient le problème à résoudre et se répartissent les tâches. Chaque équipe précise ses objectifs opérationnels et sa démarche, en fonction de ses centres d’intérêt. L’enseignant valide.

En dehors de la classe :

Étape 2 : Analyser les ressources

Les membres de l’équipe, chez eux, exploitent les ressources proposées par l’enseignant et en cherchent d’autres. Ils essaient de construire des liens disciplinaires ou interdisciplinaires pour trouver des éléments de résolution de problèmes (possibilité de procéder à des entretiens avec des spécialistes, de réaliser des expériences, de faire une recherche en ligne ou à la bibliothèque). Ils proposent de nouvelles questions.

Retour en classe :

Étape 3 : Mise en commun et synthèse

Les étudiants reviennent en classe, mettent en commun les résultats de leur recherche et élaborent une présentation montrant les éléments de résolution du problème : poster, présentation Power Point, etc. L’enseignant fait une synthèse globale et répond aux nouvelles questions posées.

4- Comment évaluer une tâche complexe ?

L’évaluation de « tâches complexes » interroge la problématique de l’évaluation des compétences en général.

Ce que l’évaluation des compétences n’est pas :

C’est le contraire de l’évaluation par objectifs qui s’inscrit dans une perspective docimologique, c’est-à-dire celle qui privilégie la mesure, dans des conditions standardisées, comme méthode pour recueillir avec rigueur des informations sur les apprentissages développés par les étudiants – évaluation pointilliste (Salganik, L.&al. 1998). Cette démarche privilégie le produit au détriment du processus. Le postulat de la « décomposabilité » correspond à l’idée que toute compétence est décomposable en composantes élémentaires et que la somme des évaluations isolées de chacune de ces composantes fournit un indicateur pertinent de la compétence, indépendamment des interactions entre chacune des composantes (le tout est assumé comme étant strictement égal à la somme des parties). Le postulat de l’évaluation décontextualisée admet la fixité de chaque composante d’une compétence, en admettant qu’elle peut se manifester indépendamment du contexte dans lequel elle prend place. C’est à l’étudiant qu’incombe la responsabilité de faire l’intégration et le transfert des savoirs acquis dans les différents contextes où ces derniers seront sollicités.

Ce que l’évaluation des compétences est :

Évaluer les tâches complexes revient à évaluer les trois familles de compétences :

  1. Compétences cognitives (traiter l’information, raisonner, nommer ce que l’on fait, apprendre, analyser, développer une pensée créative/critique)
  2. Compétences techniques/procédurales (procéder, opérer, réaliser, appliquer une méthode)
  3. Compétences relationnelles (savoir résoudre des problèmes, savoir communiquer efficacement, être habile dans les relations interpersonnelles, savoir gérer ses émotions)

Le caractère contextuel d’une compétence rend largement incohérent le fait de créer des tâches artificielles à des fins purement évaluatives et conforte au contraire l’idée que le contenu des situations d’évaluation doit correspondre à des thématiques et des problématiques de la « vraie vie ». L’une des synthèses les plus fécondes de ces différents principes est représentée par le courant de l’évaluation authentique. Cette approche proposée par (Wiggins & Tighe, 2006) consiste à évaluer l’étudiant en simulant des situations réelles de la vie professionnelle. Les compétences mobilisées par l’étudiant dans ces situations dites « authentiques » feront l’objet d’une évaluation critériée et globale en même temps : quantitative par critère et indicateur et qualitative pour un regard plus global. On ne pourra plus se contenter d’évaluer les connaissances à mobiliser (savoirs et savoir-faire de base). L’évaluation des résultats d’apprentissage implique de proposer à l’étudiant des « tâches complexes » ou des « situations-problèmes à résoudre » dans lesquelles les ressources seront mobilisées.

Les connaissances et les compétences feront ainsi l’objet de deux types d’évaluation distincts et complémentaires :

  • L’évaluation des connaissances acquises à partir des ressources s’effectuera à travers des épreuves d’évaluation relativement classiques, portant sur des objectifs particuliers, tout au long des apprentissages ponctuels. La manière de corriger ces épreuves consistera à déterminer si l’étudiant maîtrise les connaissances : Évaluation ponctuelle et pointilliste du savoir.
  • L’évaluation des compétences se réalisera en proposant aux étudiants des situations complexes à résoudre seuls. Ces situations permettront de mobiliser les ressources apprises pour résoudre le problème contextualisé. L’étudiant devra identifier, dans tout ce qu’il a appris, les ressources dont il a besoin, les organiser entre elles pour résoudre la situation. Evidemment, dans ce type d’évaluation, les connaissances sont également évaluées mais de manière indirecte et contextualisée, puisque que la compétence ne tourne pas le dos aux connaissances. Une compétence n’est jamais indépendante des connaissances sous-jacentes à sa mobilisation (De Ketele, 2001). En évaluant les compétences, on sera également en train de mobiliser les connaissances investies dans la résolution du problème. Nous évaluons ainsi le processus, la production, les savoirs et les compétences investies. Il s’agit d’une Évaluation holiste de l’intégration des liens construits et mobilisés.
Exemple d’une grille d’évaluation d’une tâche complexe :

Évaluation globale de l’équipe

  • Production finale (maquette, séquence filmique, etc.)
  • Power Point final de présentation
  • Rapport ou dossier scientifique

Évaluation individuelle (Implication de chacun des membres de l’équipe)

  • Portfolio individuel
  • Carnet individuel du parcours personnel dans le cadre du projet
  • Implication personnelle dans le travail de groupe
  • Fiche d’auto-évaluation
Exemple d’une grille d’évaluation d’une compétence :
Compétence Critères d’évaluation
Avoir un esprit critique
  • S’interroger avec exigence et rationalité sur la réalité ou la probabilité de faits
  • Analyser et interpréter un événement
  • Établir une relation de causalité fondée
  • Établir des liens pour conclure
  • Remettre en question et douter de manière méthodique
  • Discerner et évaluer un fait
  • Classer par ordre de priorité

5- Quelles précautions prendre ?

Le risque dans l’évaluation des compétences est double :

  • Penser que le découpage de la compétence en mini-tâches pour identifier les critères et les indicateurs mesurables et leur addition permet d’évaluer la compétence dans sa globalité et dans sa complexité.
  • Penser que l’évaluation de la compétence ne permet pas d’évaluer les connaissances acquises

6- Conclusion

Pour dépasser les deux dérives décrites dans les « précautions à prendre », l’évaluation des compétences devraient tenir compte des connaissances acquises et de leur mobilisation dans la résolution d’un problème complexe, de préférence interdisciplinaire, et puisé de la vie réelle. Dans ce type d’évaluation où l’on expose l’étudiant à une évaluation « authentique», la transparence dans les modalités d’évaluation et le feed-back (analyse des erreurs, du parcours, du dispositif de résolution de problème et du processus) sont deux conditions fondamentales à la réussite de cette approche. Un retour analytique sur les résultats (en cours d’exécution et à la fin de la tâche) est nécessaire. D’où l’importance de l’implication des étudiants dans la mise en place du système d’évaluation : idée innovante qui responsabilise l’étudiant et l’implique dans le processus d’évaluation. L’étudiant devient acteur actif dans sa propre évaluation (auteur de son auto-évaluation).

7- Pour en savoir plus

  • Astolfi, J. P. (1997). L’Erreur, un outil pour enseigner. Paris: ESF éditeur.
  • De Ketele, J.-M. (2001). Place de la notion de compétence dans l’évaluation des apprentissages, in FIGARI, G., ACHOUCHE, M. (Éds). L’activité évaluative réinterrogée. Regards scolaires et socioprofessionnels. Bruxelles : De Boeck Université, pp. 39-43.
  • Deaudelin, C., Desjardins, J., Dezutter, O., Thomas, L., Morin, M.-P., Lebrun, J., & Lenoir, Y. (2007). Pratiques évaluatives et aide à l’apprentissage des étudiants: l’importance des processus de régulation. Faculté d’éducation. Université de Sherbrooke.
  • El Hage, F. (2010). Évaluation formative & Analyse de l’erreur, Pour un enseignement actif et différencié. Liban
  • El Hage, F., & Favre, D. (2010). «Intégration du paradigme de la complexité et de l’apprentissage par résolution de problèmes dans la construction des liens entre les connaissances en physiologie : nouvelle perspective dans la formation des enseignants», Actes du Colloque international francophone « Complexité 2010 », Lille.
  • Favre, D. (2004). Pour décontaminer l’erreur de la faute dans les apprentissages, Psychologie de la motivation, Cercle d’études Paul Diel, 36 :100-125.
  • Gérard, F. (2010). Chapitre 15. L’Évaluation des compétences à travers des situations complexes. Dans : Gilles Baillat éd., La Formation des enseignants en Europe: Approche comparative (pp. 231-241). Louvain-la-Neuve, Belgique: De Boeck Supérieur.
  • Morin, E. (1999). La Tête bien faite, Éditions du Seuil, Collection « L’histoire immédiate ».
  • Salganik, L. H., Rychen, D. S., Moser, U. & Konstant, J. W. (1998). Projects on Competencies in the OECD Context : Analysis of Theoretical and Conceptual Foundations. Berne : OECD/OCDE, DeSeCo.
  • Scallon, G.(2004). L’Évaluation des apprentissages dans une approche par compétences. Canada. De Boeck.
  • Wiggins, G. P., & McTighe, J. (2006). Examining the teaching life. Educational Leadership, 63, 26-29.

1- https://eduscol.education.fr/cid103803/evaluer-la-maitrise-du-socle-commun-du-cycle-2-au-cycle-4.html

Fadi EL HAGE
2020