Aperçu sur l’actualité
En octobre 2022 et pour la première fois depuis 2017, la péninsule coréenne connaît un regain de tension entre les deux frères ennemis : La Corée du Nord et la Corée du Sud s’échangent régulièrement des tirs de missiles, de part et d’autre de la frontière, redessinant un climat d’instabilité dans la région et provoquant la crainte de la communauté internationale d’un éventuel conflit d’armes nucléaires dans la région, qui aurait des conséquences catastrophiques, les armes nucléaires étant une menace pour la paix dans le monde et constituant un enjeu géopolitique majeur au XXIe siècle. Ce qui expliquerait alors les sanctions internationales imposées en 2016 contre la Corée du Nord, dans l’objectif de limiter ses essais nucléaires.
Cependant, après 5 ans de calme et en réaction aux opérations militaires conjointes menées par la Corée du Sud et son allié historique les Etats-Unis « Vigilent Storm », Pyongyang, qui qualifie ses opérations comme « répétition générale d’une invasion territoriale », entrave les sanctions onusiennes et lance début octobre 2022, des frappes de missiles en direction de la Corée du Sud. Seoul riposte et, à partir de là, s’ensuit alors plusieurs semaines d’échange de salves de missiles entre les deux Corées.
Cet antagonisme entre les deux Corées ne date pas d’hier. Car, en effet, cela fait depuis plus de 70 ans, que les relations entre les deux Corées se sont tendues.
Le 27 juillet 2023, l’histoire commémore les 70 ans de la signature de l’armistice actant la fin (ou presque) de la guerre de Corée, scindant définitivement la péninsule coréenne en deux Corées distinctes et exacerbant encore plus les tensions entre elles.
Aujourd’hui, la Corée du Nord et la Corée du Sud, sont très différentes l’une de l’autre sur plusieurs aspects.
La République populaire démocratique de Corée (La Corée du Nord) : est communiste inspirée des soviétiques. Son régime est autoritaire et héréditaire (Kim Jong-Un est l’actuel dirigeant). Elle est très renfermée sur elle-même, voue une haine envers les occidentaux (notamment les USA). Pays pauvre, elle développe en compensation depuis les années 2000, des armes nucléaires faisant du pays une puissance nucléaire redoutable.
La République de Corée (La Corée du Sud): est plus riche (20e économie mondiale) et plus ouverte que sa voisine du Nord. Contrairement à celle-ci, elle adopte une économie libérale (inspirée du modèle économique américain). Son régime est démocratique.
Mais quelle est l’origine de cette partition de la péninsule coréenne en deux Corées ? Quelle est l’origine de leur division et de leurs tensions constantes ? Une réunification des deux Corées est-elle possible 70 ans après l’armistice ?
A) Guerre de Corée: Une guerre pour rien ?
1) Contexte
L’histoire tragique de la péninsule coréenne pourrait se résumer en ce célèbre dicton « lorsque les requins se battent entre eux, les écrevisses ont le dos brisé ». Depuis le début du XXe siècle, et avec l’arrivée du Japon en 1910, puis de l’URSS et des USA en 1945, l’ « écrevisse coréenne » se retrouve constamment prisonnière des ambitions coloniales des « requins américains, soviétiques ou japonais » et de leur influence, dû à sa position géographique et stratégique comme « porte d’entrée » vers l’Asie. De plus, elle fut le théâtre de conflits entre les puissances, sans en être l’enjeu principal et sans être capable de prendre son destin en main et d’en tirer profit de la situation. La colonisation japonaise (1910-1945), puis les occupations américaines et soviétiques précédant le conflit ont beaucoup marqué les mémoires collectives : ils ont nourri un sentiment d’humiliation et de volonté d’indépendance. La guerre de Corée, qui se déclenche en 1950, est la conséquence directe des influences américaines et soviétiques dans la péninsule.
L’origine de la partition en deux Corées Nord et Sud, telles qu’on les connaît aujourd’hui date de l'année 1945. En effet, c'est à partir de 1945 que nous pouvons commencer à parler de deux Corées distinctes, dont les relations vont petit à petit se tendre une fois sous influence américaine et soviétique. Cette année-là, les vainqueurs de la seconde guerre mondiale, qui vient de s’achever, et les puissances rivales de la guerre froide, se partagent la péninsule entre eux (sorte de « Yalta coréen ») en utilisant la 38e parallèle comme frontière séparant les deux nouveaux pays: L’Union soviétique occupe le Nord et les Etats-Unis, le Sud. Cette partition scelle l’avenir de la région condamnée à des décennies d’instabilité et de guerre froide toujours aussi palpables en 2023.
Avant 1945, la péninsule coréenne abritait une seule et même Corée, unifiée sous un même drapeau, partageant la même histoire ; bref, une seule et même nation coréenne. Mais les ambitions américaines et soviétiques ont fini par briser cette unité et créer deux Corées distinctes que tout le monde oppose désormais.
Au cours de leurs occupations sur la péninsule, les deux puissances coloniales vont organiser leurs zones d’occupations respectives à leur image, attisant les tensions et les divisions entre : la Corée du Nord (officiellement proclamée le 9 septembre 1948) et la Corée du Sud (officiellement proclamée le 1948), mais non reconnue mutuellement par les deux pays, ni par leurs occupants respectifs : ces transformations respectives de la Corée du Nord et de la Corée du Sud sont le noyau de ce que sont les deux Corées aujourd’hui.
Initialement, la scission de la péninsule devait être provisoire (pour 5 ans au moins), le temps d’organiser des élections libres communes pour les deux jeunes Corées. Cependant, les tensions entre l’URSS et les USA entraînent avec eux les tensions entre les deux Corées, vouant la réunification à l’échec. Moscou et Washington ont agi uniquement en fonction de leurs propres intérêts, sans prendre connaissance de l’histoire et de la culture qui unissent les deux Corées et sans prendre en compte le nationalisme qui les anime. A Pyongyang comme à Séoul, sous le joug de Moscou ou sous le joug de Washington, les coréens, en dépit de leurs différends, rêvent d’une indépendance, perdue depuis l’occupation nippone de 1910, et d’une réunification de la péninsule, mais sous leurs propres idéologies ou conditions respectives, coïncidants avec celles de leurs occupants respectifs ; le Nord veut une Corée communiste et le sud d’une Corée pro-occidentale et anticommuniste. Mais chacune d’elles refuse de reconnaître la souveraineté et la légitimité de l’autre, se déclarant elle-même la plus légitime à reconquérir la péninsule. Néanmoins, malgré cet échec, l’indépendance a bien été obtenue, puisque, après la proclamation officielle respective des deux Corées en 1948, les troupes soviétiques et américaines quittent la péninsule en 1949, laissant les deux Corées fragiles et jeunes livrées à elles-mêmes, faire face à leur destin.
Ce contexte international de guerre froide ainsi que le contexte régional de tensions entre la Corée du Nord, sous la coupe soviétique d’une part, et la Corée du Sud sous l’influence américaine d’autre part, en plus du refus mutuel de reconnaître la légitimité de l’un et de l’autre, ont débouché sur l’une des pires guerres du XXe siècle : la guerre des deux Corées (1950-1953).
2) La guerre (1950-1953)
Aboutissement des tensions entre la Corée du Sud et la Corée du Nord et des influences américaines et soviétiques, extension de la guerre froide dans la région, la guerre de Corée éclate le 25 juin 1950 à l’aube. Stationnées tout le long de la 38e parallèle pendant la nuit du 24 au 25 juin 1950, les troupes nord-coréennes, mieux préparées et équipées que celles du sud et avec le soutien militaire de l’URSS, lancent les premiers l’offensive. Rapidement, et au bout de 3 jours, ils prennent Séoul et occupent facilement 90% du territoire sud-coréen.
L’ONU, voyant en cela une menace pour la paix internationale et la condamnant fermement, réagit vite. En vertu des résolutions 83 et 84 votées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies, une Coalition onusienne commandée par le général Macarthur, portant soutien à la Corée du Sud, débarque à Incheon (Corée du Sud) et parvient à repousser les troupes nord-coréennes hors de la Corée du Sud et atteint même la frontière chinoise avec la Corée du Nord : le conflit s’internationalise et les rapports de force s’inversent. Ils s’inversent une fois de plus, mais cette fois en faveur de la Corée du Nord, avec l’intervention de la Chine en automne 1950. Au printemps 1951, le front se stabilise sur la 38e parallèle.
Dès juillet 1951, des négociations pour un arrêt des combats commencent. Elles durent deux longues années et débouchent finalement, sur la signature d’un armistice à Panmunjom le 27 juillet 1953.
L’armistice stipule un cessez-le-feu et un arrêt des hostilités mettant fin à la guerre, une reconnaissance des deux Corées Nord et Sud par L’URSS et les USA et par l’ONU (jusqu'à aujourd'hui les deux Corées ne se reconnaissent pas mutuellement). Une zone démilitarisée (DMZ en anglais, étroite bande de terre, servant de zone tampon entre les deux Corées) est établie séparant les deux Corées.
La guerre de Corée a exacerbé les haines entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, déjà ressenties depuis l’arrivée des superpuissances de la guerre froide en 1945 dans la péninsule, dont l’armistice en a renforcé et concrétisé la partition, retournant au statu quo d’avant la guerre. La guerre de Corée est selon les historiens la guerre la plus meurtrière du XXe siècle depuis la seconde guerre mondiale. Le bilan humain est très lourd : on compte près de 3 millions de morts (dont 2 millions sont des civils), avec des massacres et crimes contre l’humanité et de nombreuses villes détruites et rayées de la carte, dû principalement au Napalm (Gaz provoquant d’énormes incendies et d’énormes dégâts).
Si l’armistice a bien été signé entre les belligérants, cela ne signifie pas que la guerre en elle-même est terminée. En droit international, par définition, un armistice est un arrêt provisoire des hostilités en attente d’un traité de paix. Cependant, jusqu’à aujourd’hui aucun accord de paix n’a encore été conclu, ce qui explique pourquoi les tensions que connaîtront les deux Corées après la guerre et jusqu’à maintenant sont toujours aussi vives. La hache de guerre n’est toujours pas enterrée 70 ans après.
Peut-on désigner un vainqueur de ce conflit ? La réponse est non, explique dans un entretien, un ancien combattant chinois, témoin de la guerre : « En réalité, la guerre s’est arrêtée là où elle avait commencé sur le 38e parallèle. Il n’y a pas eu de vainqueur et beaucoup de vies ont été perdues des deux côtés ». En conclusion, la guerre était une guerre pour rien sans vainqueur et avec un retour au point de départ, c’est-à-dire le statu quo entre les deux Corées, d’avant la guerre établie par les puissances sur la 38e parallèle en 1945. C’est donc une guerre pour rien, sans ni gagnant ni perdant, avec toujours des tensions et des divisions de plus en plus accrues de part et d’autre et sans reconnaissance mutuelle de la souveraineté de l’une et de l’autre.
Mais en 2018, des rencontres inédites entre les deux Corées ont eu lieu, donnant l’espoir d’une possible paix et d’une éventuelle réunification entre les deux camps adverses. Est-ce vraiment possible 70 ans après ? C’est ce que nous allons tenter d’analyser dans la seconde partie.
B) Tensions entre les deux Corées: Leurs relations après la guerre
La guerre de Corée, aussi brutale et violente soit elle, a exacerbé les haines entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. L’armistice de 1953, sépare définitivement les deux Corées de part et d'autre de la DMZ. Autrefois unies sous une même entité avant l’arrivée des puissances de la guerre froide, la péninsule de Corée abrite depuis la fin de la guerre, deux Corées. Dans les années qui suivent la fin du conflit, non seulement une frontière physique se construit entre elles, mais aussi idéologique, socio-économique et politique. Un éloignement toujours aussi présent aujourd’hui.
Pourtant, malgré cet éloignement, nous constatons depuis une vingtaine d’années des tentatives de rapprochement entre la Corée du Nord et la Corée du Sud.
Et c’est la Corée du Sud qui prend en premier l'initiative avec la « politique du rayon de soleil » mise en œuvre à la fin des années 90, par le président sud-coréen de l’époque Kim Dae Jung. Cette politique consiste en gros, à promouvoir un rapprochement et une collaboration entre les deux Corées, sur le plan économique, politique et social.
L’aspect économique de ce projet : la création d’une zone économique à Kaesong, capitale de l’ex royaume de Corée, (un choix qui symbolise le réchauffement des relations entre Séoul et Pyongyang). Ce complexe économique tendait à promouvoir la coopération par la production commune de biens et de services afin de provoquer la socialisation des travailleurs sud et nord-coréens, leur permettre de se familiariser les uns avec les autres et contribuer à la production de richesse mutuelle.
Ces tentatives de rapprochement se sont manifestées également dans le cadre de grands évènements sportifs : par exemple les JO d’hiver de 2018 a P’yŏngch’ang (en Corée du Sud), durant lesquels les équipes masculines et féminines nord et sud-coréenne de hockey sont invités à former une seule et même équipe formée de joueurs ou joueuses sud et nord-coréens. (L’aspect social ou sportif)
Le sommet de cette politique est atteint en 2018, avec la tenue d’une rencontre historique et inédite depuis la fin du conflit. En effet, lors d’un sommet intercoréen, une rencontre a eu lieu entre le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un et son homologue sud-coréen, Moon Jae In au cours de laquelle les deux dirigeants ont posé ensemble et ont échangé des poignées de mains à Panmunjom, sur la zone démilitarisée qui sépare les deux Corées, où a été signé l’armistice de 1953 (un choix symbolique). Les symboles se succèdent par des accolades ou poignées de mains au pied du volcan Paektu, symbole d’une Corée unie, ou sur fond de manuscrit où est représenté l’alphabet coréen, qui représente leur passé commun et leur culture commune. Cette rencontre débouche sur la déclaration de Panmunjom, qui envisage une paix prochaine et une possible réunification des deux Corées, qui mettrait fin à plusieurs décennies de guerre. Cependant, jusqu’à aujourd’hui ladite déclaration n'est toujours pas signée, et aucun accord de paix concret n’est encore trouvé en 2023: c'est l’aspect politique de la « Sunshine Policy ».
Néanmoins, ces tentatives de rapprochement pour une réunification de la péninsule ne sont pas partagées par tous. Pyongyang et Séoul ne perçoivent pas la réunification de la même manière. De plus, ces projets inter-coréens de rapprochement sont également une affaire géopolitique, où les puissances voisines y sont impliquées (Japon, Chine et USA) et ont leur mot à dire face à cette politique intercoréenne et semblent, pour le bien de leurs ambitions, préférer un maintien du statu quo entre les deux Corées. Ces deux éléments, sans compter le va et vient des tensions, compliquent le processus de rapprochement et de paix dans la péninsule.
La réunification est-elle possible en 2023 ?
En conclusion, La Corée du Nord et la Corée du Sud, tel que nous les connaissons aujourd’hui, avec leur relation tendue et leur division socio-culturelle, économique et politique datant de 1945, sont le fruit des ambitions expansionnistes des puissances rivales de la guerre froide, les Etats-Unis et l’Union soviétique. Le destin des deux Corées est la conséquence des jeux d’influences exercés par les deux superpuissances sur la zone d’occupation auxquels elles sont respectivement affiliées (URSS le Nord, USA le Sud), dans un but de repousser l’influence de l’autre dans un contexte de guerre froide, d’où le partage de la péninsule en deux Corées.
Comme nous l’avions longuement décrit, l’influence exercée par les puissances et les tensions ont eu un grand impact sur les relations entre les deux Corées, qui commencent à se haïr de plus en plus, débouchant sur l’un des conflits les plus atroces de notre histoire contemporaine. Une guerre qui se termine comme elle a commencé, avec un retour au statu quo et sans accord de paix, mais seulement un armistice toujours appliqué aujourd’hui en attente d’un accord de paix. La hache de guerre n’est toujours pas enterrée en 2023.
Tous ces évènements se sont produits sans que les deux Corées ne puissent en tirer profit de la situation, beaucoup trop faibles pour prendre leur destin en main et faire face à l'occupation. Au contraire, elles se retrouvent prisonnières de leurs propres ambitions et de leurs influences et impactent l’avenir des relations entre les deux pays autrefois unis, que tout le monde oppose désormais et accentuant leur éloignement : comme le dit le célèbre dicton « La loi du plus fort est toujours la meilleure ».
Il faut noter que les tensions que connaissent les deux Corées depuis l’armistice, et les idéologies que chacune porte, inculquées par l’influence de leur occupant respectif, sont les fantômes de la guerre froide et des conflits entre les USA et l’URSS. Cela dit, nous pouvons constater que nous sommes depuis 70 ans dans une guerre froide éternelle.
Dans la seconde partie, nous avions décrit les tentatives de rapprochement entre les deux Corées, dans une perspective de réunification et de paix. Cependant, jusqu’à présent, rien de concret n’est obtenu. Ces tentatives de paix n’empêchent pas de porter des escalades de violence de part et d’autre de la DMZ, comme en témoignent les incidents d’octobre 2022. A la lumière de ce « yoyo » entre des périodes de calme et des périodes de tensions, une question se pose : la paix en Corée est-elle possible ?
Selon Antoine Bondaz, chercheur à la fondation pour la recherche stratégique, la question d’une paix entre les deux Corées et la réunification ne se pose pas, elle est donc impossible, du fait des tensions entre les deux Corées, toujours aussi importantes, et des divergences de scénarios envisagés par chacun des deux camps : la Corée du Nord souhaite une fusion par la force de la Corée du Sud dans le nord, tandis que la Corée du Sud souhaite évidemment le contraire, mais par la voie diplomatique d’où la politique de “rayon de soleil”. De plus, il ne faut pas oublier que cette question constitue également un enjeu géopolitique où les grandes puissances (Japon, Chine et USA), qui y voient un obstacle pour leurs intérêts, compliquent davantage le processus.