Fady NOUN – L’Orient Le-Jour, vendredi 19 juillet 2019.
« La santé, ce n’est plus seulement ne pas être malade, mais un droit au bien-être aussi bien physique que mental, émotionnel ou relationnel », souligne le président de la CNSS.
L’Institut supérieur de santé publique (ISSP) de l’USJ a lancé le lundi 15 juillet 2019, à l’initiative de sa directrice, Michèle Kosremelli Asmar, le prix Tobie Zakhia, qui sera désormais attribué chaque année au major de promotion de l’institut. Cette récompense a été attribuée pour sa première édition à Renée Azzi, major de la première promotion de masters en santé publique, qui compte douze diplômées. Ce prix vient consolider et auréoler un cursus relativement nouveau, une discipline émergente dont la compréhension fait son chemin dans l’opinion. La cérémonie de lancement du prix s’est tenue autour d’un dîner dans les jardins du campus des sciences médicales, en présence du recteur de l’USJ, le Pr Salim Daccache s.j., du vice-recteur, le P. Michel Sheuer, de la directrice de l’ISSP , Michèle Kosremelli Asmar, de l’équipe enseignante et administrative de l’institut, des professeurs, doyens et administrateurs du campus des sciences médicales, ainsi que l’essaim de jeunes diplômées et de leurs familles et amis.
La santé publique commence avec les mouchoirs en papier qui traînent par terre, à la maison ou dans la rue, explique dans son intervention en tant qu’invité d’honneur de la cérémonie le Dr Tobie Zakhia, président du conseil d’administration de la CNSS et premier directeur en 1997 de l’Institut de gestion de la santé et de la protection sociale.
On peut penser que c’est une question de propreté, ajoute-t-il. C’est plus subtil. C’est une question d’hygiène et de prévention, et donc de santé publique. Toutes les fois que deux personnes ou plus partagent le même espace, que ce soit dans une école, un campus, un foyer, un hôtel, une administration, un embouteillage, un avion, une plage, un dancing, un pub, un taxi-service ou… une manifestation devant le Parlement, un problème de santé publique surgit. L’USJ a créé un institut pour penser tout ce potentiel de santé publique, l’anticiper, le gérer, y remédier et, en fin de compte, «produire» de la santé publique.
Le concret, le concret...
«Le concret. Le concret. Il n’y a pas de santé publique si ce n’est pas visible», recommande encore le Dr Zakhia, dans son allocution. Le «concret» c’est pour lui le contraire de la bureaucratie, le contraire du «donnez-moi un malade, et je vous fais un dossier». Le concret, et il en donne un exemple, c’est une plage de Amchit devenue cloaque au fil des mois et des années, que trois pêcheurs ont prise en main et qui est désormais un modèle d’accueil et de propreté. Au passage, il s’étonne que l’université n’ait pas songé à dire son mot au sujet du dilemme du traitement des déchets au Liban. Placée sous le logo «Oser rêver», la soirée de promotion est l’occasion pour l’invité d’honneur de «rêver d’un inventaire national des situations de santé publique qui marchent». «Si ce n’est pas visible, ce n’est pas utile», répète-t-il, en homme rompu aux rêves réalisés. Comment le dire autrement quand on parle en homme qui a veillé sur les fonts baptismaux de la Caisse nationale de Sécurité sociale de 50 millions de Français telle qu’elle est aujourd’hui, et qui a présidé, entre 1985 et 1996, la région Île-de-France de cette caisse… sans pouvoir, hélas, pour des raisons faciles à deviner, réaliser le même exploit au Liban.
«Science interdisciplinaire par excellence, la santé publique n’a (presque) plus rien à voir avec la médecine, en ce sens qu’elle n’en est pas un sous-produit», insiste le Dr Zakhia. Elle est plutôt l’aboutissement d’un savoir qui commence par l’hygiène, évolue dans l’épidémiologie, mais touche aussi désormais à un ensemble de disciplines, comme l’ingénierie. Explication: la santé publique, c’est aussi l’art de faire des routes, de les baliser, de les sécuriser. La santé publique, ce sont les systèmes de conditionnement d’air et d’aération (la maladie du légionnaire est en effet transmise par l’air conditionné). Et le Dr Zakhia de commenter avec humour: en somme, c’est à cause d’un déficit de santé publique que… les médecins travaillent. C’est le volet «prévention» de la santé publique.
Autre exemple, poursuit-il, les épidémies de gastro-entérite. Elles envahissent régulièrement tous les pays. En France, une carte de la progression épidémique est établie et une campagne publicitaire est organisée en conséquence dans les pharmacies et sur les panneaux routiers, avec pour objectif de rappeler au public que la gastro-entérite se transmet par le contact entre deux personnes, d’où l’importance de se laver fréquemment les mains pour l’éradiquer. Ou encore
on rappelle au public l’importance d’éternuer «dans le coude», sur les habits, plutôt que de mettre la main sur la bouche.
Au Canada, ajoute le Dr Zakhia, on ne parle plus de santé publique, mais de santé populationnelle. Le concept de santé a évolué. Avec les progrès de la médecine et de la technologie, la santé est désormais associée au bienêtre aussi bien physique que mental, émotionnel ou relationnel. Elle est devenue un «droit de l’homme», et elle est définie avec les mots du philosophe Georges Ganguilhem, comme «la capacité de faire face».
Association d’anciens
La soirée a par ailleurs été égayée par une allocution enjouée de Ferial Assha, qui a annoncé la création d’une Association des anciens de l’ISSP, dans le souci d’aménager les rapports de coopération entre ses promotions successives.
La directrice de l’ISSP a félicité les étudiantes pour leur parcours et a évoqué, dans son mot, l’importance de maintenir les liens: «Aujourd’hui, nous comptons sur vous ! Nous souhaitons continuer à cheminer ensemble et à réaliser de belles choses. Nous avons beaucoup à faire pour améliorer la situation de notre population: sur les plans des politiques, de la gestion, de l’environnement, des données statistiques, de l’éducation, de la sensibilisation et de la prévention.» Des défis réels pour une promotion entièrement féminine, signe révélateur de l’incompréhension de l’ampleur d’une formation assimilée encore, sans doute, à une carrière paramédicale.
Sur un feuillet indépendant, un texte de Marguerite Yourcenar dédié à la promotion affichait: «J’ai souvent réfléchi à ce que pourrait être l’éducation d’un enfant. Je pense qu’il faudrait des études de base, très simples, où l’enfant apprendrait qu’il existe au sein de l’univers, sur une planète dont il devra plus tard ménager les ressources, qu’il dépend de l’air, de l’eau, de tous les êtres vivants, et que la moindre erreur ou la moindre violence risque de tout détruire (…). On lui apprendrait à aimer le travail quand le travail est utile et à ne pas se laisser prendre à l’imposture publicitaire, en commençant par celle qui lui vante des friandises plus ou moins frelatées, en lui préparant des caries et des diabètes futurs.» Yourcenar a oublié le dérèglement nutritionnel à l’origine de l’obésité. Nous voilà revenus à la santé publique.
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