Par Nour Braidy à Philadelphie, in L'Orient - Le Jour, lundi 3 février 2020.
«Désolé mon bureau est en désordre, je n’y suis jamais! » Pascal Jabbour, chef du département de chirurgie neurovasculaire à l’hôpital universitaire Thomas Jefferson de Philadelphie, se fraie un passage entre livres et piles de papiers pour atteindre la chaise, derrière ce bureau qu’il côtoie peu. Il vient de terminer une longue journée de chirurgie et dans quelques heures il prendra l’avion pour Vienne. Sous sa blouse blanche, le col fleuri de sa chemise rayée apparaît, comme un écho à ses chaussures sur lesquelles est brodé un curieux personnage. À 46 ans seulement, ce Libanais est à l’origine de nombreuses «premières» dans sa spécialité, la neurochirurgie. En décembre 2019, il a été le premier, aux États-Unis, à poser un stent avec un robot en passant par l’artère du bras (abord transradial). C’est de cette manière qu’il a soigné un patient qui, suite à un accident vasculaire cérébral (AVC), souffrait d’une sténose sévère de la carotide. «Devant une console dans une autre pièce que le patient, je manipule le robot qui est connecté au cathéter et le fais avancer dans les vaisseaux, explique le docteur Jabbour. Le patient avait les vaisseaux tortueux. Il était donc beaucoup plus simple et précis de réaliser cette procédure avec un robot plutôt qu’à la main. »
Cette «première» ouvre la voie à d’importants développements, à commencer par le traitement à distance de patients victimes d’AVC (remote stroke intervention). «Souvent, je reçois des patients qui arrivent à l’hôpital en hélicoptère et c’est parfois trop tard. À long terme, il suffira que le bras du robot soit installé dans des hôpitaux communautaires pour que je puisse traiter l’AVC à distance, depuis le centre-ville de Philadelphie. Cela permettrait de sauver beaucoup plus de patients. »
« Je veux devenir chirurgien »
L’histoire de Pascal Jabbour, enfant de la guerre et originaire de Miziara, si elle doit débuter quelque part, c’est quand, à quatre ans, il subit une une ablation des amygdales à l’hôpital Jeitaoui. À la fin de l’opération, les médecins lui remettent une petite blouse blanche. «Une fois à la maison, je l’ai enfilée et me suis mis à courir dans tous les sens en criant: Je veux devenir chirurgien! »
Quatorze ans plus tard, après être passé sur les bancs du Collège des frères à Gemmayzé puis du Collège des frères Mont La Salle, Pascal Jabbour présente le concours de médecine et est admis à l’Université Saint-Joseph. Depuis qu’il a trois ans, période à laquelle ses parents ont divorcé, Pascal Jabbour est élevé par ses grands-parents maternels et sa tante. Quand il réussit le concours, sa grand-mère lui dit: «Tu iras à l’USJ même si je dois vendre toutes mes possessions pour cela. »
C’est lors d’un passage à l’hôpital Hôtel-Dieu de France, au cours de ses études, qu’il découvre la neurochirurgie. «J’en suis tombé amoureux et j’ai décidé que c’était ce que je voulais faire.» Au bout de quatre ans de résidanat, il a l’opportunité de poursuivre ses études en France. Mais par amour du challenge, il veut aller aux États-Unis. «On me disait que c’était impossible.» Il fait la connaissance de Issam Awad, neurochirurgien aux États-Unis, de passage à Beyrouth. Le Dr Awad lui propose un mois d’observation à l’Université du Colorado qu’il préside. Cette année-là, en 2002, Pascal Jabbour a 29 ans et ne peut plus reporter son service militaire obligatoire. Il part quand même, accompagné de son épouse, Maria, qu’il a rencontrée alors qu’elle faisait des études en sciences infirmières à l’USJ. «J’étais désormais considéré comme ayant fui le service militaire et je risquais la prison au Liban», se souvient-il.
Durant son mois outre-Atlantique, Pascal Jabbour se bat sur tous les fronts. «Rentrer au Liban signifiait la prison, je devais donc absolument me trouver un résidanat. » De son petit appartement à Denver, sur un matelas posé à même le sol, il envoie des lettres, manuscrites, «partout où j’avais une chance d’être pris». En même temps, il profite autant que possible de son expérience à l’Université du Colorado. «Je me réveillais à 3h du matin et rentrais chez moi à 22h. » Au bout d’un mois, l’assiduité de Pascal Jabbour paie. Imad Awad, devenu son mentor, lui propose de rester un an, puis deux.
« Aider des étudiants libanais »
Puis, Pascal Jabbour décide de poursuivre son résidanat à l’hôpital Jefferson, à Philadelphie. Il y est admis après qu’un autre résident eut été renvoyé. «Ce qui n’était pas très rassurant», dit-il en riant. Là, il fait aussi un fellowship, une sous-spécialité en neurochirurgie: la chirurgie vasculaire, c’est-à-dire la chirurgie des vaisseaux du cerveau, des carotides et des vaisseaux sanguins de la moelle épinière. Il pratique la chirurgie ouverte (incisions) et l’endovasculaire (aller à l’intérieur du vaisseau avec des cathéters). «À l’époque, 25 chirurgiens seulement pratiquaient ces deux types de chirurgie. Aujourd’hui, nous sommes une soixantaine.»
Il y a cinq ans, Pascal Jabbour est devenu le chef du département neurovasculaire. «Je suis aussi en charge des réseaux sociaux du département, ajoutet-il. Je suis très actif !» Son équipe est composée de sept neurochirurgiens, 21 résidents, trois fellows (internes de spécialité) et un research fellow. Un poste dont le jeune neurochirurgien a décidé qu’il serait réservé aux étudiants libanais. «Venir aux États-Unis a été très dur pour moi. Alors je veux les aider à se construire une carrière, comme Issam Awad m’a aidé.»
Alors, chaque année ou tous les deux ans, il sélectionne un futur médecin libanais. Ce dernier, guidé par Pascal Jabbour, fait un travail de recherche et publie 50 à 70 articles scientifiques afin de renforcer son CV. «Ce n’est pas facile, mais c’est comme cela qu’ils se donnent les moyens de réaliser le rêve de leur vie.»
386 articles, trois livres et 1 200 bouteilles de vin
S’il est désormais bien installé, le Dr Jabbour, qui se suffit de cinq heures de sommeil par jour, n’a pas levé le pied pour autant. Le chirurgien, père de deux enfants, voyage chaque mois, «seulement 24 ou 36 heures», pour donner des conférences dans le monde entier. Il compte à son actif 386 publications dans des revues médicales, deux livres traduits en plusieurs langues. Dans son bureau, il a conservé une copie d’un de ses livres en chinois et une autre en espagnol. «Je suis aussi sommelier certifié !» lance cet hyperactif, quand on croyait être arrivé au bout de son emploi du temps déjà chargé. Passionné de vin, fier propriétaire d’une collection de 1200 bouteilles, il a décidé l’année dernière de prendre des cours intensifs pour devenir sommelier. «Maintenant je peux travailler dans n’importe quel restaurant. Et je vais essayer de le faire durant les weekends», confie-t-il, souriant.
S’il fait une pause, le temps de regarder le chemin déjà parcouru, il est une réalisation dont il dit qu’elle le rend le plus fier: avoir contribué à sauver des enfants ayant une tumeur de la rétine. Comment ? En injectant le traitement chimiothérapique dans la tumeur, en passant, via un cathéter, dans l’artère ophtalmique. Avant cette technique, 80% des enfants subissaient une énucléation. «Je suis l’un des premiers à avoir pratiqué cette technique. La première fois, c’était en 2009, sur un enfant de trois mois. Depuis, j’ai traité plus d’un millier de cas. Et 50% de mes patients viennent du monde entier», dit-il. Aujourd’hui, Pascal Jabbour est en train d’écrire un livre sur l’abord transradial, le premier sur le sujet. Mais son rêve, son grand rêve, est de «trouver, un jour, un moyen de régénérer les neurones qui sont morts après un AVC».