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Pourquoi nos goûts musicaux sont si bêtes ?

Combien de gens autour de vous connaissent les noms de musiciens renommés ? À quand remonte la dernière fois où vous avez entendu quelqu’un exprimer son enthousiasme de se rendre à un concert de musique classique ou même en rapport avec le folklore libanais ?  Je suis prêt à parier que, pour la plupart, ça fait longtemps (si cela a eu lieu). En effet, il serait faux de prétendre à la supériorité d’une culture musicale, mais il serait très curieux de se pencher sur ce changement de goût collectif qui touche plusieurs sociétés autour du monde. Comment une population qui considérait Beethoven, Bach, Chopin ou Mozart comme des « stars de la musique » peut-elle aujourd’hui non seulement tolérer, mais vénérer des artistes aux productions beaucoup plus… simples ?

La musique en 2025, une marchandise :

  Selon la théorie de l’industrie culturelle, la culture populaire est standardisée et simplifiée pour maximiser sa consommation. L’idée qu’on vient tout juste de citer semble très finement décrire notre situation actuelle. Cependant elle fait son apparition en 1947 dans le livre « Dialectique des Lumières », pour critiquer l’instrumentalisation des productions culturelles par le capitalisme. Si les théoriciens allemands Adorno et Horkheimer avaient eu vent de ce dont nous témoignons aujourd’hui, ils seraient sans doute très fiers d’avoir eu raison, mais aussi très déçus… d’avoir eu raison. Les plateformes comme TikTok, Instagram ou Spotify favorisent les morceaux courts, rapides et accrocheurs. Nous avons 15 ou 30 secondes pour impressionner le public, alors nous travaillons en accord avec ce concept. La popularité de ces formats privilégie la simplicité, la répétitivité et la facilité de consommation. Et bien évidemment, cela se fait aux dépens de la complexité et de la durée des morceaux. Personne n’a la patience d’écouter une sonate de 20 min avec trois mouvements différents quand on peut zapper à travers une centaine de morceaux durant ce même laps de temps.

La recette gagnante :

 « Let Her Go » (Passenger, 2012), « Love me like you do » (Ellie Goulding, 2015) et « Someone you loved » (Lewis Capaldi, 2018) sont trois chansons qui utilisent la même progression « C-G-Am-F ». Parues dans une même décennie, ces morceaux ne se soucient pas trop de l’originalité. Beaucoup d’autres personnes utilisent la même structure harmonique et ce phénomène est extrêmement répandu. En effet, c’est trouver une recette gagnante et l’appliquer encore et encore. Pourquoi changer si ça fonctionne ?  Quand on se soucie de vendre le plus possible, la qualité et l’originalité ne sont pas des priorités. 

 En outre, la recette peut dépendre du public. Il y a bien longtemps qu’on ne tombe plus sur des chants patriotiques ou ayant un timbre folklorique. Pourquoi ? Avec l’élargissement du public qui s’étend sur tout le monde arabe, les productions musicales doivent s’adapter pour vendre. À quoi bon chanter les louanges du Liban dans un des festivals de la péninsule arabique ? Quand le public s’élargit, on doit aborder des thèmes plus universels pour faire des chiffres, et donc souvent, des thèmes plus superficiels. 

Le cercle vicieux :

  Se référer au concept du capital culturel de Pierre Bourdieu peut nous aider à comprendre ce processus de redirection de nos goûts.  Ils dépendent de notre capital culturel : les formes d’art auxquelles nous sommes exposés, la complexité des œuvres que nous consommons, etc. Or, quand nous sommes bombardés par des œuvres simples et dénuées de signification profonde, nous finissons par céder et demander ce type de musique. Cela à son tour encourage l’offre de cette qualité de « produits » et le cercle vicieux est bouclé. Plus on est exposés, plus on consomme, plus on demande, plus on est exposés…

  En conclusion, il est clair que plusieurs facteurs influencent nos préférences musicales. Cet article n’a pas été rédigé dans le but de vous obliger à écouter de la musique classique, mais plutôt dans le but d’encourager à avoir une approche critique envers toutes les œuvres culturelles que nous consommons et spécifiquement la musique. La musique touche l’âme très profondément et il est impératif de bien choisir une arme quand elle est aussi redoutable. Nous avons passé tellement de temps à débattre à l’école si l’art ne devait servir que l’art ou si l’art devait servir une cause. Aujourd’hui, une nouvelle école a émergé, ce n’est ni « l’art pour l’art », ni « l’art pour la cause » : c’est « l’art pour l’argent ». 

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