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« Devenir icône » au Musée Sursock : Maryam Khairo… première modèle libanaise de nu

« What an icon ! » s’exclamons-nous aujourd’hui pour désigner tout ce qui, à nos yeux, relève de l’osé, du subversif, du nouveau ou du beau. La popularisation et la vulgarisation de ce terme, notamment à travers les réseaux sociaux, fait oublier qu’une icône est avant tout une forme « qui devient symbole par répétition », comme l’indique la brochure de l’exposition « Devenir Icône » conçue par le musée Sursock. Mona Lisa est devenue une icône de la peinture de la Renaissance. Marilyn Monroe, icône de séduction des années 50. Che Guevara, icône de la rébellion. 

              Mais à Sursock, ce n’est pas nécessairement la gloire ou le glamour qui est iconifié : c’est le corps nu d’une femme, tantôt peint par César Gemayel dans un décor intimiste et tamisé, tantôt dans les lumières claires et diurnes d’Helen Khal. D’emblée, on pourrait croire à de simples nus, et on est tenté de questionner la raison de leur présence dans une telle exposition. Mais il suffit de s’approcher et de lire le cartel pour découvrir que ces tableaux mettent en scène l’un des premiers manifestes visuels de l’émancipation de la femme libanaise.

Maryam Khairo, audace première du nu libanais

Elle n’avait que 13 ans lorsqu’elle a été introduite à César Gemayel, artiste libanais notoire. Le nom de Maryam restera rattaché à celui de l’ALBA (Académie Libanaise des Beaux-Arts) où elle sera introduite par Gemayel en 1943. Elle y posera là-bas pendant des décennies, pour Gemayel le matin, pour d’autres peintres comme Hussein Madi ou Yvette Achkar l’après-midi, ainsi que pour des étudiants qui se cotisaient pour la payer.

Une question cependant ne peut s’empêcher de s’immiscer dans l’esprit de tout lecteur qui connait bien la société libanaise de la première moitié du XXème siècle : et ses parents, étaient-ils au courant ?  Eh bien, pas vraiment. Ils savaient qu’elle était « engagée chez les Gemayel », sans plus. Par ailleurs, c’est elle qui les faisait vivre. Son salaire a même fini par dépasser celui des professeurs à l’ALBA.

« J’ai longtemps hésité avant de poser nue devant César Gemayel. J’ai eu honte, au début. J’étais plus à l’aise lorsque son amie, Madame Pierrette Hayek, était présente aux séances. Mon corps n’était pas encore entièrement développé, je n’avais que 16 ans. », témoignage de Maryam lu dans la brochure proposée par le Musée Sursock.

« Tu gagnes en beauté et en éclat — tu rentreras dans l’Histoire. » disait le peintre à sa muse.

Il ne faut cependant pas se hâter d’édulcorer la réalité : Maryam affirme avoir souvent craint et haï Gemayel, adolescente soumise au joug du peintre. Mais elle garde un souvenir empreint d’affection pour l’ALBA et pour tous les étudiants qui l’ont peinte. 

Pourquoi le corps nu d’une femme libanaise « devient icône ? »

Maryam n’est pas la première femme libanaise à avoir posé nue pour être peinte. La différence, c’est que les artistes avant peignaient leurs femmes, leurs partenaires. Gemayel est le premier à avoir institutionnalisé la peinture du nu féminin au Liban, il en a fait une profession.

En outre, cette collection de tableaux de Gemayel, Helen Khal ou Huguette Caland a toute sa place dans une telle exposition au Liban. Un musée occidental aujourd’hui ne prêterait sans doute pas une telle importance au premier modèle de nu du pays. Le premier « scandale de nu » en Occident revient à Manet et à son Déjeuner sur l’herbe, peint presque un siècle avant Maryam.

Maryam devient icône parce qu’elle est l’une des premières femmes libanaises à s’affranchir de la honte rattachée au corps féminin. Cette libération, toutefois, se fait toujours sous le joug de l’emprise patriarcale puisque Maryam regrettera d’avoir été dominée par Gemayel. À treize ans, une telle relation ne peut avoir été proprement consensuelle. Néanmoins, le corps de Maryam, peint par des hommes et des femmes, à l’huile, à l’aquarelle, au crayon, réuni dans ses multiples facettes au sein de cette exposition, semble dire : « Le corps d’une femme nue, ce n’est pas la fin du monde. Il peut même rentrer dans l’Histoire. »

 

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