En | Ar

Doomscrolling : l’illusion du repos

Le piège silencieux du doomscrolling

« Juste 2 minutes sur mon téléphone… » 

Vous aviez promis de fermer les yeux tôt, mais vos doigts continuent de faire défiler l’écran, vidéo après vidéo, post après post. Cette habitude porte désormais un nom : le doomscrolling, ou la tendance à consommer sans fin des contenus surstimulants. Ce n’est pas un simple passe-temps : c’est devenu un mécanisme d’adaptation à l’anxiété, une évasion. Les yeux picotent, mais nous continuons, comme si la lumière bleue pulsée sous nos paupières maintenait notre esprit en suspens.

Une stratégie d’évitement qui épuise

Le doomscrolling agit comme un coping mechanism. C’est une tentative de fuir l’anxiété et de mettre de côté ses responsabilités, qu’elles soient liées au travail, aux études ou aux pensées qui tourmentent. Nous croyons nous distraire, mais en réalité, nous gardons notre système nerveux en état d’alerte. Chaque notification, chaque vidéo, chaque story est une micro-stimulation qui empêche le corps de se reposer. Le monde extérieur s’efface peu à peu, remplacé par un flux continu pensé pour capturer notre attention. La gratification intermittente, le micro-shoot de dopamine et la difficulté à s’arrêter une fois lancé sont les mécanismes les mieux décrits de ce phénomène.

Et le paradoxe, c’est qu’à la fin de ces longues heures de défilement, nous sommes plus épuisés qu’avant, malgré l’impression d’avoir « fait une pause ». C’est une fausse détente qui entretient un cercle vicieux : plus nous sommes stressés, plus nous allons scroller, et plus nous scrollons, plus nous serons stressés. 

Entre illusion de contrôle et perte de repos

Pourquoi persistons-t-nous malgré tout ? Parce que ce flux constant d’informations donne l’illusion de maîtriser un monde incertain. En cherchant compulsivement à « comprendre » ou à « se mettre à jour », nous croyons réduire son anxiété. Mais l’effet inverse se produit : la surinformation brouille la concentration, perturbe le sommeil et crée une dépendance insidieuse. Nous sommes ensuite surpris d’être « toujours fatigué », même après des pauses régulières. Ce qui fatigue ce n’est pas le manque de repos, mais la surcharge de stimulations. Et quelque part, c’est aussi le silence intérieur qui fait peur, ce vide que l’écran nous aide à éviter.

Redécouvrir le vrai repos

Face à cette spirale, la solution peut sembler presque trop simple : poser son téléphone. Pourtant, derrière ce geste en apparence banal se cache un acte de régulation physiologique. Regarder par la fenêtre, s’asseoir quelques minutes en silence, s’offrir un espace sans stimulation : voilà ce qui donne enfin au système nerveux la possibilité de se calmer. Ce type de repos, discret mais profond, contraste avec la pseudo-pause numérique qui nous vide plus qu’elle ne nous recharge.

Apprendre à reprendre le contrôle

Repérer ces automatismes, c’est déjà commencer à les transformer. Les conseils que nous entendions autrefois « Éteins ton téléphone ! » prennent aujourd’hui une nouvelle tournure : non comme une règle moralisatrice, mais comme une pratique de santé mentale. À l’heure où l’écran est devenu à la fois refuge, distraction et parfois prison, redonner une place au silence pourrait bien être l’un des antidotes les plus accessibles à la fatigue invisible de notre époque.

Parce que dans un monde saturé de bruit, apprendre à ne rien faire devient un acte radical.

PARTAGER