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Littérature de l’intime ou de l’ego ?

La littérature de l’intime, qu’elle prenne la forme du journal personnel, de l’autobiographie ou encore de la correspondance est par essence tournée vers le « je ». L’écrivain y explore son moi profond, ses émotions, souvenirs et sensations. Dès lors, une question légitime se pose : cette forme de littérature n’est-elle qu’une ouverture vers l’universel à travers le particulier ou, au contraire, est-elle une exaltation de l’ego, un miroir narcissique tendu à soi-même ?

 

L’altérité de l’intime

À première vue, la littérature de l’intime peut être perçue comme une littérature de la découverte de soi dans le monde. Si l’écrivain part de lui-même, ce n’est pas toujours pour se glorifier ou se plaindre, mais bien souvent pour interroger ce qui, en lui, rejoint l’humain en général. Lorsque Montaigne, dans ses Essais, écrit « Je suis moi-même la matière de mon livre », il ne s’agit pas nécessairement d’un éloge de soi, mais d’une tentative d’explorer l’âme humaine à travers sa propre expérience. Écrire le « moi » est souvent un acte humaniste qui tend vers l’autre pour l’initier à l’apprentissage à travers le propre vécu de l’auteur. De même, dans les Confessions de Rousseau, dans les journaux d’Anaïs Nin ou encore dans les lettres de George Sand, l’intime devient un prisme pour aborder des questionnements universels comme l’amour, la souffrance et le rapport au temps, à la mort et à la société.

Le moi égoïste 

Cependant, nier la manifestation de l’ego dans cette littérature serait faire preuve d’un jugement hâtif. L’auteur devient à la fois sujet et objet de l’écriture. Il se raconte, s’expose, se confesse souvent. Cette introspection semble répondre à un besoin de se dire, de laisser une trace, voire d’exister pleinement par l’écriture. Dans cette perspective, l’acte littéraire frôle parfois le nombrilisme : on pense à certains journaux où l’auteur s’épanche longuement sur ses peines de cœur ou ses tourments existentiels, sans souci apparent pour le lecteur. L’écriture semble alors moins guidée par une quête esthétique ou narrative que par une volonté de se regarder écrire, de se contempler dans ses pensées les plus intimes. Chateaubriand, dans ses Mémoires d’outre-tombe, est constamment dans l’exaltation de soi, mettant de côté l’authenticité des évènements narrés. Il se montre impeccable et héroïque, comme c’est le cas dans une grande partie de la littérature de l’intime (et tel est le cas de la majorité des écrits de l’intime.)

 

En réalité, la littérature de l’intime se situe à la croisée de l’ego et de l’altérité. L’ambiguïté de ce genre d’écrits réside dans le fait de discerner ce qui est dit et ce qui est suggéré. Chaque écrivain diffère de l’autre : certains s’y dévoilent pour toucher, par la sincérité du témoignage, d’autres lecteurs qui s’y reconnaîtront, et d’autres, dans un but plus narcissique, pour s’enfermer dans son « moi ». Ainsi, si la littérature de l’intime part du « moi », elle ne s’y enferme pas nécessairement. Elle peut être littérature de l’ego, certes, mais aussi, et peut-être surtout, littérature du lien, de l’universel à travers le personnel.

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