Modélisation préliminaire de la trajectoire des masses d’air provenant de l’explosion du port de Beyrouth durant les premières 24 heures suivant les émissions de polluants (EMMA-FS-USJ).
La catastrophe de Beyrouth du 4 août 2020 au port de Beyrouth nous rappelle malheureusement du retard et des manquements que nous avons dans notre cher pays à tous niveaux tant éthique, qu’économique, sanitaire, environnemental, etc. L’explosion due très probablement à une quantité énorme de nitrate d’ammonium, déclarée par les autorités à 2750 tonnes, a émis à très grande vitesse un nuage vertical de polluants toxiques, mais aussi une vague horizontale plus près de la surface et dans toutes les directions au moment de l’explosion. Les quantités émises sont importantes confiant au nuage sa couleur rouge-orangée due à la présence de dioxyde d’azote (NO2) résultant de cette réaction violente.
Vu les conditions météorologiques notamment la direction du vent qui règne normalement le soir et même toute la nuit sur cette partie de la capitale comme déterminée par nos études antérieures de l’équipe « Emissions, Mesures et Modélisation Atmosphériques » (EMMA) de la Faculté des sciences de l’Université Saint Joseph de Beyrouth, confirmée par observation le soir de la tragédie et par les mesures de la direction de vent prises dans la banlieue de la capitale, le vent a entrainé la partie basse du nuage vers le large et a dispersé les polluants de manière efficace diminuant ainsi leur concentration considérablement ainsi que leur impact sanitaire important. Cependant, la partie élevée du nuage risque de voyager assez loin pour atteindre des pays voisins. La modélisation préliminaire de la trajectoire de cette partie élevée du nuage montre qu’il risquerait de voyager vers les pays du Golf Arabe comme la Syrie, l’Iraq, la Jordanie, et l’Arabie Saoudite (voir figure). Cela reste à confirmer par des mesures précises et ciblées menées par les différents pays vu que l’impact dépendra de maintes facteurs.
Quant aux polluants relâchés de manière plus proche de la surface et notamment les particules en suspension, leur impact dans les premières heures était assez important avec des concentrations élevées qu’on pouvait détecter à l’œil nu. Les concentrations ont diminué ensuite assez rapidement mais en atteignant plusieurs kilomètres de rayon autour du port. Ces particules ou poussières, de manière plus vulgarisée, se sont déposées sur nos rues, sur nos vitres brisées, sur nos balcons, même peut-être à l’intérieur de nos résidences. Le vrai risque à l’heure actuelle est de resuspendre ces poussières, qui après l’explosion ce sont mélangées aux débris de verre ou même les particules fines du verre brisé, dans l’air et les respirer à nouveau. L’alarme est réelle mais la gravité de la situation peut être diminuée par les mesures simples mentionnées ci-dessous.
L’impact sanitaire du NO2 et du nitrate d’ammonium peut être résumé par l’irritation des voies respiratoires, des yeux et de la peau au contact de concentrations élevées, risque à prévenir surtout durant les périodes de nettoyage des débris dans les rues et les résidences. Les particules, quant à elles, pourraient contenir aussi différents composés chimiques relâchés de manière conséquentielle de produits existants sur le port et qui auraient un effet néfaste. Cette information ne peut être confirmée qu’après étude sur le terrain et analyses plus approfondies.
L’impact au niveau national de la pollution atmosphérique engendrée par ce drame est le plus important dans les 5 à 10 premiers kilomètres du site de l’explosion et devient moins important au-delà de cette distance.
Bien que pour le moment et par chance (la direction de vent favorable), nous avons eu de plus faibles concentrations en polluants mais la toxicité des particules résultantes reste à déterminer. La panique quant à la pollution atmosphérique ne devra pas gouverner les esprits, mais il est indispensable de prendre des précautions surtout durant toute la période de nettoyage des rues et des résidences et jusqu’à avoir une confirmation et une vision claire sur plusieurs points quant à la nature des composés chimiques sur les particules en suspension.
Voici quelques recommandations pour les précautions à prendre :
Pour les personnes à domicile :
- Fermer les fenêtres surtout dans les quartiers où des travaux de nettoyage ont lieu
- Faire fonctionner les climatiseurs et notamment les unités « split » qui se trouvent dans la majorité des résidences
- Nettoyer les balcons en pulvérisant de l’eau sur les surfaces afin d’éviter de la resuspension des particules déposées
- Nettoyer les surfaces à l’intérieur des résidences avec des chiffons humides et en portant un masque afin d’éviter de respirer des particules venant de l’extérieur
- Ne sortir dans les quartiers où les travaux de nettoyage ont lieu qu’en cas d’extrême urgence : emprunter des itinéraires alternatifs.
Pour le nettoyage des débris dans les quartiers et les bâtiments endommagés :
- Porter un masque au moins N95, des gants et chaussures adéquats ainsi que des lunettes fermées. Les débris de verre, même infiniment petits, peuvent causer de graves problèmes.
- Pulvériser de l’eau en quantité adéquate sur les surfaces à nettoyer pour éviter la resuspension des particules et poussières. La fréquence devra être assez élevée vu la température élevée durant les journées d’été et l’évaporation rapide de l’eau en été.
- Couvrir tout transport de débris même acheminés en brouette.
- Minimiser la resuspension des débris durant le chargement et déchargement.
Paix aux âmes des victimes et prière pour le rétablissement des blessés !
Professeur associé Charbel Afif
Chef de département de Chimie
Directeur de l’équipe EMMA
Faculté des sciences
Université Saint Joseph de Beyrouth