L’identité de la personne en droit libanais. Étude de droit privé

Thèse de doctorat en droit soutenue par Youmna Makhlouf à l’Université Paris II Panthéon-Assas, le 16 décembre 2021 sous la direction du Professeur Léna Gannagé
Année 2024

L’identité juridique de la personne en droit libanais est au cœur de la dialectique entre l’universalisme des valeurs et le respect de la diversité. C’est ainsi que celle-ci vise à refléter le particularisme de la société libanaise qui se distingue par la multiplicité des croyances individuelles et collectives dans un cadre qui assure la liberté et l’égalité des individus indépendamment de leurs appartenances religieuses. La Constitution garantit dans cette mesure des droits fondamentaux par nature individuelle, mais reconnaît également des droits collectifs aux communautés religieuses.

La recherche de l’universalisme dans le respect de la diversité conduit à des tensions permanentes qui se traduisent par la dualité des identités. L’identité civile, celle qui désigne les éléments d’identification et d’individualisation de la personne (sa singularité juridique), intègre l’identité communautaire, c’est-à-dire l’appartenance de l’individu à une communauté religieuse. L’identité individuelle qui se construit donc à partir de plusieurs éléments se double de l’identité collective, c’est-à-dire de celle des groupes et en particulier des communautés religieuses.

Cette dualité des identités impose de préciser la nature des rapports qu’elles entretiennent. Les interactions entre ces identités multiples sont parfois paisibles. Dans ce contexte, il apparaît que l’identité communautaire est un élément de construction de l’identité civile dans la mesure où elle détermine les droits et les obligations de la personne et intègre son état civil. Mais dans plusieurs cas, les relations entre les identités consacrées par le droit libanais sont conflictuelles. C’est ainsi que l’identité civile est tout d’abord un facteur de perturbation de l’identité communautaire dans la mesure où l’état civil reflètera dans certains cas des liens de parenté consacrés ou prohibés par les pratiques religieuses comme la filiation adultérine. C’est ensuite l’hypothèse de l’identité individuelle qui est aux prises avec l’identité collective notamment lorsque l’individu cherche à se construire en marge de la communauté religieuse et que le groupe essaye dans un sens contraire de s’approprier de l’individu en le soumettant à des contraintes internes.

Dans cette perspective, la recherche des voies de la coexistence entre les différentes identités s’impose. Ces voies se sont fondées jusqu’à présent sur la volonté individuelle. L’individu qui ne s’aligne pas sur les pratiques du groupe devrait sortir de sa communauté religieuse ou recourir à des actes juridiques afin d’échapper aux contraintes qui pourraient résulter de l’application des droits religieux. Cette voie reste toutefois insuffisante. Outre les critiques qui peuvent être adressées à ses fondements, elle repose sur l’illusion d’une volonté abstraite et puissante dont l’effectivité est toutefois démentie par le poids de la réalité. Le recours à la volonté individuelle s’accompagne ainsi d’un coût qui n’est pas à la portée de tous les individus. C’est dans cette perspective que l’intervention de l’État s’impose. Cette intervention sera ainsi précisée à la lumière du principe de neutralité de l’État tel qu’il découle de l’article 9 de la Constitution libanaise.