L’économiste et banquier Freddie Baz a été l’invité de la Faculté de sciences économiques de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ), pour une conférence-débat autour du thème « Liban : la crise monétaire du point d’inflexion au point de basculement », à l’Auditorium François S. Bassil du Campus de l’innovation et du sport, rue de Damas.
M. Baz a tenu à préciser d’emblée, qu’en parlant de la crise monétaire aiguë et épineuse que traverse le Liban, il faut souligner qu'une grande partie de ce qui est dit à ce sujet tourne malheureusement au sensationnalisme. « Je vais donc me concentrer, précise Baz, sur la dimension scientifique et technique du sujet. »
« Il y a trois générations de crises monétaires, enchaine Baz, qu’un pays comme le Liban, caractérisé par une petite économie, ouverte sur l'extérieur, peut traverser, et nous sommes dans la troisième génération qui est la plus grave. Mais cette crise n'est ni spontanée ni indépendante, mais progressive. Elle a commencé avec la première génération dans un contexte où aucune mesure préventive n’a été prise par les autorités compétentes, ce qui a conduit à son développement vers une deuxième étape, qui se caractérise par une perte totale de confiance dans la capacité des autorités à la juguler. La troisième étape, dans laquelle nous sommes, se caractérise par un jumelage de crise économique fondamentale, de crise budgétaire, de crise des paiements extérieurs et surtout de crise de liquidité bancaire. Nous pouvons imaginer à quel point ce mélange explosif est dangereux. »
Pour M. Baz, « il va de soi que de telles crises se sont produites et peuvent se produire dans de nombreux pays. L'expérience statistique montre que les pays dans lesquels de telles crises se sont produites sont confrontés à de grandes distorsions économiques et leurs implications sociales, financières et bancaires sont importantes. Cependant, les conséquences de la crise devraient être plus graves au Liban car elle survient dans un contexte de contraction du PIB, d'inflation à deux chiffres, de taux de chômage de près de 40%, de répartition inégale des revenus, de services utilitaires défaillants et de prestations sociales quasi inexistantes ».
« De plus, les crises monétaires ne sont pas indépendantes et ne proviennent pas d'un vide, mais sont plutôt l'expression d'une crise structurelle beaucoup plus profonde au sein de l’économie réelle», martèle-t-il, avant de préciser « qu’il existe une multitude de crises économiques différentes, liées à la production, à la consommation, aux finances publiques ou aux paiements extérieurs, mais elles ont toutes en commun de se traduire sous une même forme, c'est-à-dire au niveau de la valeur de la monnaie. Les accumulations profondes d’une crise économique structurelle résultant de mauvaises politiques nous ont conduit à cette grave crise monétaire. Depuis 1992, nous avons commencé à bâtir une économie asymétrique et déséquilibrée dont le moteur principal consistait à bâtir de la dette interne et externe. Une économie de consommation et d'importation, non productive, entraînant sur les 27 dernières années un niveau de consommation privée représentant 88% du PIB, entraînant la demande bien au-delà de la production domestique, se traduisant par une forte dépendance vis-à-vis de l'étranger. En retour, qu'avons-nous produit ? Une économie de services avec une productivité très faible absorbant essentiellement une main-d'œuvre étrangère peu qualifiée ».
Selon les chiffres de la Banque mondiale, a affirmé Baz, « le Liban a réalisé un taux de croissance moyen annuel de près de 4% sur les 27 dernières années, niveau acceptable, néanmoins avec une volatilité qui fut très élevée, témoignant d’une croissance non soutenue avec une faible composante emploi. Un modèle qui n’aide ni à créer des emplois, ni à combattre la pauvreté et entraîne une fuite des cerveaux. Ce modèle économique dysfonctionnel fut naturellement accompagné par des finances publiques précaires. Une administration publique inefficiente, plongée dans la corruption et le gaspillage avec un écart permanent entre les impôts et taxes effectivement collectés et ceux possibles de 10% du PIB. »
Il a rappelé que, du côté des dépenses, « nous constatons que 72% du volume sur 27 ans furent concentrés sur les salaires, le service de la dette et les transferts à l’Electricité du Liban. Les dépenses d'investissement faisaient cruellement défaut, ce qui a impacté la qualité des infrastructures et le niveau de compétitivité de l'économie libanaise. C'est pourquoi les déficits budgétaires récurrents qui on en résulté, ont entraîné la création d'une dette croissante qui atteint aujourd’hui 150% du PIB, niveau que l'économie ne peut plus contrôler. Nous sommes donc aujourd'hui dans un espace fiscal très réduit limitant l’utilisation du budget pour stimuler l’économie et réduisant la résilience face à des chocs éventuels. »
Cette économie de consommation et d’importation, qui n'était pas présente avant la guerre civile, quand nos exportations représentaient 65% des importations au milieu des années 70, cite-t-il à titre d’exemple, « a affecté notre autosuffisance alimentaire, qui, à 18% seulement aujourd’hui est un indicateur important de notre dépendance et de notre faible souveraineté. »
Les mouvements de capitaux à l’entrée (services, revenu, transferts et capitaux) au cours de cette période, précise Baz, étaient de 290 milliards de dollars, « ce qui signifie qu'il ne manquait pas de ressources pour construire une économie diversifiée et compétitive avec une bonne gouvernance. Les gouvernements successifs ont collecté 168 milliards de dollars de revenus mais ont dépensé 250 milliards de dollars, essentiellement improductifs, générant de surcroît une dette de plus de 86 milliards de dollars aujourd’hui. »
Pour éclaircir davantage son point de vue concernant, ce qu’il appelle, les « générations de crises monétaires », il rappelle que « la première génération a démarré en mai 2016, car à cette date la Banque Centrale a lancé ses ingénieries financières, signe de difficultés financières. Mais avant cela en 2011, avec la guerre en Syrie et les tensions régionales à la lumière de la baisse du prix du pétrole, les envois de fonds vers la région, y compris le Liban, ont diminué, presque au point où ils se sont arrêtés, avec seulement 3 milliards de dollars transférés au Liban au cours des 7 premiers mois de 2019. Il en a résulté un déficit cumulé de la balance des paiements de 18 milliards de dollars. Dans le même contexte, le déficit budgétaire s'est aggravé, c'est-à-dire que les dépenses ont augmenté plus rapidement que les recettes, et le Liban a enregistré un déficit budgétaire cumulé de près de 37 milliards de dollars sur la même période ».
Aussi, la politique de stabilisation du taux de change de la livre libanaise initiée en 1997, a créé selon Baz, depuis son lancement en 1997 « une économie macro financière énorme » qui consiste en des actifs bancaires 4 fois plus importants que la taille de l'économie « une envergure que l'on ne retrouve ni à Hong Kong ni à Singapour. Cela s’est réalisé dans un contexte de forte dollarisation de l'économie. »
Par conséquent, trois défis macroéconomiques majeurs auxquels le Liban fait désormais face, selon Baz : « Une dynamique de dette publique insoutenable sur fond de croissance négative, des taux d'intérêt élevés et une administration corrompue et inefficace ; une dynamique de dette extérieure non soutenable en raison d'un arrêt presque soudain des entrées de capitaux, une monnaie surévaluée de 50% (selon le FMI) et d'énormes risques de refinancement et l’érosion rapide des réserves de change à la BDL. »
Dans un tel contexte, avertit-il, « l'impact d'un atterrissage dur est très coûteux, au niveau d’une récession profonde du PIB, d’une restructuration complexe de la dette, d’une recapitalisation incontournable des banques et d’un risque réel de ponction sur les dépôts. »
Quel que soit le choix pour sortir de la crise, prévient Baz, le Liban devra faire appel à une assistance financière internationale inéluctable ; IMF, Club de Pays amis, GCC etc.. les exigences sont quasiment les mêmes :
• Mettre en œuvre des réformes structurelles à un horizon maximum de 12 mois
• Recalibrer les politiques monétaire et bancaire pour contenir d’éventuels problèmes de solvabilité
• Fixer des objectifs de déficit et d'endettement à un maximum de 100% sur 5 ans (règle de 6% de croissance réelle et 6% de surplus primaire)
• Formaliser les contrôles des capitaux et être totalement transparent avec les déposants et les créanciers
• Réduction immédiate des importations de 30 à 40% (sur la base des expériences de pays similaires)
• Explorer avec le FMI les questions d’évaluation du taux de change réel
• Prévoir une restructuration douce de la dette externe compatible avec nos besoins de liquidité en devises à court terme
• Renforcer les amortisseurs sociaux surtout au niveau des plus pauvres.
« Mais ces décisions sont difficiles et complexes à cause des liens incestueux entre les bilans de la BDL, des banques et du gouvernement, et surtout du fait de l’exacerbation des tensions sociales et politiques qu’elles risquent de générer en période de révolution. Sur tous ces plans, la responsabilité historique des décideurs politiques, des partis politiques et de la société civile est lourdement engagée », conclut-il.
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http://www.uabonline.org/en/news/arabicnews/15761575158616041575160516011585161716051606159116/70961/0
https://arabeconomicnews.com/details/219231/باز-طلب-لبنان-مساعدة-مالية-دولية-لا-مفر-منه
https://www.ahrarnews.com/2016/frontend/web/index.php?r=site/inner&ID=186786
https://www.usj.edu.lb/news.php?id=8459
http://www.lebanonfiles.com/news/1547784
https://pressnewsnow.com/articles/10437
https://www.nidaalwatan.com/article/11198-البلد-يواجه-ثلاثة-تحديات-كبرى-للاقتصاد-الكليباز-لا-مفر-من-طلب-المساعدة-المالية
https://www.addiyarcomcarloscharlesnet.com/article/1812367-فريدي-باز-محاضرا-في-الجامعة-اليسوعية-طلب-لبنان-مساعدة-مالية-دولية-أمر-لا-مفر-منه
https://www.almarkazia.com/ar/news/show/177490/3-تحديات-كبرى-للاقتصاد-الكلي-يواجهها-لبنان-بـاز-ي
http://nna-leb.gov.lb/ar/show-news/452178/
https://aleph-lam.com/2019/12/16/فريدي-باز-محاضرًا-في-جامعة-القديس-يوسف/
http://www.el-kaa.com/single-news.php?id=20161&title=?????-???-??????-??-????????-??-??????-???????:-???-?????-??????-?????-?????-???-??-???-????