De la littérature pour ébranler les tabous

Mardi 18 février 2020

Par Nour OBEID, étudiante en lettres françaises au CLN de l’USJ, in L'Orient - Le Jour, samedi 29 février 2020.

Un roman en français de l’écrivain tripolitain Saïd Wali était au centre d’un débat au campus Liban-Nord de l’USJ. 

C’est avec beaucoup de générosité et de bienveillance que l’écrivain Saïd Wali a donné le change aux étudiantes des départements de littérature française de l’USJ et de l’Université Libanaise (UL) le mardi 18 février. Une rencontre inter-universitaire, organisée en partenariat avec l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), qui a permis de soulever des thèmes sensibles tels que le rôle de la femme dans la société tripolitaine, l’évolution de l’éducation et son rôle dans l’affranchissement des anciennes traditions archaïques, la nécessité de lutter contre toutes formes d’injustice sociale et de despotisme, ou encore l’importance de la littérature pour combattre les tabous de la société traditionnelle libanaise. « Le Dr Saïd Wali est un écrivain qui a beaucoup voyagé. Mais bien qu’il soit riche de ces expériences et de la connaissance de ces cultures autres, il avait dès le départ élu Tripoli pour sa retraite. D’où vient ce désir si fort de rester à Tripoli ? », a demandé Lucie, une étudiante en deuxième année de littérature française à l’UL. Wali, qui a longtemps enseigné la didactique à l’Université Libanaise du nord, précise que pour lui Tripoli n’est pas seulement sa ville natale, elle est aussi le lieu où il s’est trouvé confronté à des esprits arriérés et à nombre d’injustices sociales. Il décide alors d’être un objecteur de conscience, de décortiquer et de dénoncer ce qu’il observe autour de lui. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle dans son roman À l’écoute des morts, il insiste sur l’absurdité de la guerre civile qui opposa deux quartiers de Tripoli-Liban, Jabal Mohsen et Bab el-Tabbeneh, à travers une narration oscillant entre fiction et réalité, structurée en 5 chapitres dans lesquels des défunts tripolitains racontent les sévices qu’ils ont subis de leur vivant. 

Mme Rima Mawloud, professeure chargée de cours à la faculté des lettres III à l’UL, et qui est à l’origine de la rencontre, estime que dans son roman Saïd Wali franchit les limites assignées par la société dans les pays arabes, en donnant l’exemple d’une jeune femme, qui, pour sauver l’image de son mari (qui lui cachait sa stérilité), lui donne un enfant en ayant recours à un autre homme, tout en étant persuadée qu’elle ne le trahit pas. En faisant cela, elle déforme la logique de la religion pour l’adapter à toute fin utile. Cette question de la liberté de la femme aujourd’hui à Tripoli, soulignant une certaine évolution dans les mœurs, a suscité de nombreuses réactions chez les étudiantes qui ont également énormément réagi aux autres thèmes présents dans le roman tels que l’obscurantisme, la pédophilie, les enfants opprimés et torturés par leurs parents, les abus sexuels. L’auteur a répondu, toujours avec justesse, aux nombreuses questions et réactions des étudiantes, partant de son vécu et de ses observations de la société. Ce qui justifie l’opinion d’Emmanuel Khoury, coordinateur du département de littérature française au campus du Liban-Nord de l’USJ, qui a déclaré : « À l’écoute des morts est un roman osé, polémique, fort qui bouscule et attaque les nombreux tabous de la société libanaise actuelle ». Et en effet, à titre d’exemple, lorsque Saïd Wali raconte l’histoire du mariage d’un polygame quarantenaire avec une adolescente orpheline, il questionne les us et coutumes d’une époque. Selon l’auteur, malgré l’ouverture du monde et son développement, on note parfois la présence des victimes des préjugés ancrés depuis longtemps dans l’inconscient collectif de la génération actuelle.