Par Emmanuel Khoury, in L'Orient - Le Jour, samedi 20 juin 2020.
Présidé par Roula Haddad, étudiante en première année de master en psychologie clinique et pathologique, le Club de la santé mentale tente d’accompagner les étudiants de l’USJ dans leurs questionnements en cette période de pandémie.
«Aujourd’hui, les étudiants libanais ne sont pas bien sur le plan mental. Il faudrait faire des statistiques, mais il est évident qu’un nombre important d’entre eux souffrent de la situation actuelle. Quand certains sont plus affectés par la pandémie que par la crise économique parce qu’ils viennent de milieux plus aisés, d’autres ne pensent même plus à la pandémie: ils ont surtout peur de ne pas trouver de travail à la fin de leurs études», s’inquiète Roula Haddad, présidente du Club de la santé mentale à l’USJ, fondé en mars 2019.
Avec pour but principal de sensibiliser la jeunesse aux troubles mentaux et à la santé mentale, «le club décline ses activités autour de deux objectifs: réduire la stigmatisation autour de la santé mentale et des personnes souffrant de maladie mentale, et mettre en évidence l’importance des traitements psychologiques et psychiatriques, dans un pays où ces sujets restent encore un tabou», explique sa présidente. Étudiante en première année de master, spécialisée en psychologie clinique et pathologique, approche comportementale et cognitive, Roula Haddad était en échange au Canada ce semestre et vient de rentrer, rapatriée avant la fin des enseignements, il y a moins d’un mois. «Au Canada, les clubs de psychologie universitaires similaires au nôtre peuvent travailler sur des points spécifiques très ciblés, mais nous au Liban, nous en sommes encore au point de départ: nous cherchons seulement à réduire la stigmatisation pour ensuite viser d’autres sujets. L’année dernière, on a fait plusieurs interventions dans des écoles comme les Saint-Cœurs de Ghazir ou Saint-Joseph de Antoura, pour parler de thèmes tels que le harcèlement, l’anxiété ou l’image du corps. On a aussi collaboré avec l’ONG Cénacle de la lumière, qui accompagne les toxicomanes dans leur réhabilitation. On a aussi entrepris des interventions pour plus de 120 étudiants de l’USJ issus de plusieurs facultés, pour parler de l’abus de substances, drogue et alcool. Mais cette année, à cause de la révolution et de la pandémie, nos projets ont été interrompus», déplore l’étudiante.
Une anxiété à réguler
Les 5 membres du bureau et 25 participants réguliers du Club de la santé mentale, étudiants en psychologie, en médecine dentaire, en psychomotricité ou en orthophonie, ne sont pas restés les bras croisés au cours de cette année universitaire qui a été certainement une des plus complexes à gérer de ces dernières années. «Au bout de plusieurs semaines de confinement, on a lancé une campagne sur les réseaux sociaux, intitulée Arib Mn b3id (proches de loin), initiée par le Service de la vie étudiante de l’USJ. Nous avons organisé un Instagram Live avec Éliane Besson, une psychologue professionnelle: toutes les personnes qui avaient des questions concernant leurs inquiétudes ont pu avoir des réponse de la part d’une professionnelle de la santé», explique Roula Haddad. Cette rencontre, suivie par 140 personnes pendant le Live et dont l’enregistrement sur Facebook a fait 150 vues et sur Instagram 450, a pu mettre en évidence un certains nombre de tourments vécus par les étudiants, qui se demandaient par exemple comment rester positif dans le contexte actuel, comment réduire son anxiété, ce qu’il y aura après la pandémie, et certains ont même soulevé le problème de la baisse de libido… Il y avait aussi des parents qui s’inquiétaient pour leurs enfants, se demandant comment leur faire passer le temps de manière productive et que faire avec leurs jeunes atteints d’autisme», poursuit la présidente.
Pour prévenir la dépression et la détérioration de la santé mentale des étudiants, le club a aussi développé une rubrique sur ses réseaux sociaux, appelée Good News, dans laquelle sont postées régulièrement des bonnes nouvelles liées au taux de guérison, à la vaccination, ou des idées de livres, de recettes, de films... La rubrique CoVideo permet aussi, à ceux qui le souhaitent, d’envoyer des vidéos pour témoigner de leur vécu durant le confinement. Mais dans quelle mesure ces tentatives pourront-elles préserver les jeunes du contexte de crise délétère dans lequel se trouve leur pays ? «Cette année, ce qu’on a pu constater chez les étudiants de l’USJ, c’est qu’il y a en effet un stress profond, une grande incertitude. L’université fait tout son possible, mais il y a beaucoup de changements qui, forcément, ont un impact sur la santé mentale. Et tout particulièrement concernant les gens déjà anxieux ou dépressifs ou qui ont des troubles obsessionnels compulsifs. Le stress peut jouer sur leur productivité, créer de l’insomnie ou de l’hypersomnie, et de la dépression. Les jeunes sont surtout inquiets pour leur avenir: ils ne savent même pas ce qu’ils feront l’année prochaine», explique Roula Haddad.
Cette dernière revient sur la perception négative de la psychologie au Liban: «Beaucoup disent encore que nous sommes les médecins des fous, que nous ne faisons qu’écouter les problèmes des gens toute la journée, sans véritable utilité. Mais, et c’est là que réside le grand paradoxe: les cabinets des psychologues sont plein à craquer.» De plus, elle pointe du doigt ce qu’elle considère comme étant un problème majeur dans le monde de la psychologie dans son pays: la recherche universitaire. «Il y a encore beaucoup de travail à faire sur ce point. Nous sommes, certes, très avancés en clinique, nos cursus universitaires sont centrés sur cela. Mais il n’y a pas vraiment de centre de recherche au Liban exclusivement consacré à la santé mentale. Or, nous avons besoin de tels centres, surtout à l’heure actuelle, car c’est toute la société qui en tirerait bénéfice», conclut l’étudiante.