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Esquisse d'un Vécu Courbatu

Un cycle fort vient conclure un semestre mouvementé et diversifié, que ce soit au niveau des cycles précédents (et donc des études) ou au niveau de la situation dans le pays et dans la région. Un cycle fort, qui résonne avec notre vécu aujourd’hui, nos malheurs, nos douleurs, nos tristesses. Un cycle fort, qui tente d’éclaircir le passé, de nous le faire comprendre, de le comprendre lui-même, et qui tente, continuellement, de lutter, lutter pour une cause qui paraît sans espoir, une cause dont la flamme s’éteint peu à peu. 
Trois étincelles cependant viennent rallumer cet espoir affaibli, englouti, meurtri. Effectivement, ce cycle, « Comprendre la question palestinienne », nous présente donc, sur trois nuits, deux films et une masterclass – et discussion, plutôt – qui viennent illuminer le peu de savoir qu’on pense avoir ou posséder à ce sujet.

Le premier film projeté a donc été « The Palestinians » (1975) de Johan Van Der Keuken, un court documentaire d’environ trois-quarts d’heure. Ce documentaire s’ouvre sur une image d’un homme fixe et s’étend sur les premières quelques minutes du film. À cette image et cette ouverture assez statique, et plutôt inhabituelle pour un documentaire, une narration par voix-off vient s’ajouter. C’est la voix du réalisateur qui explique donc brièvement la situation de la région, des Palestiniens, etc… Il donne au spectateur le contexte nécessaire pour pouvoir poursuivre le film. Le film continue ainsi avec des plans qui alternent entre les Libanais du Sud du Liban (et même des plans de Beyrouth d’avant la guerre) et les camps des réfugiés palestiniens. Il réunit dans un chef-d’œuvre homogène et assez brut des plans fixes, des panoramiques plus ou moins rapides (des mouvements de la caméra vers la droite ou vers la gauche), etc… montrant les paysages, ainsi que des gros plans, des plans dans lesquels les personnages sont les sujets et des interviews. 

Le 2e film, « A World Not Ours » (2012) de Mahdi Fleifel est également un documentaire, mais qui se distingue par un caractère plutôt autobiographique et plus personnel, plus subjectif. En effet, Fleifel nous relate sa vie, qui commence à Ain-El-Helweh et se poursuit ensuite à Dubaï puis au Danemark. Il décrit le camp d’abord comme il le connaissait quand il était jeune, à savoir, en l’exposant, l’esquissant comme son propre « Disneyland », un monde enchanté, magique. Cependant, au fur et à mesure que les images s’affichent et que les différents personnages apparaissent, cette magie s’évapore, se dissipe, et tout ce qui reste n’est autre que la misère, les malheurs et la réalité brutale qu’endurent les Palestiniens. À travers des sauts dans le temps et une alternance entre du « old footage » et du « new footage » (avec même des vidéos prises par son père lorsqu’il était petit), Mahdi Fleifel nous attache aux personnages dépeints par sa caméra, par son pinceau à lui (dont son grand-père, Said, et surtout, Abu Eyad). 

Quant à la masterclass, n’étant pas vraiment un film, mais plutôt une discussion, elle se distingua des deux autres nuits par une certaine diversité au sein des extraits de 4 films d’Eliane Raheb, qui tous, néanmoins, se rejoignent à un certain degré, par leurs thèmes qui reviennent toujours à la guerre du Liban et à la situation de la région, ou par leur style de documentaire unique et attachant (que ce soit dans le film avec son père, « Sleepless Nights » sur Assaad Chaftari et Mariam, « Mayyel Ya Ghzayyel » sur Haykal, ou le documentaire très touchant et personnel sur Miguel). 

Et effectivement, à partir de cette dernière idée, (« documentaire très touchant et personnel »), toutes ces images transposent une réalité très personnelle, pertinente, à des dimensions sociales et politiques, surtout dans le contexte de guerre actuelle (et contexte constant, d’ailleurs), comme nous le dit justement Eliane Raheb dans sa masterclass. Et pour cause, avec la situation à Gaza aujourd’hui, avec la misère qui s’étend et le génocide qui se déroule silencieusement sans que personne intervienne, les sujets avancés par les films et la masterclass sont essentiels, nécessaires, plus que jamais. Avec la désinformation répandue et les fausses nouvelles qui ne cessent de circuler, ou même les lacunes et les manques dans le peu que nous connaissons à ce sujet, nous nous retrouvons amenés à accomplir notre devoir de citoyens, d’hommes, même, d’êtres humains, et à tenter de se joindre, même de loin, à la cause palestinienne. « A World Not Ours », par exemple, touche ainsi au plus profond de nous-mêmes, atteint une dimension perlocutoire, et fait remuer en nous les sentiments de sympathie et de compassion. À travers Abu Eyad, Said, et plusieurs autres personnages, nous commençons à comprendre ne serait-ce que le bout de l’iceberg que les Palestiniens de Gaza (et tous les Palestiniens, inévitablement) vivent aujourd’hui et éprouvent. On réalise que beaucoup, comme Abu Eyad, ne sont pas des révolutionnaires, n’ont jamais voulu de guerre et ne veulent qu’une vie simple et loin des problèmes. Nombreux donc sont ceux qui ne veulent pas résister, mais juste survivre, et se retrouvent hélas enfermés, pris au piège, sans nulle part où échapper. Les histoires auxquelles nous avons donc assisté ces trois semaines ont beau être uniques, personnelles, il est vrai ; mais d’une certaine manière, ces histoires deviennent universelles, atemporelles, et représentent, incarnent même, la situation des Palestiniens aujourd’hui.

Ainsi, non seulement cette activité (ce cycle) touche les Palestiniens actuels, mais nous touche, nous aussi, Libanais, et nous, étudiants (Libanais) en cinéma, en particulier. Effectivement, étant des artistes et cinéastes en herbe, ce sujet nous affecte immédiatement et crée en nous un certain bouillonnement, une frustration, une rage devant toutes ces atrocités qui nous poussent donc à agir. Et de fait, le cinéma étant un moyen d’expression, et même parfois un outil qui peut être employé, plié à des causes sociales, politiques, etc…, cette situation nous donne donc l’envie de relater justement ces histoires, de donner une voix à ceux qui souffrent, qui n’ont personne pour les écouter, et ainsi de dévoiler au monde la vérité. C’est donc notre devoir, en tant qu’étudiants, d’assumer notre responsabilité, le poids de notre identité en tant que Libanais, Arabes, et habitants de la région.

En conclusion, c’est donc un cycle avec des thèmes qui se rencontrent fortement qui clôture notre aventure au ciné-club. C’est une fenêtre vers le passé, un pont vers un peuple délaissé, non écouté, souffrant, agonisant. C’est un sujet atemporel, une question perpétuellement disputée. Et c’est, plus particulièrement, un appel à l’humanité, un cri de désespoir.

Ce cycle était donc, clairement, un appel à l’action.

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