Van Gogh, Lamartine, et la branche d’amandier

Nadim CHOUEIRI
Lundi 14 décembre 2020
Organisateurs


Qui aurait cru qu’une simple branche d’amandier aurait été la source d’inspiration de deux des plus grands artistes du XIXème siècle ? 

L’un est considéré comme l’un des pères du romantisme, et l’autre comme l’un des artistes les plus influents de la même époque. Il s’agit bel et bien d’Alphonse de Lamartine et de Vincent Van Gogh. 

Tous deux auraient ressenti ce désir de dépeindre – l’un par ses mots, et l’autre par ses coups de pinceau – un amandier en fleurs. Il est vrai que ceux d’entre nous ayant déjà eu la chance d’en apercevoir un comprendront ce désir, parce qu’un amandier en fleur, cela est riche : tant en beauté, qu’en symboles. Nous pourrions voir en un amandier en fleurs un symbole de renaissance : à chaque printemps, le voilà qui refleurit, et nous rappelle que finalement après chaque hiver hostile vient un printemps vibrant de chaleur et de couleurs. 

Lamartine aurait vu en l’amandier en fleurs un symbole de beauté, comme il le dit au début de son poème : 

« De l’amandier tige fleurie,
Symbole, hélas! de la beauté,
Comme toi, la fleur de la vie
Fleurit et tombe avant l’été. »

Lamartine, La branche d’amandier, in Méditations poétiques, 1820.


 

Toutefois, il utilise cette figure de la branche d’amandier en fleurs pour nous rappeler, que tout comme ces fleurs, la beauté, ainsi que l’amour, ne sont pas éternels mais éphémères. Nous retrouvons donc en cette branche d’amandier, grâce à Lamartine, le message qui fut tant énoncé par la littérature, qui est celui du Carpe Diem : il nous invite à vivre, à profiter de l’amour, à profiter de la beauté en général tant qu’elle existe encore : 

« Un jour tombe, un autre se lève;
Le printemps va s’évanouir;
Chaque fleur que le vent enlève
Nous dit : Hâtez-vous de jouir.

Et, puisqu’il faut qu’elles périssent,
Qu’elles périssent sans retour!
Que ces roses ne se flétrissent
Que sous les lèvres de l’amour! »

Lamartine, La branche d’amandier, in Méditations poétiques, 1820.

 

Pour lui, puisque nous sommes voués à disparaître, tout comme les roses et les fleurs qu’il cite, autant vivre pleinement, et s’abandonner avec hâte, pour le reprendre ainsi, aux jeux de l’amour et à l’amour en général. 

Van Gogh aurait représenté cette idée de Carpe Diem par un seul élément : le vase. Le fait que la branche d’amandier en fleurs soit placée dans le vase d’eau nous rappelle que finalement, elle n’est pas éternelle. Nous pourrions voir en cette peinture la représentation parfaite du poème de Lamartine. Nous pouvons observer certaines couleurs vives, chaudes, comme le jaune sur la table, ainsi que le beige, ce qui instaure une ambiance chaleureuse au tableau. La couleur verte que nous voyons sur la branche d’amandier ne peut être que le symbole de la vie qui agite encore cette branche, et la couleur rosée des fleurs pourrait se  référer à l’amour, à la douceur de la vie. En bon postimpressionniste, il tente de transmettre des sentiments et des « messages » par la couleur. 

Toutefois, tout comme Lamartine, Van Gogh est également désireux de dépeindre le fait que cette branche d’amandier est éphémère. Le premier élément traduisant cela est en effet le vase : elle a été coupée de l’arbre qui lui procurait de la vie, et donc va voir son existence raccourcie. Le deuxième élément traduisant la fugacité de cette branche, qui symbolise finalement l'éphémérité humaine évoquée par Lamartine, est la couleur grise du mur. C’est  comme si toute cette vie de la branche d’amandier, toute cette douceur et toute cette chaleur représentées par les couleurs (de la table et de la branche), se faisaient sur fond gris, un gris qui ne peut que symboliser la condition de tout amour, de toute beauté et de notre humanité : elle a une fin. Nous laisserons les lecteurs de cet article analyser la symbolique de la ligne rouge tracée sur le mur gris…