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Elio Abou Hanna : un nom parmi tant d’autres

Il est devenu presque impossible de manquer d’inspiration lorsqu’on écrit sur le Liban : chaque jour apporte son lot de drames, et le délai entre deux tragédies se limite à peine quelques heures. Même pas le temps de pleurer un nom que déjà un autre s’ajoute à la liste. Ce cycle infernal de violence et d’indifférence semble sans fin.
Elio Abou Hanna est la victime la plus récente d’une génération sacrifiée, trahie par un État incapable d’assurer à sa jeunesse le droit le plus élémentaire : celui de vivre en sécurité. Son sang, comme celui de tant d’autres avant lui, n’est plus qu’un sujet d’indignation éphémère, matière première pour les débats télévisés et les promesses creuses.
Mais derrière cette tragédie, une réalité demeure : celle d’un peuple condamné à survivre dans le malheur, prisonnier d’un pays qui s’effondre sur lui-même. Alors que le sang continue de couler dans l’indifférence, une question déchire le silence : que vaut un État qui laisse ses enfants mourir au nom des désordres non maitrisés ?

Elio Abou Hanna n’était pas qu’un nom de plus dans les titres du matin. Jeune homme de 24 ans, animé par la volonté de bâtir son avenir à la force de son éducation — ce chemin que tant de jeunes libanais empruntent, convaincus que le savoir reste leur arme unique dans un pays qui leur offre si peu.
La jeunesse libanaise s’est toujours distinguée par son excellence et son ambition sans frontières. Elle a brillé dans les écoles, les universités et les entreprises du monde entier, portant fièrement le nom d’un pays qu’elle n’a jamais cessé d’aimer malgré les difficultés. Néanmoins, la mémoire de cette jeunesse n’est qu’un registre de souffrances et de tragédies.

Chaque mère libanaise ressent, avec une inquiétude presque instinctive, la peur contenue dans ces mots légers prononcés par son fils ou sa fille pour annoncer qu’il ou elle sort pour la soirée. Des mots qui pèsent un poids immense, car au Liban, la nuit peut basculer en drame en quelques secondes. Elles restent éveillées, le cœur serré, l’esprit assailli par mille pensées sombres, priant simplement pour entendre, avant l’aube, le bruit familier d’une clé tournant dans la serrure.
Mais depuis la nuit du 25 octobre, la mère d’Elio, elle, n’a plus entendu ce son. Elle veille certainement encore, prisonnière d’une attente sans fin.

Aux premières heures du dimanche, vers une heure du matin, le drame s’est joué dans le camp palestinien de Chatila, au sud de Beyrouth. Elio, rentrant d’une soirée à Badaro se dirigeait vers sa maison du Metn-Nord et il s’est égaré sur la route. Les caméras de surveillance montrent sa voiture roulant à vive allure, avant de heurter un bâtiment. Quelques secondes plus tôt, une patrouille palestinienne armée lui avait tiré dessus.
Une soirée, une erreur de direction, et la vie de ce jeune homme a basculé dans l’irrémédiable.

Face à cette tragédie, beaucoup de questions restent sans réponses : pourquoi des points de contrôle armés palestiniens continuent-ils d’opérer en plein territoire libanais ? Comment un citoyen libanais peut-il être la cible de balles tirées par des hommes d’une autre nationalité ?

Une vague d’indignation a rapidement submergé les réseaux sociaux. Certains, animés par une douleur profonde affirment : « Nous avons toujours soutenu la Palestine dans sa lutte pour sa terre, et en retour, des groupes armés opérant en son nom tuent nos jeunes sur la nôtre ». D’autres étaient plus tranchants : « Avec tout le respect, le sang d’Elio vaut à lui seul toute la cause palestinienne ».
Et comme toujours, la société libanaise se divise. Chaque tragédie devient un miroir reflétant notre fragmentation : un peuple qui, sous le masque de l’unité, cache mille fissures prêtes à s’ouvrir au premier choc.

Malgré tout, l’inacceptable s’installe, et l’insensé devient ordinaire. Combien de fois faudra-t-il encore écrire les mêmes mots, pleurer les mêmes visages et dénoncer les mêmes failles ?

Elio est le visage d’une jeunesse qu’on enterre avant qu’elle n’ait pu vivre. Son histoire ne doit pas rejoindre l’écho fatigué de nos condoléances répétées.

Puisse le sacrifice d’Elio servir enfin d’éveil : jeter aux flammes notre jeunesse, serait condamner le Liban à mort.

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