Et si la nature avait quelque chose à nous dire ? Non pas sous forme de statistiques ou de problèmes alarmants, mais en musique, à travers ses propres sons ? Imaginez une salle obscure presque silencieuse, le public retient son souffle. Un bruissement de feuilles, le grondement lointain d’un orage, puis… le chant envoûtant d’un oiseau rare s’élève, porté par des nappes électroniques. Bienvenue dans l’univers du concert bioacoustique, une performance artistique à la croisée des disciplines – art, science et conscience écologique.
À l’origine de ces concerts singuliers, on trouve une équipe de musiciens, ingénieurs du son et écologues, unis par une ambition commune : faire entendre la voix du vivant qui nous entoure. Littéralement, grâce à la bioacoustique – science qui capte et étudie les sons émis par le règne animal et végétal – ces artistes composent des œuvres immersives à partir d’enregistrements in situ, dans des environnements menacés : océans, forêts, marécages, récifs de corail… Le résultat est fascinant. Tous ces bruits s’entrelacent les uns aux autres et deviennent matière première. Les clapotis d’une rivière se mêlent aux percussions. Le vent devient mélodie. Les cris d’animaux deviennent chœurs sauvages. Et tout cela, sans jamais masquer l’aspect de la nature. Au contraire, c’est elle qui mène la danse : à la fois protagoniste, muse et alarme.
Avec les cris d’animaux, de la percussion et un tempo impressionnant, on peut créer des œuvres qui font voyager l’esprit… et qui nous ramènent à l’essentiel. Ce retour à l’origine, ce flashback sensoriel, rappelle combien ces sons faisaient autrefois partie de notre quotidien.
« Ce qu’on veut, c’est réenchanter le rapport au vivant », affirme Léa Mia dans un article publié sur le site Demain La Ville. Cette dernière est la compositrice du projet « Érosion », un concert bioacoustique conçu en collaboration avec Anissa, ingénieure spécialisée dans l’étude des sons de la nature. Présenté à la Clusaz en Haute-Savoie, ce spectacle immersif combine enregistrements de la faune locale et instruments traditionnels comme le cor des Alpes et le saxophone. L’objectif de ce projet n’est pas de culpabiliser, insiste la musicienne, mais de susciter l’émerveillement.
Chaque pièce du concert est introduite par un récit contextualisé : espèces enregistrées, endroits mis en jeu ainsi que menaces écologiques spécifiques au territoire. Une manière de lier émotion et information, tout en rendant hommage à la richesse sonore de notre planète. Une mission réussie, selon le maire de La Clusaz, Mattéo : « C’est magnifique, j’ai voyagé dans ma propre région », confie-t-il, visiblement ému à l’issue de la présentation.
Ce projet est un petit verre pris au réveil, une manière de dénoncer sans gronder. Car la pollution sonore, souvent ignorée, a des effets dévastateurs sur les animaux : insectes silencieux, dauphins désorientés, oiseaux perturbés dans leur reproduction. En faisant entendre ce que nous risquons de perdre, le concert devient un acte militant – doux, mais saisissant.
Plus qu’un spectacle, c’est une expérience sensorielle à part entière. Il s’agit d’un nouveau moyen de s’unir et de se reconnecter avec la nature. Une plongée poétique dans l’invisible, le fragile, l’essentiel. Un monde englouti par le tumulte urbain refait surface et retrouve sa place. Et l’effet est puissant : certains spectateurs quittent la salle les larmes aux yeux, touchés par une baleine solitaire ou le chant lointain d’une grenouille en extinction.
Ce concert bioacoustique n’est pas qu’un moment artistique hors du temps, c’est une invitation à tendre l’oreille, à ralentir, à ressentir. Car peut-être qu’en écoutant mieux la nature, nous apprendrons enfin à la protéger.