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L’ancêtre libanais de “Burj Khalifa” ressuscite …

Ressortie meurtrie par les évènements de la guerre civile en 1975 à Beyrouth, la Maison Corm renaît à la Place du Musée, là où Charles Corm avait conçu un monde exceptionnel: un monde où se mêlent art et histoire, nature et culture. Afin de préserver l’héritage de leur père, David et Hiram Corm ont pris l’initiative de rénover la maison et de la transformer en un lieu d’échanges et de rencontres en partenariat avec l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Dans le cadre d’une visite guidée organisée par Campus-J, le journal officiel de l’université, le samedi 11 novembre, un monde culturel singulier nous a été révélé: la Fondation Corm.

Un passé industriel vivant

“ L’oeil de Beyrouth” revoit le jour. La Maison Corm redevient le phare qu’elle était autrefois, illuminant une Beyrouth en plein essor. De retour dans le monde du vivant, elle ouvre ses portes aux visiteurs désirant voyager dans le temps et vivre l’expérience unique d’un passé toujours présent. Dans une première phase, cette bâtisse au caractère new-yorkais et souvent assimilée à l’Empire State Building de New York, était le siège social des affaires de Charles Corm.  

Impressionné par le miracle industriel américain, l’entrepreneur l’a construite en 1929 pour héberger la Ford Motor Company et d’autres compagnies industrielles dont il était le représentant au le Levant. Le jardin, qui comprenait des hangars pour monter les voitures et les tracteurs qui arrivaient en pièces détachées, respire toujours malgré les traces d’éclats d’obus sur les colonnes romaines et les cicatrices des palmiers bombardés durant la guerre.

En mettant pas dans la maison, on sent un air de nostalgie régner. L’entrée moderne garde toujours les traces du passé : les murs sont de la même ancienne couleur argentée et la balustrade est faite de cylindres hydrauliques. Pour adoucir l’effet, le sol a été couvert d’un marbre rose issu d’une carrière de Zghorta. 

Ensuite, les escaliers nous mènent au premier étage où se trouve le bureau d’affaires du commerçant, avec une belle surprise qui vient nous éblouir : la Ford T Modèle 1923, première Ford à être introduite au Liban.

Elle rappelle le succès de Charles Corm qui vendait des milliers de voitures par an entre le Liban, la Syrie et la Palestine. C’est une grande merveille du passé fascinante. Elle se dresse en face de l’ancien bureau de Corm, dans lequel nous pouvons voir ses oeuvres, ses documents et même des machines comme le dictaphone qui enregistrait le courriel et le laissait aux secrétaires. Corm pouvait même voir le travail de ses ouvriers depuis les vitres de son bureau. 

À l’âge de 40 ans, le commerçant distribue toutes ses agences et ses représentations commerciales à ses collaborateurs méritants. Il ferme ses salles d’exposition et se lance dans le monde de l’écriture et l’action sociale. Sans la voiture Ford, Corm n’aurait jamais pu consacrer le reste de sa vie à vivre ses vraies passions.

Un héritage culturel immortel

“Dire d’un artiste qu’il représente l’avant-garde, c’est dire qu’il crée l’art académique du futur’’. Grand humaniste, Charles Corm avait une vision avant-gardiste. Non seulement a-t-il écrit des livres et des recueils poétiques mais il s’est aussi intéressé à l’art, le décor et la peinture. Une fois à la retraite, il s’installe avec sa famille à la maison, qui connaît alors une deuxième phase : la Résidence Corm. Le poète a transformé sa demeure en un lieu de rencontres et d’échanges éternisé. Aujourd’hui, l’âme littéraire de la maison est toujours vive. Au premier étage, la bibliothèque de l’écrivain et son salon de lecture sont toujours accessibles. Les anciens livres et recueils littéraires et le salon où Corm accueillait un grand nombre d’artistes ont vaincu la bataille du temps, constituant un héritage solide pour un Liban brillant.

En descendant les escaliers, on retrouve à gauche une très vaste salle d’exposition ancienne transformée en salon oriental et salle de musique avec des murs insonorisés. 

Un piano à queue Pleyel a survécu seul les temps de guerre au fond de la salle, symbolisant le pouvoir de l’art.

En face de cette salle, on trouve le salon et le bar de Corm. Sur le mur sont accrochés ses travaux de peinture : son autoportrait, le portrait de son père Daoud Corm, l’un des premiers peintres libanais, et celui de son grand-père Semaan Hokayem, le précepteur des fils de l’Émir Béchir Chehab II. Initialement, Charles Corm voulait devenir peintre mais son père l’en a dissuadé. Pourtant, cela n’a fait que renforcer sa volonté. Son talent artistique incontestable se dévoile : il a décoré tous ses bureaux et sa maison des derniers objets Art déco et Bauhaus et a placé des meubles reproduits aux styles de l’époque, datant des années 1930. Sur le sol, on remarque des carreaux de ciment colorés aux formes géométriques qui reprennent la silhouette de l’immeuble tels que conçus par Corm lui-même. Le motif est par la suite répété sur tous les étages.

Cependant, le véritable trésor repose au sous-sol, là où tous les anciens manuscrits, documents et tableaux sont conservés.

Charles Corm a marqué l’histoire du Liban par ses travaux littéraires et artistiques, mais aussi par ses grandes actions sociales. Il était un patriote, intéressé par l’histoire de ses ancêtres Phéniciens et dévoué à promouvoir le Liban à l’internationale. Il a aussi contribué à la fondation du Musée National et de la Bibliothèque Nationale, et a fondé aussi une maison d’édition libanaise appelée “La Revue Phénicienne”. Dans ses livres et recueils, il retraçait le destin du Liban et les espoirs de la proclamation du Grand Liban, avec un retour à un passé prestigieux depuis les Phéniciens.

L’auteur de “La montagne inspirée”, une ode au Liban qui a connu un succès retentissant, était en charge du pavillon libanais à l’Exposition Universelle de New York, un pavillon tourné vers l’histoire et la culture. La première étape qu’il a faite était d’exposer une carte pour montrer que le Liban, contrairement à ce que Henry Ford disait, existe bel et bien. Il n’était pas un artiste comme les autres : il portait un message à son peuple, celui de l’unité et de l’amour de la patrie.

Après presque cent ans écoulés, la Fondation Corm vient au monde et adopte ce message pour le faire résonner. Jusqu’à quand le peuple libanais restera divisé et séparé par la politique et le sectarisme ? N’est-il pas temps de s’unir pour notre Liban et de satisfaire les souhaits de notre grand poète ? 

Afin de promouvoir le patrimoine culturel libanais, la Fondation a mis en place des programmes qui répondent aux besoins actuels du Liban et anticipent ceux de demain, espérant qu’un jour le Liban, comme la Maison Corm, ressuscite… 

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