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“Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point”. Nulle autre citation ne pourrait mieux décrire le cœur d’un Libanais que ces propos dictés par Blaise Pascal. C’est dans un contexte de chaos absolu et d’instabilité continue que cette expression résonne le mieux. Je ne vais pas vous parler de misère. Je vais plutôt plonger dans l’univers contraignant de la frustration, de la déception. Avec ma plume, je plonge là où d’autres se noient…

La frustration s’est assez précocement creusée sous forme de rides tortueuses sur le visage des Libanais. Cette frustration réside dans les séquelles de l’inflation de 2019. Vu la nature optimiste des Libanais, on ne la laisse pas trop prendre le dessus. Et pourtant, il lui arrive de refaire surface à l’entrée des banques, entre les rayons des supermarchés, devant les factures faramineuses des fins de mois. 

La déception, quant à elle, s’est ancrée dans nos vies le 4 août 2020. Entre les vies perdues, les centaines de milliers de blessés, les bâtiments écroulés, les cendres et les débris, l’espoir avait déjà rendu l’âme. 

C’est cette union abominable, ce mélange amer de frustration et de déception qui anime aujourd’hui nos vies. Une troisième entité a récemment décidé de s’intercaler dans cette union : la peur, la peur de la possibilité du déclenchement d’une guerre, la peur des répercussions d’un conflit régional. Cette même peur ne hante pas uniquement le cœur des Libanais, elle a aussi été fortement exprimée par un grand nombre d’ambassadeurs et de diplomates, déconseillant leurs citoyens de voyager en territoire Libanais. Un nombre considérable de Libanais a quitté le pays ces quelques dernières années. La recherche d’une stabilité financière, socioéconomique et politique était devenue primordiale. Nos proches, nos amis et même nos familles ont ainsi décidé, avec le plus grand des regrets, de quitter le pays des Cèdres, et de lutter pour assurer un certain sentiment de sécurité. C’est « la raison » qui le dicte. La situation actuelle au Liban ne fait que confirmer la légitimité de “cette raison”, et éteint progressivement tout espoir de retour. 

Et pourtant…

Les vols des Libanais expatriés en direction de leur terre-mère n’ont jamais cessé, et les embouteillages à l’aéroport international de Beyrouth ne font que s’intensifier. C’est avec une joie des plus pures, et une émotion profonde que nos confrères viennent retrouver leur pays. Un Liban appauvri, certes… mais un Liban riche d’un peuple extraordinaire, d’un peuple salvateur. La vie passe, le temps emporte avec lui les années de jeunesse. Chaque départ s’ensuit d’un retour. Chaque départ se fait plus déchirant, et à chaque retour, on se sent différent. Physiquement, moralement, rien n’est atemporel, mais une chose est sûre: l’expérience du retour est aussi éternelle qu’universelle. Le réveil matinal au chant des oiseaux ou celui des klaxons. Le thym majestueusement étalé sur une « man’oushe » bien chaude et croustillante. Le café noir servi dans ces tasses que l’on collectionne, celles que certains aiment retourner dans l’espoir d’y voir dessiné un symbole de bon présage. Nos plages de sables, nos plages de pierres, gardiennes de notre Méditerranée couleur azur. Nos montagnes, nos paysages exceptionnels, sortis droits d’une fresque éclatante. La somptuosité par laquelle nos montagnes revêtent nos plages, nous permettant ainsi de skier avec une vue panoramique sur la côte Méditerranéenne. Nos amis, nos compagnons de vie, nos acolytes Libanais, ceux qui comprennent notre angoisse, mais qui savent tout aussi bien l’estomper, ceux qui savent vivre et qui vivent bien, pleinement, ceux qui regorgent toujours d’énergie et sont capables de faire la fête jusqu’à l’aube prochaine. Nos familles, nos parents, nos grands-parents à qui l’on doit tout, les piliers du temple de notre patrimoine, de nos coutumes, de nos valeurs, ceux qui vouent leur vie à l’inculcation de ces même valeurs à leurs enfants: le sens de la famille, le don de soi, l’amabilité, et tant d’autres. 

Comment finir sans mentionner nos Cèdres? Plus je grandis, plus je comprends la perspicacité de notre drapeau national. Le Libanais est un cèdre, une espèce mystérieuse, incapable de faner, incapable de flétrir, malgré les déboires qui l’accablent au quotidien. Le Libanais est un cèdre, une espèce résiliente et fidèle, éternellement agrippé à sa Terre, par un réseau de racines inébranlables…

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