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Derrière les sourires, le poids du non-dit

On ne guérit pas ce qu’on refuse de nommer :

Le tabou silencieux

« Tu réfléchis trop. » « C’est juste une phase. » « Va prier, ça ira mieux. »

Dans de nombreuses familles libanaises, c’est souvent la seule réponse qu’on reçoit lorsqu’on évoque une souffrance mentale. Le mal-être psychologique reste minimisé, banalisé ou traité comme un sujet honteux. Dans une société marquée par des crises successives, on apprend à survivre, pas à s’écouter. Mais, vivre en mode survie ne laisse pas de place à la vulnérabilité. Et cette vulnérabilité, quand elle est ignorée, finit par exploser ailleurs : dans le corps, dans les relations, ou dans le silence prolongé.

Les mots qui manquent ou qu’on n’ose pas dire

À ce tabou s’ajoute un manque cruel de vocabulaire. Les troubles mentaux n’ont parfois même pas les mots pour exister. On parle rarement de burn-out, de panic attack en arabe. Dire « dépression » ou « anxiété » reste lourd, presque dangereux. Le lexique de la douleur mentale semble avoir été exilé dans une autre langue, comme si parler en arabe rendait la souffrance trop réelle, ou trop proche.

L’image avant le soin

Ce manque de mots se combine à une autre réalité : la peur de nuire à l’image de la famille. Dans beaucoup de foyers, les apparences comptent. Admettre qu’on va mal, c’est prendre le risque d’être perçu comme instable, faible, voire « fou ». Mieux vaut se taire, prendre sur soi et sourire quand même.

Mais ce silence a un coût : l’anxiété s’accumule, l’isolement grandit, et la sensation d’étouffer devient normale. Peu à peu, on finit par croire que ce qu’on ressent n’est pas légitime, ou que tout le monde vit comme ça. Et cela empêche beaucoup de personnes de demander de l’aide.

Le choc des générations

Pour comprendre cette attitude, il faut s’intéresser aux générations précédentes. En effet, nos parents ont grandi dans des contextes durs, marqués par la guerre et le besoin de résister. Leur silence n’est pas forcément un refus de comprendre, mais souvent un réflexe de survie. Ils n’ont pas été éduqués à reconnaître les émotions, encore moins à en parler.

Mais pour notre génération, ce silence est devenu une impasse. On a besoin de mots, de soins, de reconnaissance. Et parfois, simplement de quelqu’un qui écoute, sans juger ni minimiser.

Parler pour alléger

Briser ce silence, ce n’est pas trahir nos familles. C’est créer un espace où dire « je vais mal » est une preuve de lucidité, pas de faiblesse. C’est admettre qu’on a le droit d’avoir besoin d’aide, même si on n’a pas « tout perdu ».

Aujourd’hui, la parole commence à se libérer : sur les réseaux sociaux, dans des groupes de soutien, parfois même autour d’une table familiale. Mais pour que ce changement prenne racine, il faut continuer à parler, à écouter et à normaliser ces échanges.

La santé mentale n’est pas un luxe. Elle ne doit pas être un tabou. C’est un droit. Et cette conversation, si elle ne commence pas dans nos familles, elle peut au moins commencer entre nous.

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