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Les mêmes questions qui ont taraudé nos aïeux continuent à nous tarauder, inchangées. Les réponses demeurent incertaines, contestables et souvent réfutables. On finit par passer, les questions demeurent les mêmes et les réponses ne sont pas plus représentatives. Les jours s’en vont, et nos tourments ne se tiennent qu’à un fil, fébrile. Humains frêles et passagers, épiphénomènes de la vie, on poursuit inlassablement et frénétiquement le chemin à la recherche de réponses à des questions qui ont toujours obsédé le genre humain, ayant pour muse de notre pinceau le même objet. 

 

Je lis Camus pendant des jours tendres, Sartre d’autrefois, Dostœvski souvent, et je pense que le genre humain n’est pas si débridé, finalement. Nous sommes tous des protagonistes de leurs récits. Je me jette ainsi dans les larmes de mes anciens, dans les couleurs sanglantes qui animent leurs ouvrages, je valse dans leurs abîmes, je lis des auteurs et des philosophes grâce auxquels je me sens beaucoup moins seule, que ce soit dans ma conscience du monde, dans les moments hauts ou dans les moments un peu plus bas. Je lis et je découvre que je ne suis pas la seule à avoir des séquelles et des pensées obstruantes qui chancellent ; je ne suis pas la seule qui a tenté d’écrire tant de tragédies pour trouver un moyen d’expliquer ce monde, en annotant les passages les plus pertinents des classiques, en m’inspirant des chefs-d’œuvre de notre époque, mais aussi de ceux d’hier. 

 

Or, dans les déchirures de ces papiers, j’ai découvert que la philosophie atteste de notre similarité, nous, humains condamnés à faire face à une condition qui, loin d’être perspicace, sème en nous des doutes et des remises en question ; j’ai remarqué que la philosophie répond à des questions qui à notre égard allaient de soi et soulève des questions là où les certitudes inébranlées immisçaient leurs lumières incontestables à travers nos failles. 

 

Lire la philosophie est donc une fuite du réel, puisque sa lecture nous immisce dans un ensemble de nouvelles perspectives – face à notre embarras – qui passaient devant nous, inaperçues et intouchables. Or, en même temps, elle nous imprègne dans une réalité beaucoup plus profonde que celle que le monde nous offre à l’écorce. 

 

On se dit libre, on dit qu’on a construit morceaux pour morceaux les bouts de notre propre chemin et que personne ne peut nous la dicter, notre vie. 

On croit qu’on a en nous des connaissances et des certitudes irréfutables.

On pense avoir octroyé un sens inhérent à notre fade existence. 

On croit que notre vérité est incontestable, qu’elle incarne coûte que coûte La Vérité en soi. 

On croit qu’on a choisi notre place, notre métier, notre religion, sans aucune influence provenant de l’extérieur.

On croit que toutes nos actions se dégagent d’un travail conscient et réfléchi.

On croit qu’on connaît la nature du monde dans lequel nous nous trouvons imprégnés… 

Remettre en question ces réponses-là est un acte périlleux et quelque peu délicat.

 

Mais est-ce que la philosophie soulève-t-elle uniquement des questions ? Ne fournit-elle pas des réponses à nos questions, nous élucidant face à nos interrogations éminentes ?

 

Karl Jaspers n’avait pas tort en disant que « les questions en philosophie sont plus essentielles que les réponses ».  Mais il n’en est pas moins que cette même philosophie nous donne des réponses, ou bien, pour ne pas la trahir, des possibilités de réponses ou de choix multiples face à cette vie, où notre essence et existence demeurent assez méconnaissables à l’homme. 

 

Grâce à la philosophie, on n’est plus condamné à l’amnésie de la réalité.

On est amnistié de l’amnésie par le biais de notre connaissance…

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