Je crois beaucoup au rôle que peut jouer l’Université pour sauvegarder ce qu’il y a d’essentiel au Liban. Je suis persuadé que si le Liban perdait son identité culturelle, il cesserait d’exister. Ce qui fait le Liban, ce n’est pas une économie, ou une force militaire. Qu’est-ce qui le fait tenir ? C’est son identité culturelle, dont l’épanouissement n’est possible que dans un climat de liberté que l’on ne trouve pas souvent dans la région. Il faut dire aussi que le Liban, malgré la guerre, malgré tout ce qui s’y est passé, reste un pays attachant. En dépit des atrocités qui y ont été commises, il continue à offrir un humanisme que l’on ne trouve pas partout. Là aussi, il y un rôle à jouer. Ce rôle, il doit le jouer en trouvant des solutions à ses problèmes. Ces solutions, il peut les inventer ; il doit les inventer ; il rendra ainsi un service essentiel au monde.

Je suis très conscient, en rappelant aujourd’hui les conditions difficiles et complexes de la maîtrise d’une formation universitaire, de la situation concrète dans laquelle nous nous débattons, des pertes en hommes et en ressources que nous avons subies, des continuels déménagements auxquels nous sommes astreints, de l’usure du corps enseignant et du personnel de l’Université au terme de ces onze années de guerre ; mais je suis convaincu que c’est dans ces moments de difficultés qu’il importe de savoir où l’on veut aller et de tracer son chemin. S’il est vrai que c’est dans la nuit qu’il faut croire à la lumière, c’est aussi dans la nuit qu’il faut s’assurer du cap que l’on prend, afin que, dussions-nous faire peu de chemin, le lever du jour nous trouve dans la bonne direction.

Dans toutes nos communautés aujourd’hui, des voix s’élèvent pour réclamer la libération du Liban, le recouvrement de son indépendance, le plein exercice de sa souveraineté. Ces voix sont vouées à élargir leur audience, à secouer la pusillanimité des uns et à confondre les calculs d’intérêt des autres. Le débat national est ouvert, il est irréversible. Mais il ne porte pas seulement sur les moyens de renforcer la résistance contre la mainmise étrangère sur le Liban, il englobe aussi une réflexion critique intense sur l’avenir du pays. À cet égard, l’Université Saint-Joseph est un lieu privilégié pour accueillir et stimuler les discussions rigoureuses et honnêtes sur nos accords et nos désaccords et vue du consensus national. Avec les moyens dont elle dispose, l’Université Saint-Joseph se doit être au coeur du débat démocratique.

Aujourd’hui, après une longue guerre dont le pays ne s’est pas encore remis, l’Université est appelée à dispenser aux étudiants les éléments d’une culture politique rénovée, en prise sur une situation nationale en pleine mutation. Pour les porter à réfléchir sur les présupposés du pluralisme démocratique, les modalités de la citoyenneté différenciée et les principes des droits de l’homme, ainsi que sur leur mode de fonctionnement et les causes de leurs dysfonctionnements au Liban, il est souhaitable que, sur chaque campus, les doyens intensifient, au profit des étudiants, l’organisation de débats périodiques autour de personnes compétentes, non partisanes, soucieuses d’objectivité. D’autre part, une culture politique n’est productive que si elle s’accompagne d’un sens civique aigu, qu’il nous incombe d’insuffler par la parole et l’exemple. Mais il est vain de prêcher l’amour de la patrie, le sens du bien commun, le respect de la loi, si on ne dénonce pas en même temps cette source de toutes les perversions qu’est l’opportunisme, qu’il soit motivé par l’amour de l’argent ou par la soif du pouvoir.

Une université jésuite au Liban, c’est un tout, c’est un appel à chacun d’agir, c’est une préoccupation qui s’adresse à tous les partenaires. Puissent les temps qui viennent, et quoiqu’il en soit des tempêtes qui secouent notre région, nous permettre de poursuivre notre route en toute sécurité, sûrs qu’ensemble nous parviendrons à atteindre notre but, qui est la recherche de la vérité, disions-nous d’abord, qui est aussi la formation d’étudiants libres avons-nous aussi dit, qui est enfin la constitution d’une communauté solidaire, redisons-nous maintenant. C’est là le coeur de toute chose.

L’engagement de notre Université dans une démarche de renforcement de la qualité de nos prestations et de réflexion sur ce qui est exigé de nous devrait permettre de poursuivre notre marche en avant. Dès maintenant en fait, nous pouvons malgré tout, reconnaître qu’il est des valeurs qui ont toujours été défendues à l’USJ et qui devraient être aujourd’hui le signe du parcours effectué. C’est ainsi par exemple que tous nos diplômés devraient, là où ils exercent, s’imposer comme des piliers de la démocratie. La démocratie, c’est, pour reprendre l’image utilisée par un philosophe allemand, l’invention de serres où des essences différentes puissent se retrouver pour respirer la même atmosphère. C’est ce dont le Liban manque aujourd’hui, ce devrait être la tâche de nouveaux diplômés à qui il revient, certes, de poursuivre leur formation, mais qui doivent, sans attendre, peser de leur propre poids dans la société. Il ne s’agit plus maintenant de rêver d’une société juste et démocratique, il s’agit de la faire. Juristes, politologues, économistes et professionnels de l’assurance, chacun, dans vos domaines propres, vous avez à intervenir pour que les citoyens de votre pays puissent vivre ensemble (comme dans une serre), au coeur d’un pays doté d’un État de droit et d’une économie qui respecte les exigences de tous.

Aujourd’hui, sur le plan national, la situation exige notre solidarité et notre cohésion, de même que celles de tous les citoyens. Il en va de même au niveau de notre Université : cette même solidarité dans l’intelligence et l’action est indispensable car les défis de l’Université, comme vous l’avez constaté sont grands mais surmontables grâce à votre engagement. Portons ensemble ces défis, non comme un fardeau, mais comme une noble cause qu’il nous faut gagner, et en la gagnant, nous serons heureux de voir la moisson de plus de rayonnement de joie, de savoir fondé sur l’excellence, d’ouverture basée sur notre appartenance, d’enracinement fondé dans le service sans limites. Ainsi, l’USJ demeurera notre Maison, image de notre combat de ce Liban des libertés et de la justice, de la convivialité, de la démocratie et de l’unité à venir. Vive l’USJ pour que vive le Liban. Je souhaite 140 ans de Paix au Liban et de paix et de prospérité à l’USJ.

Certes, nous avons à nous adapter aux demandes du marché pour montrer notre efficacité. Mais cela n’épuise pas la finalité et la mission de l’USJ telle que la Charte nous l’indique : elle a la charge de préparer l’étudiant pour qu’il donne un sens à sa vie professionnelle et personnelle, pour qu’il soit responsable de ses choix comme si c’étaient des choix universels valables pour tout homme en tout lieu. Ainsi l’étudiant doit comprendre que si les sciences et les connaissances dans leur diversité convergent vers une connaissance croissante des conditions de l’existence, elles ne disent rien sur le sens de la vie et que c’est à l’apprenant de donner ce sens. Une université comme l’USJ, la nôtre, n’est pas seulement un élément moteur du fonctionnement de la société, mais elle est surtout le lieu d’un jugement de valeur sur l’état de la société et de la politique. Si une parole est possible, sinon obligatoire, dans ce domaine, c’est qu’elle aura la charge d’exercer sur la société une fonction critique et normative au nom du respect par cette société de l’humanité de l’homme. Je ne vous cache pas que c’est un défi lourd à porter et une mission qui comporte de risques à calculer.