Il existe un proverbe russe qui dit : « quand on tombe dans l’eau on n’a plus peur de la pluie », et malheureusement ce n’est que la vérité. Les personnes qui étaient à Beyrouth lors de la fatale explosion étaient incontestablement éclaboussées par cette eau terrible, et à vie, j’en suis sure.
Pour moi qui adore les livres et les longues heures passées dans les bibliothèques à l’abri du mouvement de la vie, il m’est très difficile aujourd’hui de pouvoir imaginer mes journées loin des rayons de la Bibliothèque Orientale. Pour une personne comme moi qui a choisi de continuer ses études un peu partout dans les bibliothèques du monde, je ne peux m’empêcher de penser sans cesse à l’atrocité de cet incident barbare qui nous a laissé émus et traumatisés, abandonnés sans notre très chère Bibliothèque Orientale.
Dix-huit heures et quelques minutes, mardi 4 août 2020, nous sommes quatre rats de bibliothèque plongées dans la salle de lecture de la Bibliothèque Orientale à Monot finalisant une encyclopédie en littérature arabe, quatre personnes ignorant que leurs vies allaient être sauvées par Sartre, Rousseau, Marx, Moutanabbi et Jahez.
Dix-huit heures et quelques minutes, on ne comprend plus rien, le monde bascule autour de nous, nous pensons à notre personne, aux collègues à coté de nous, à nos proches, à la ville en dehors de ces murs couverts d’ouvrages datant de centaines d’années d’intellect et de connaissance. Comment faire ? faut-il sortir ? rester à l’intérieur ? se cacher sous les tables ? se cacher dans les escaliers comme les personnages des romans de guerre ? que faudrait-il emporter ? les ouvrages ? les ordinateurs ? de la monnaie ? les clés des portes volées en éclats?
Dix-huit heures et quelques minutes, les caméras de la Bibliothèque Orientale nous rappellent ce que nous avons horreur de revoir. De longs moments de peur, d’hésitation et d’incompréhension ; de longs moments flous où notre seul abri des débris de vitres, de bois et de plastique était les petits ouvrages écrits par les grands de l’humanité. Ces ouvrages qui ne cessent de nous sauver et qui seront au final le vrai salut de ce pays.
Katia AL Tawil
Doctorante et chercheur en littérature Arabe