B-19 - CONCEVOIR DES SÉANCES D’ENSEIGNEMENT BASÉES SUR L’APPRENTISSAGE PAR PROBLÈMES
1- Qu’est-ce que l’apprentissage par problèmes (APP) ou problem based learning (PBL) ?
L’apprentissage par problèmes est une approche pédagogique basée sur le processus de résolution d’un problème complexe construit autour d’une situation concrète.
Cette approche socioconstructiviste favorise une réflexion en profondeur où les participants travaillent ensemble à fixer des objectifs, planifier, chercher des informations afin de résoudre un problème réel ou réaliste. L’interaction active et l’intelligence collective de différents acteurs (étudiants, enseignants, personnes ressources, etc.) favorisent le développement des compétences de résolution de problèmes ainsi que l’acquisition de contenus.
2- Pourquoi l’apprentissage par problèmes ?
Dans l’environnement pédagogique « traditionnel » (figure 1), le professeur enseigne un savoir en le transmettant à un apprenant généralement passif. L’approche est souvent disciplinaire et l’accent est mis sur la bonne réponse qui est fournie (Houssaye, 1979).
Dans les situations d’apprentissage basées sur la résolution des problèmes complexes (figure 2), les étudiants doivent problématiser, chercher et synthétiser des informations puis les intégrer afin de résoudre le problème.
Ces situations fournissent une occasion de développement des compétences du XXIe siècle comme la pensée critique, la créativité, la coopération, la communication (les compétences cognitives ou learning skills), la recherche, le traitement de l’information, l’évaluation des sources (les compétences littéraires ou Litteracy skills), ainsi que les attitudes et les compétences de vie (Life skills) telles que la flexibilité, l’initiative, la sociabilité, la productivité, etc.
Figure 1. Triangle didactique dans un environnement «traditionnel» (Houssaye, 1979) |
Figure 2. Triangle didactique dans un environnement de pédagogie de projet |
Le statut de l’enseignant est transformé, c’est un « designer » qui conçoit des situations posant un défi adapté au niveau des apprenants. Il n’est plus la source ultime du savoir, mais plutôt un tuteur qui guide les étudiants dans la construction de connaissances nouvelles. L’accent est mis sur la capacité de générer des questions et d’apprendre de ses erreurs dans une approche multidisciplinaire. L’enseignant coach les étudiants et facilite le processus d’apprentissage, c’est un tuteur qui apprend également.
3- Quels sont les principes de base de l’apprentissage par problèmes ? (APP)
L’apprentissage par problèmes repose sur quatre principes pédagogiques résumés par l’acronyme TROC (Barrows & Tamblyn, 1980).
Figure 3 – Les quatre principes pédagogiques à la base de l’apprentissage par problèmes
(Barrows & Tamblyn, 1980)
T : pour traitement actif de l’information
L’étudiant participe activement au processus d’apprentissage. Il se base sur ses connaissances antérieures, les organise et les analyse afin de définir des objectifs de recherche et d’apprentissage. Les informations nouvellement acquises sont ainsi mieux greffées et mémorisées.
R : pour réactivation des connaissances antérieures
Le processus part de la compréhension et de l’analyse du problème qui nécessite un investissement des pré-acquis et des connaissances antérieures afin de greffer les nouvelles informations et de trouver une solution au problème. Cette méthode demande donc de l’étudiant de réactiver ce qu’il connaît déjà sur le sujet.
O : pour organisation des connaissances
Le processus d’apprentissage par problèmes exige de l’étudiant une structuration des connaissances acquises dans un cadre qui permet un accès facile aux informations.Le mécanisme de « sauvegarde » doit être bien organisé afin de permettre une récupération aisée des connaissances et d’éviter le gaspillage de temps dans des informations qui n’ont pas de sens.
Dans ce cadre, la construction des cartes conceptuelles, des diagrammes ou et des « mind maps » facilite énormément la structuration des connaissances.
C : pour contextualisation des connaissances
L’APP part d’un problème concret et contextualisé qui peut être rencontré dans la vie personnelle ou professionnelle. Cette contextualisation donne du sens aux informations acquises. Quand on donne plus de sens à l’apprentissage, les connaissances sont mieux ancrées et transférées plus facilement dans des situations semblables.
4- Comment rédiger l’énoncé d’un problème complexe ?
Par opposition à un « exercice » qui vise un objectif particulier où l’étudiant applique des règles et des principes, ou à la « présentation de cas » qui fournit les informations à l’étudiant qui n’a pas besoin de les chercher lui-même, le problème complexe soumet à l’étudiant une situation complexe et réelle qui nécessite l’investissement de plusieurs concepts (savoirs), savoirs faire et savoir être pour être résolue.
Un problème n’est pas complexe en soi, mais par rapport à la personne qui l’affronte. Il est donc indispensable de partir des conceptions et du niveau des étudiants afin d’imaginer une situation qui peut être identifiée comme telle. Le traitement et l’analyse du problème nécessiteront d’appréhender ses différents aspects (scientifique, psychologique, éthique, social, etc.) et d’investir plusieurs démarches pour le résoudre.
De nombreux auteurs ont travaillé sur les caractéristiques d’un problème complexe. Nous en exposons certaines dans le tableau ci-dessous (Jonnaert & Vander Borght, 1999) ainsi que les critères de construction d’énoncés de problèmes en apprentissage par problèmes (APP) (Morissette, 2002).
Tableau 1 – Guide de construction d’énoncés de problèmes APP
Caractéristiques d’un problème complexe | Critère de construction d’énoncés de problème complexe en APP | |
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Sens | La situation proposée doit avoir du sens pour l’apprenant. Elle doit être pertinente sur les plans personnel, social ou professionnel. Les connaissances préalables constituent un point d’ancrage afin de problématiser et de définir des objectifs de recherche et d’apprentissage. Cela responsabilise l’étudiant en lui permettant de faire des choix. |
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But | Suite à l’analyse du problème, l’étudiant sera capable de définir les critères qui lui permettent de savoir si le problème est résolu ou non. Les consignes doivent être claires et précises pour permettre à l’étudiant de concevoir la démarche à suivre. |
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Situation riche | Une situation riche sur le plan cognitif qui présente un défi et se base sur un obstacle identifié à partir des conceptions des étudiants. L’apprenant ne peut résoudre la situation que s’il franchit l’obstacle. |
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Situation ouverte - Situation complexe | Une situation ouverte dont la solution n’est pas directement disponible. La solution nécessite diverses stratégies qu’il faudra comparer pour en dégager la plus pertinente. |
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Traitement | La résolution du problème se base sur des tâches d’une relative complexité nécessitant la mise en oeuvre de plusieurs compétences. À ce niveau, la résolution des problèmes peut se réaliser dans une approche interdisciplinaire. |
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Transfert | Des cadres différents favorisant le transfert : la situation doit permettre à l’étudiant de réinvestir ses connaissances, de tisser des liens avec d’autres situations dans lesquelles il pourra utiliser ses connaissances. Ce transfert est facilité par les approches métacognitives. |
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5- Comment mettre en oeuvre un enseignement basé sur l’apprentissage par problèmes ?
La mise en oeuvre d’un enseignement basé sur l’apprentissage par problèmes nécessite la mise en place des séances d’aller-retour, intercalées par des moments de travail et de recherche personnels qui mènent à la résolution du problème.
Figure 4- Cycle de l’apprentissage par problèmes
Le cycle des séances d’enseignement en APP peut être organisé en quatre phases.
La première phase est une phase de formulation du problème, d’identification des obstacles et de planification du travail. Elle est suivie par une phase d’exploration qui alterne des moments de recherche personnelle suivis de moments de travail en équipe pour confronter les apports en vue d’aboutir progressivement à la résolution du problème, qui constitue la troisième phase, avec la production finale et la solution du problème. La quatrième phase est un travail personnel d’assimilation, de structuration et d’exploitation des connaissances, favorisant leur transfert dans de nouvelles situations.
Le tableau suivant détaille les étapes de la mise en oeuvre de l’APP et les tâches des étudiants et des enseignants :
Étape 1 | Exploration du problème | Travail en équipes |
Identifier les termes et les concepts Rechercher les consensus Mener une brève recherche bibliographique |
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Étape 2 | Définition précise du « problème » | Déterminer et définir le problème à résoudre | |
Étape 3 | Analyse du problème et établissement de la liste des explications possibles | Identifier les informations significatives, les composantes, les axes (ex : causes, conséquences, liens, etc.) Formuler des hypothèses Proposer des solutions logiques |
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Étape 4 | Planification de la recherche | Formuler les objectifs de la recherche et de l’apprentissage Identifier les ressources Répartir les tâches |
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Rôle de l’enseignant :
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Étape 5 | Recherche et collecte des informations | Individuel (peut être réalisé en binôme) | Réaliser des recherches documentaires, des entretiens avec des experts, des observations, etc. Chaque étudiant apporte sa part selon les tâches établies dans l’étape précédente tout en portant un journal de bord montrant la progression de sa réflexion, etc. Réaliser des fiches synthèses, des cartes conceptuelles, des illustration, etc. afin de communiquer les informations collectées. |
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Étape 6 | Analyse et croisement des informations recherchées | En équipes | Évaluer les informations recueillies, les mettre en commun, les comparer et les synthétiser afin de répondre au problème. Les étudiants se lancent dans de nouvelles recherches, si nécessaire, et redéfinissent les objectifs et les tâches. |
Rôle de l’enseignant :
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Étape 7 | Analyse finale des apports des étudiants et production finale | En équipes | Confronter les apports et les informations récoltées, les structurer, se mettre d’accord sur une solution ou une action. Les étudiants déterminent les critères de choix et retiennent la solution la plus plausible. Ils réalisent une production finale permettant de formaliser les principes ou concepts transférables dans de nouvelles situations. |
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Étape 8 | Mise en commun globale et exposition des solutions des équipes | En grand groupe | Mettre en commun les solutions des différents groupes. Favoriser une réflexion métacognitive et faire ressortir les démarches entreprises afin d’assurer une transférabilité des connaissances et des compétences méthodologiques dans d’autres situations. |
Rôle de l’enseignant :
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Étape 9 | Assimilation personnelle des connaissances construites | Travail individuel | Travail individuel d’assimilation et de synthèse des informations recueillies, d’explicitation et d’identification des compétences développées. |
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Rôle de l’enseignant :
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6- Comment évaluer en apprentissage par problèmes ?
L’évaluation peut prendre différentes formes dans l’apprentissage par problèmes (APP), allant des questions directes mesurant le degré d’acquisition des informations à l’évaluation des performances des étudiants lors des différentes étapes du processus, jusqu’à l’évaluation du produit final.
L’évaluation peut se dérouler également à différents moments du processus.
Une évaluation diagnostique peut avoir lieu avant la formulation du problème afin d’identifier les conceptions des étudiants et d’adapter la conception de la complexité du problème à leur niveau.
Des évaluations formatives peuvent avoir lieu pendant le processus afin de favoriser un regard réflexif sur la démarche adoptée.
Une ou plusieurs évaluations sommatives permettent de mesurer le degré d’assimilation et la capacité de transférer des informations acquises dans de nouvelles situations.
Comme dans toute évaluation, celle de l’APP doit suivre les étapes suivantes :
- Préciser les objectifs de l’évaluation et les sujets / compétences à évaluer.
- Sélectionner des indicateurs des apprentissages et déterminer les critères d’évaluation.
- Préciser le contexte de réalisation des tâches servant à l’évaluation des apprentissages : avant, pendant ou à la fin du processus d’apprentissage.
- Construire le ou les instruments de collecte des données observables : des grilles d’évaluation avec des indicateurs précis, des tests, etc.
- Choisir les modalités de notation et les communiquer clairement.
- Évaluer, communiquer les résultats et fournir une rétroaction aux étudiants.
7- Pour en savoir plus
- Astolfi, J.P., Darot, E., Ginsburger-Vogel, Y. et Toussaint, J. (1997). Pratiques de formation en didactique des sciences, De Boek Université, Collection Pratiques Pédagogiques, Paris-Bruxelles.
- Barrows, H. & Tamblyn, R. (1980). Problem-based learning: An approach to medical education. New York: Springer Publishing Company.
- Baudrit, A. (2007). Le Tutorat : Richesses d’une méthode pédagogique. Louvain-la-Neuve, Belgique : De Boeck Supérieur.
- Baudrit, A. (2007). Relations d’aide entre élèves à l’école. Louvain-la-Neuve, Belgique: De Boeck Supérieur.
- Bronckart, J. & Gather Thurler, M. (2004). Transformer l’école. Louvain-la-Neuve, Belgique : De Boeck Supérieur.
- Duch, B., Groh S. & Deborah A. (2001). The power of problem-based learning: A practical « how to » for teaching undergraduate courses in any discipline. Stylus Pub.
- Filipenko, M. et Naslund, JO. (2016). Problem based learning in teacher education. Springer, New York.
- Houssaye, J. (1988). Le Triangle pédagogique. Paris: Peter Lang.
- Jonnaert P., Vander Borght C. (1999). Créer des conditions d’apprentissage. Un cadre de référence pour la formation didactique des enseignants. Bruxelles, De Boeck.
- Minder, M. (2007). Didactique fonctionnelle : Objectifs, stratégies, évaluation - Le cognitivisme opérant. Louvain-la-Neuve, Belgique : De Boeck Supérieur.
- Morisette, R. (2002). Accompagner la construction des savoirs. Montréal : Éditions Chenelière McGraw-Hi
- Rey, B. (1998). Les Compétences transversales. Paris, ESF éditeur.
- Pourtois, J., Desmet, H. (2012). L’Éducation postmoderne. Paris cedex 14, France : Presses Universitaires de France.
- Peeters, L. (2005). Méthodes pour enseigner et apprendre en groupe. Bruxelles, De Boek Université.
- Schmidt, H.G., J.I. Rotgans, and E.H.J. Yew, The process of problem-based learning: what works and why. Medical Education, 2011. 45(8): p. 792-806.
Taghrid DIAB SAAD
2020