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Les élections présidentielles libanaises : Enjeux d’influences étrangères

Le 9 janvier dernier, un vent d’espoir en un avenir meilleur souffle au Liban. En effet, ce jour-là, alors que le pays du cèdre fait face depuis plusieurs années à l’une des pires crises socio-économiques et politiques de son histoire et est profondément marqué par un an de guerre ouverte entre le Hezbollah et Israël, plus particulièrement par l’escalade des violences du dernier trimestre de 2024, 99 des 128 députés présents dans l’hémicycle élisent Joseph Aoun à la présidence libanaise.   

L’élection du chef des armées met fin à plus de deux ans de vacances présidentielles, résultat d’une politique de blocages des précédentes séances électorales menées par les députés du Hezbollah et l’absence de consensus autour d’un seul candidat entre les blocs parlementaires. Mais elle révèle également une implication des puissances étrangères du quintette dont la France, l’Arabie saoudite et les Etats-Unis, dans le processus électoral. Ces derniers ont profité des bouleversements géopolitiques des derniers mois au Moyen-Orient pour influencer le cours du vote, en soutenant l’accès à la magistrature suprême de Joseph Aoun. Ce soutien s’inscrit dans une volonté de retrouver une influence dans les affaires politiques internes du Liban après plusieurs années d’absences et de ruptures.

Cependant, ce n’est pas la première fois qu’une élection présidentielle libanaise implique une influence étrangère régionale et internationale. Depuis l’indépendance du pays en 1943, plusieurs acteurs ont successivement joué un rôle influant dans les processus électoraux. 

 

Jusqu’aux accords de Taef (1989), on assiste à une influence dominante de l’alliance anglo-américaine. Par la suite, l’Arabie Saoudite et l’Egypte d’Abdel Nasser jouent des rôles majeurs dans les élections libanaises, en plus de la montée de l’influence syrienne sous Hafez El Assad, durant les guerres du Liban :

Les présidents Bechara El Khoury (1943) et Camille Chamoun (1952) ont été portés au pouvoir suite à une pression de la Grande Bretagne sur la France pour accorder au Liban son indépendance en ce qui concerne le premier président ; et à un soutien américain donné à un président anglophone comme Chamoun, dont le mandat a été caractérisé par des politiques renforçant la présence américaine dans le pays. Quant à l’élection du général Fouad Chehab (1958), survenant dans un contexte de tensions internes dans le pays, elle est le fruit d’un consensus américano-égyptien, révélant ainsi le rôle majeur joué par le « Rais » sur l’échiquier politique libanais.

Toutefois, entre 1975 et 1990, alors que le Liban est en proie à une guerre civile dévastatrice, son soutien à l’élection d’Elias Sarkis (1976) et celle d’Elias Hrawi (1989) et son implication potentielle dans les assassinats des présidents Bachir Gemayel (1982) et de Renée Moawad (1989) ; ont révélé l’influence croissante du régime syrien d’Assad comme nouvel acteur régional. 

 

La période de l’après-guerre s’est caractérisée dans un premier temps par une influence syrienne dans le système politique libanais. Au fil des 15 années de protectorat syrien (1990-2005), le régime a réussi à imposer l’élection de Hraoui (1989), puis de son successeur Émile Lahoud (1998), à la tête de l’État.

Avec le retrait de la Syrie du Liban (2005), commence l’ère iranienne, manifestée par le Hezbollah. À travers ce parti pro-iranien, la république islamique entame une longue période d’influence dans la politique interne du pays. À chaque élection, le Hezbollah entraîne le pays dans un cycle infernal de vacance du pouvoir, pouvant durer plusieurs années, en raison des mécanismes de blocage des élections utilisés à répétition par le parti pour faire pencher la balance à son avantage, en imposant un candidat qui répond à ses intérêts. Si cette stratégie a fonctionné en 2016, avec l’élection de Michel Aoun, ce n’est pas le cas pour les élections de Michel Sleimane (2008) et de Joseph Aoun (2025), dont l’arrivée au pouvoir a été le fruit de consensus internationaux. Ce cercle vicieux voulu par l’Iran et l’absence d’accord sur un candidat entre les blocs parlementaires, a facilité l’implication des puissances étrangères, que ce soit à travers l’accord de Doha en mai 2008 ou le quintette en 2025.

 

Ainsi, depuis 1943, le Liban indépendant a vu défiler, en fonction des circonstances géopolitiques et favorisés par ses divisions internes, plusieurs acteurs régionaux et internationaux influençant les élections présidentielles libanaises. Ce qui fait de ces processus, supposés être une affaire uniquement nationale, un enjeu d’influence des puissances étrangères. Cet aspect des élections présidentielles nous mènerait à nous poser des questions sur le caractère légitime et constitutionnel de ces votes, un point important qu’il faudrait prendre en compte avant d’accorder une pleine confiance à des résultats de scrutins issus de ces jeux d’influence, comme celui de Joseph Aoun. D’autant plus que l’article 49 de la constitution d’après « Taef » ne permet pas l’élection d’un chef des armées encore en fonction à la magistrature suprême.

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