Il faut faire plus, mieux, plus vite. Il faut travailler sans faute, sans pause, sans repos. Il faut produire, optimiser, perfectionner. Le culte de l’agitation, de la performance, de l’accomplissement et de la compétition nous métamorphose en machines. Pascal l’a si bien dit : « Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ». Nous perdons notre capacité à ralentir, à accepter l’ennui, la vacuité, le silence, l’imperfection, l’échec. Nous voulons tout posséder, tout réaliser, tout réussir, maintenant, tout de suite. Nous oublions parfois le motif, le but, la destination. Mais vivre vite, est-ce vivre pleinement ? La lenteur, la tranquillité, la contemplation sont-elles un luxe ou des nécessités humaines ? La légende raconte qu’Isaac Newton, méditant tranquillement sous un pommier, eut l’intuition de la théorie de l’attraction universelle en voyant une pomme tomber. Aurait-il eu cette révélation s’il avait été pressé, débordé, absorbé par d’innombrables tâches et sollicitations ?
L’agitation perpétuelle et l’opiniâtreté dans le travail constituent parfois une sorte de divertissement. Nous cherchons souvent à échapper à notre condition stagnante et misérable, à l’ennui. Fidèle à son pessimisme, Schopenhauer affirme que « la vie oscille comme un pendule de droite à gauche, de la souffrance à l'ennui ». Notre vie est une succession constante de deux états inévitables : la souffrance causée par les désirs insatiables, le manque, et l’ennui qui découle de la satisfaction des désirs, du vide. Travailler sans cesse, est-ce finalement une manière de trouver le sens de notre vie, ou de le fuir ? Un cadre qui enchaîne les heures supplémentaires, les réunions, les courriels et les projets sans relâche peut-il se confronter à des questions plus profondes ? S’il occupe chaque instant de sa vie pour ne pas avoir à se retrouver face à lui-même, le travail a ici pour fonction d’occuper l’esprit. Il devient un refuge contre l’angoisse de l’existence, un mécanisme de défense face à l’incertitude et la peur du vide.
Il serait sage de chercher à comprendre ce qui motive nos actions. Sommes-nous animés par la passion, le désir de changer sa destinée, la quête de reconnaissance ou encore la peur du déclassement ? L’excellence, qu’elle soit le fruit d’une injonction sociale ou d’un choix libre, ne doit pas devenir un impératif déshumanisant. L’être humain n’est pas uniquement réduit à son utilité, à ce qu’il produit. Une chose est sûre, il faut accepter la nature humaine et ses limites, sans laisser la quête de productivité nous étouffer. L’inégalité est une réalité constante et présente dès le début, l’accepter c’est comprendre que le progrès et le dépassement de soi comptent plus que la comparaison. Chacun avance à son rythme et, comme le dit Lao Tseu : « Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas ».