À l’heure où le numérique s’impose comme pilier central de la formation médicale, il devient urgent de questionner ses effets sur la santé mentale des futurs soignants. Si l’usage des outils numériques a profondément transformé les modalités d’apprentissage, cette révolution s’accompagne d’une charge mentale croissante, parfois silencieuse. L’hyperconnexion – définie comme une exposition excessive et prolongée aux écrans et à Internet – s’insère dans le quotidien des étudiants en médecine, jusqu’à affecter leur bien-être psychique. Cette réalité mérite une réflexion approfondie, à la lumière de données récentes et d’une expérience de terrain.
En théorie, les bénéfices du numérique dans l’enseignement médical sont indéniables : accès instantané à l’information, diversité des supports interactifs, entraide via des groupes en ligne, etc. Dans la pratique, cependant, cette surabondance d’information crée une forme de saturation cognitive. La nécessité de rester constamment "connecté" — pour suivre un cours Zoom, répondre à un groupe WhatsApp, réviser sur des applications spécialisées — s’accompagne d’une perte de frontières entre temps personnel et obligations académiques. Il en résulte des troubles du sommeil, une difficulté à maintenir la concentration, et, à terme, un sentiment de fatigue mentale chronique.
Des études récentes viennent appuyer ce vécu partagé. Une enquête menée en 2023 par l’Université de Genève a révélé que 68 % des étudiants en médecine déclarent ressentir une anxiété accrue liée à la pression numérique (notifications, e-mails universitaires, réseaux d’échange entre pairs). Parmi eux, 42 % décrivaient une diminution de leur qualité de sommeil, en lien direct avec la consultation tardive d’écrans. Ces chiffres trouvent un écho particulier dans les facultés où la pression de la performance pousse les étudiants à rester en veille permanente, redoutant de « manquer » une information utile ou un document partagé.
L’hyperconnexion ne se limite pas à un problème d’organisation ou d’hygiène de vie, elle constitue également un facteur de risque pour le burn-out étudiant. Une étude parue dans BMC Medical Education en 2021 souligne un lien significatif entre le temps d’écran quotidien et l’indice de détresse psychologique mesuré par le Kessler Psychological Distress Scale. À long terme, ce mode de fonctionnement peut altérer la capacité de récupération psychique, pourtant cruciale dans une filière aussi exigeante que la médecine.
Face à cette problématique, plusieurs pistes méritent d’être explorées. La première consiste à intégrer, dès les premières années, une sensibilisation à l’hygiène numérique : gestion du temps d’écran, déconnexion volontaire, limites des plateformes sociales. La seconde passe par une réflexion institutionnelle : repenser les modalités de communication pédagogique, afin d’éviter l’injonction permanente à être joignable ou réactif. Enfin, il serait utile d’encourager les initiatives de « temps off » collectifs, comme des journées sans notifications ou des pauses numériques lors des périodes de révision.
Loin de rejeter le numérique, il s’agit d’en faire un allié conscient, maîtrisé et compatible avec la santé mentale de ceux qui seront demain en charge de celle des autres.