L’Observatoire de la fonction publique et de la bonne gouvernance (OFP) de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ), a organisé en collaboration avec la Fondation Konrad Adenauer Stiftung, un colloque international sur le thème « Démocratie en crise, démocratie en mutation : de la défiance populaire à la participation citoyenne », le jeudi 14 novembre 2019, à l’Amphithéâtre Gulbenkian du Campus des sciences sociales, rue Huvelin, avec la participation d'experts, d'universitaires, de chercheurs et d'hommes politiques européens et libanais, parmi lesquels le Pr Salim Daccache s.j., recteur de l’USJ, Dr Malte Gaier, Directeur de la Konrad Adenauer Stiftung, Bureau du Liban, Mme Najat Vallaud Belkacem, ancienne ministre de l’Éducation nationale et des droits de la femme en France, Camille Abou Sleiman, ministre sortant du Travail, l’ancien ministre George Corm, l’ancien ministre Ziad Baroud, l’ancien député Ghassan Moukheiber, Amani Salameh, Juge d’instruction et Présidente du « Club des juges au Liban. »
Malgré les conditions qui prévalaient, la conférence était caractérisée par une forte participation d'officiels, d'universitaires, de professeurs, d'étudiants et de militants, dont les interventions étaient centrées sur la crise de la démocratie représentative dans le monde et la crise de la démocratie consensuelle au Liban.
Le professeur Pascal Monin, directeur de l’OFP, a ouvert la conférence avec un discours, dans lequel il a estimé que ce que nous avons vécu au Liban il y a environ 29 jours est « historique et exceptionnel ». « Sur fond de crise sociale et économique, ajoute Monin, mais aussi de crise politique profonde, les Libanais, transcendants les appartenances religieuses, communautaires et régionales se font entendre aux quatre coins du pays pour protester contre la classe dirigeante, accusée de corruption et de clientélisme, et pour demander son renouvellement, la formation d’un nouveau gouvernement et l’édification d’un Etat civil, non confessionnel. Ce sursaut populaire puise sa source dans plus de 30 ans de discrédit de la classe politique actuelle, de blocages institutionnels et des inégalités criantes. »
« Le ras-le-bol prend ainsi ses racines dans l’incapacité des responsables et de nos institutions à répondre et à apporter, ne serait-ce qu’une solution efficace aux problèmes quotidiens de la population. Nous sommes aujourd’hui dans une situation où l’Etat est en déliquescence, et l’on ne voit toujours pas d’issue à la situation. En état d’urgence économique depuis septembre, notre pays cumule les mauvais indicateurs : le taux de chômage des jeunes estimé à plus de 30%, le quart de la population sous le seuil de pauvreté et une dette publique avoisinant les 90 milliards de dollars, soit 150% du PIB. Le manque d’infrastructures, les coupures quotidiennes d’électricité et d’eau potable, la crise des déchets, une des pires périodes de récession, une inflation galopante, des services publics défaillants, le problème endémique de la corruption et du clientélisme, ont fait le lit de ce formidable soulèvement », a-t-il ajouté.
« Autour du régime démocratique, enchaine le directeur de l’OFP, qui sert de référence pour de nombreux peuples et pays, nous avons vu naître et se développer de nombreuses expériences, innovations démocratiques et initiatives citoyennes. Notamment celles de démocratie participative permettant à des associations citoyennes, non seulement de contrôler et d'infléchir l'action des pouvoirs publics, mais aussi de contribuer à la mise en place de politiques publiques et de services d'intérêt général. Cette démocratie participative permet d'imposer, à travers de nouveaux espaces démocratiques, le principe d'égalité et de responsabilité collective de sorte à rendre les politiques publiques plus en adéquation avec les demandes et les besoins des citoyens. L'approfondissement de la démocratie passerait ainsi par des initiatives citoyennes, par un changement du processus d'élaboration et d'application des politiques publiques. L'enjeu est ainsi cette question de gouvernance et la création de synergies, non seulement en terme de collaboration mais également de complémentarité entre les différents acteurs et la création de dynamiques collectives entre citoyens, pouvoirs publiques, société civile, médias et acteurs du secteur privé. »
« Notre rencontre aujourd’hui, affirme de sa part le Pr Salim Daccache, s.j., n’est pas une coïncidence ou un colloque qui peut passer inaperçu sans tenir compte de la situation actuelle du Liban en crise politique et économique, mais en gestation d’un avenir que l’on veut sûrement et certainement démocratique. »
« Planifier depuis le début de toute une année académique pour accentuer le rôle du citoyen en nous, comme responsables, enseignants et étudiants, je me sens aujourd’hui, et plus que jamais, avide d’appuyer le grand public dans ces temps difficiles, mais aussi ce temps de transformation. Je saisis cette occasion pour saluer nos chers étudiants, membres du personnel et enseignants, et les remercier de leur implication, motivation et espoir au Liban de leur rêve, le Liban libre, équitable et uni, sachant qu’en cela, nous nous situons au-delà des appartenances partisanes et jamais, en tout cas, contre ces courants. Notre conscience nationale ne peut être muette devant la détresse des petites gens qui ont besoin de tout, des familles esseulées, des jeunes, surtout les diplômés angoissés, une économie qui va à la dérive et un système politique qui manipule tout, l’âme et la matière, la religion et les valeurs de la république ! » a-t-il ajouté.
« N’oublions pas, enchaine le recteur, la présence d’experts et d’intervenants de haut-niveau avec nous : je vous lance l’appel, chers collègues et chers experts, de rayonner avec notre assemblée pour une meilleure carte de route démocratique. Retenons un fait et une conviction : si le Liban en est arrivé là, c’est que la démocratie libanaise, même consensuelle et d’union nationale, se porte mal et que l’un des maillons essentiels du fonctionnement démocratique, l’absence de reddition des comptes et la disparition du principe de la sanction qui est récompense et punition, fonctionnent très mal et démolit le bien-fondé de l’exercice de la politique. S’ajoute à cela une inféodation de la grande majorité des rouages de l’État aux politiciens et à leurs intérêts les plus primaires. »
De son côté, le ministre ministre Abou Suleiman a parlé d'une "crise démocratique dans les institutions constitutionnelles qui ont cessé de fonctionner parce que la majorité au pouvoir avait faussement représenté l'idée de servir les intérêts privés en toute impunité pendant au moins 30 ans". "Les institutions constitutionnelles ne représentent plus la volonté du peuple. Elles fonctionnent selon la logique du partage du fromage et la corruption est endémique à tous les niveaux de la société libanaise", a-t-il déclaré.
Après la séance d’ouverture, au cours de laquelle le directeur de la Fondation Konrad Adenauer, le Dr Malte Gaier, et l’ancienne ministre français de l’Éducation, Najat Vallaud Belkacem, ont également pris la parole, la conférence a traité les sujets suivants durant la journée : « Enjeux et limites de la démocratie participative », « Internet au service de la participation citoyenne », « Expériences locales innovantes » et « Le Liban : pour une réelle participation citoyenne. »
Ont pris part à ses tables rondes : Pr Joseph Gemayel, Doyen de la Faculté de sciences économiques à l’USJ, M. David Luengen, Conseiller ministériel et chef de section des Politiques Spécialisées Européennes auprès du Ministère Fédéral de la Chancellerie d’État de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Pr Remi Lefebvre, Professeur à l’Université de Lille, M. Christophe Varin, Chargé d’enseignement à la Faculté des lettres et des sciences humaines de l’USJ et Directeur des Éditions de l’USJ, M. Naji Boulos, Conseiller marketing et Chargé d’enseignement à l’USJ, M. Stéphane Bazan, Coordinateur du Master en économie numérique, Pr Jan Art Scholte, Professeur à l’École des Études Globales à l’Université de Göteborg en Suède, M. Karim Daher, Avocat au Barreau de Beyrouth, Chargé de cours à la Faculté de droit et des sciences politiques et président de l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables.
Au cours de la conférence, les participants ont discuté des moyens de lutter contre la corruption, de récupérer les fonds pillés, de la décentralisation administrative, du rôle des municipalités dans le domaine de la gouvernance locale, du droit d'accès à une information complète et du rôle du pouvoir judiciaire dans la promotion de la démocratie. Dans ce contexte, la Pdte Amani Salameh a parlé de l'importance pour le juge de s'acquitter de ses deux fonctions judiciaires et civiles: le premier consiste à régler les différends et le second à agir en tant que citoyen.
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