Les aubergines désespèrent d’être cueillies.

Jana ABI NAKHLE
Samedi 28 novembre 2020
Organisateurs


Au Liban, pays des antipodes, il semblerait que l’aubergine, ingrédient de base dans la cuisine arabe, soit également concernée. Entre adorateurs et haïsseurs de ce fruit (il s’agit bien d’une baie selon la classification botanique !), on se demande s’il n’existe pas une sorte de malédiction qui date depuis la nuit des temps…  

La récolte d’aubergines remonte au Ier siècle avant J.C. selon des études génomiques démontrant que l’aubergine dérive d’une plante sauvage – Solanum incanum – d’Afrique domestiquée au sud de la Chine – à Yunnan – et en Inde de l’Est. On raconte qu’en Chine, une femme ne serait prête à se marier que lorsqu’elle est en mesure de réaliser correctement au moins douze recettes à base d’aubergines !!

 

Ce n’est qu’à l’époque Abbasside que l’aubergine est introduite au monde arabe à Bagdad et c’est après la révolution agricole qu’on assiste à la propagation des aubergines le long de la méditerranée jusqu’en Andalousie. Elle n’est réservée qu’à la haute société et est désormais fortement controversée : certains la glorifient pour ses vertus gustatives alors que son goût amer, voire venimeux, déplait à d’autres. Un poète arabe a même attribué la couleur de l’aubergine à celle du ventre du scorpion en plus de son goût semblable à la piqûre  du prédateur. Même les italiens croyaient initialement que quiconque mangeait la « pomme folle » deviendrait certainement fou. 

 

Au XVIIIe siècle, l’aubergine est finalement à portée de main du peuple. Elle est notamment frite, ce qui cause d’innombrables incendies dévastateurs. C’est peut-être pourquoi le mot aubergine dans le dialecte arabe moderne « baydhinjān » sous-entend « la demeure du diable » alors qu’en sanscrit, « vatin-ganah » signifierait « plante anti-flatulence ». 

Il faudra attendre le début du XIXe pour qu'elle prenne définitivement sa place sous la forme allongée typique – Solanum melongena –que nous connaissons avec l’émergence du Hummus à Damas, ce qui conduit à la création d’un cousin à base d’aubergine, la fameuse purée « Baba Ghannouj ».

Après avoir fait défiler chronologiquement les racines de notre aubergine nomade, il est temps de retourner au Liban où nous attend le fameux « Sheikh el mahshi », une adaptation de son ancêtre turque « İmam bayıldı » (L’imam s’est évanoui). Ce dernier est si succulent par sa simplicité végétalienne qu’un imam se serait évanoui d’extase selon la légende ! Dans les cuisines libanaises, on présente ce plat en rondelles en y ajoutant  de la viande hachée. Quoi qu’il en soit, l’aubergine sera-t-elle reine à l’issue de ce combat tumultueux ?