Lettre aux Jésuites aux Liban et à nos collaborateurs dans la mission (traduite de l’arabe)
Beyrouth, le 23 octobre 2019
Chers compagnons et partenaires de la mission,
La motion populaire qui anime le peuple libanais d’une manière inédite exprime à la fois la souffrance de notre peuple et son désir de construire un Liban nouveau, cent ans après la création du Grand Liban. Nombreux sont les compagnons jésuites, libanais ou non, qui ont rejoint les foules qui protestent, en vue d’un État régi par les valeurs suprêmes, non pas en paroles seulement mais dans les actes. Plus nombreux encore sont nos partenaires de mission, hommes et femmes, qui ont la conviction intime que ce qui meut notre peuple est capable d’accomplir un changement des mentalités et des institutions vers ce qui sert une vie plus abondante et une justice mieux pratiquée. Une tente est déjà dressée sur la place des martyrs où se rejoignent jésuites et des enseignants et étudiants de l’USJ, signe de notre résolution à accompagner cet esprit de changement qui souffle sur nous, qui nous appelle à nous changer nous-mêmes et à changer les structures d’injustice et de corruption partout où elles se manifestent. L’appel du sommet spirituel à Bkerké nous donne une confirmation solide pour aller dans cette direction.
La motion populaire a brisé encore une fois les barrières de la peur et de la division entre les Libanais, comme si elle a suspendu momentanément les réflexes confessionnels, féodaux et partisans qui ont depuis toujours régi la pratique politique dans ce pays. Elle manifeste une solidarité et un lien social qui ne se réfèrent plus aux appartenances tribales mais à la détermination de reconnaître et de protéger la dignité de chaque citoyen. Cette solidarité est une valeur suprême, mais elle est encore fragile. Si la motion populaire n’atteint pas sa maturité, elle sombrera dans les habitudes mentales anciennes.
Pour nous, ce moment ouvert à toutes les possibilités est un moment crucial, le temps du discernement spirituel. De ce moment pourront naître des attitudes constructives, capables de préserver l’esprit authentique de ce soulèvement et du lien social qu’il crée, comme pourront naître des attitudes contraires, ramenant la population à des discours qui l’asservissent. Sans doute, nous avons, chacun, chacune, sa propre lecture des événements, mais nous sommes tous appelés à adopter des attitudes constructives, qui s’inspirent de la position de l’Église et qui suivent un discernement spirituel authentique, enraciné dans la prière et ouvert au nouveau qui survient parmi nous et en nous.
Pour cela, j’invite tous les compagnons, ainsi que nos partenaires dans la mission, chacun selon son propre sentiment spirituel et selon ses capacités, de réfléchir à la manière dont la Compagnie pourra se rendre disponible pour apprendre de cette motion populaire, pour y participer et pour l’accompagner vers les meilleures fins qu’elle poursuit, afin qu’elle reste fidèle à son esprit et à sa vocation.
Ce que nous demandons dans la prière, pour nous-mêmes ainsi que pour les citoyens et résidents dans ce pays, c’est d’être à la hauteur de ce moment présent ; à l’écoute fidèle de ce que Dieu opère dans notre histoire.
Avec mon amitié fraternelle.
P. Dany Younes s.j.
Provincial