La fête patronale de l’USJ

Des questions de fond ont été posées par le Pr Salim Daccache s.j. dans son discours annuel qu’il prononce traditionnellement à la Saint-Joseph.
19 mars 2018
18h00
Campus des sciences et technologies

Projeter l’Université Saint-Joseph dans l’avenir, voir venir, prévenir, s’adapter, voilà à quoi s’emploie le recteur de l’USJ, le Pr Salim Daccaches.j., dans un contexte national difficile, et voilà ce dont il a été question dans le discours traditionnel de la Saint-Joseph qu’il a prononcé le lundi 19 mars 2018 au Campus des sciences et technologies, devant la communauté universitaire, en présence de représentants des hauts responsables de l’État et des corps constitués et, cette année, d’une délégation académique du Collège de France. En dépit des projets de développement de l’université qui se poursuivront dans la stricte fidélité à une vision supra-communautaire, c’est un diagnostic plutôt sombre que le Pr Daccache a établi dans son discours, mettant en cause un État éclaté, une économie de rente sans horizon jointe à une cécité fiscale et à une corruption rampante qui, sur le plan académique, a permis l’apparition au Liban d’un « réseau universitaire parasitaire », qui vend les diplômes au rabais.

« Pourquoi diplômons-nous annuellement quelque 3 000 étudiants, si nous savons qu’environ 50 pour cent d’entre eux prendront la route de l’émigration ? s’est indigné le recteur. (…) Le départ des cerveaux libanais, est-ce un atout ou une vraie perte pour le pays ? (…) Faut-il adapter nos diplômes aux limites de l’économie libanaise ou continuer à former l’élite intellectuelle libanaise et donc des ressources humaines qui ont une valeur universelle ? » « Durant les années de guerre civile, plus d’un million d’habitants ont quitté le Liban », a enchaîné le Pr Daccache. Parmi eux, plus de 50 % étaient des enfants et des jeunes de moins de 24 ans. « Il s’agit d’une perte sèche que ne compensera aucune loi électorale prenant en compte le vote des émigrés ou une recherche d’investisseurs anciennement libanais dans leur pays. Cette saignée ne cesse d’influencer négativement le recrutement dans nos universités prestigieuses ainsi que dans les établissements scolaires robustes. Plus de départs vers l’étranger pour s’y installer, moins d’élèves dans nos écoles et moins d’étudiants dans nos universités (…) », a-t-il poursuivi. « D’après les experts, a-t-il encore dit, l’émigration actuelle est associée à une crise économique de taille qui frappe tous les secteurs (…). Il y a heureusement les interventions de la Banque du Liban qui joue un rôle protecteur pour empêcher l’effondrement que certains ne cessent de prédire, et qui aide encore, même avec des limitations, les étudiants universitaires en leur accordant des prêts à intérêt préférentiel. »

Taux de chômage de 34 %

« Le diagnostic des spécialistes montre qu’à l’origine de la crise se trouve un manque d’investissement en termes de création d’emplois, car le Liban n’est plus sûr du point de vue financier et économique, a insisté le recteur. (…) Le résultat est un taux de chômage en 2017 oscillant autour de 25 %, mais atteignant 34 % chez les moins de 25 ans, sachant que le taux de chômage chez les détenteurs libanais de diplômes a aujourd’hui dépassé les 30 %, ce qui est la moyenne pour la région arabe alors que ce taux était de 10 à 12 % en 2013. (…) Est-il donc imaginable que les universités libanaises diplôment annuellement quelque 23 000 à 25 000 étudiants, au moment où le pays n’arrive plus à offrir plus de 4 000 emplois à cette multitude ? » « (…) Les limites de mon discours m’interdisent d’aller plus loin dans l’analyse, mais je tiens à souligner qu’il faudra trouver rapidement une issue à une situation qui risque de se dégrader et de menacer les secteurs encore debout, comme la santé et l’éducation. » Critiquant de nouveaux emprunts qui représentent de nouvelles dettes, le recteur a affirmé que « l’économie d’après-guerre libanaise souffre non d’un problème de diagnostic, mais plutôt d’une corruption rampante qui lubrifie les réseaux clientélistes sectaires, et de choix fiscaux et monétaires qui consacrent sa nature improductive et rentière au détriment des investissements dans l’économie réelle, sans parler des complications administratives et juridiques qui font fuir les meilleurs résistants ».

Aller à la cause

« Allons à la cause », s’est exclamé le recteur qui a abordé comme « exemplaire et symptomatique le dysfonctionnement du système universitaire». « L’origine du mal, a-t-il dit à ce sujet, n’est point dans cette formation séculaire des élites intellectuelles libanaises assurée tant par l’AUB que par l’USJ depuis le milieu du XIXe siècle, mais plutôt dans les politiques économique et sociale qui n’atteignent jamais la hauteur des espoirs placés en elles. » Le Pr Daccache a, en particulier, dénoncé « un système universitaire ou plutôt parasitaire qui se développe depuis un certain temps dans une perspective commerciale et confessionnelle, en l’absence de législation exigeant une assurance qualité et surtout un comportement moral de ces institutions ! Cela explique tel reportage télévisé sur une vente de diplômes aux enchères, ou tel autre sur une université naissante qui scolarise 930 étudiants d’un seul coup en première année de génie ! Ou une troisième qui importe des diplômes de doctorat de l’étranger et les met en vente chez elle ! N’est-ce pas l’intrusion de la politique qui est venue menacer un système universitaire historique qui a fait et continue de faire la fierté des Libanais ? (…) C’est pourquoi il devient nécessaire de renforcer l’Alliance des universités historiques libanaises et l’Université libanaise, alliance qui a commencé par la signature de l’accord entre les Universités américaine de Beyrouth et Saint-Joseph de Beyrouth ».

La réponse à ces crises, souligne le recteur, n’est pas seulement universitaire, mais étatique. Il faut, insiste-t-il, réhabiliter l’État et substituer la culture citoyenne aux « passions identitaires».

Création d’une faculté des beaux-arts

Pour sa part, l’Université Saint-Joseph va poursuivre son combat. « Parmi les projets d’avenir, promet le recteur, la création d’une faculté ou d’un institut des beaux-arts qui regroupera des disciplines nouvelles ou existantes comme l’architecture, l’audiovisuel, la musique, le dessin graphique, le modélisme et le stylisme. » En outre, l’USJ va renforcer le numérique et ses dérivés, pour continuer à peser dans la production du savoir, notamment au niveau de la région, avec le centre d’études universitaires en droit et traduction à Dubaï, qui va continuer à être développé.

Par ailleurs, tout en travaillant à son accréditation internationale, notamment à l’invitation de la Fédération internationale des universités catholiques, l’USJ va continuer à rénover ses structures physiques, comme elle vient de le faire de son rectorat. En projet, promet le recteur, un « Espace Campus central » connecté par des passerelles ou des tunnels sur les 70 000 m2 de la rue de Damas. Deux nouveaux campus y verront le jour, celui du terrain encore en friche du musée qui accueillerait le musée de l’art contemporain et classique libanais, et celui de l’économie et de la gestion dans le jardin « Corm ». Les constructions nouvelles, comme la nouvelle Faculté de médecine et l’hôpital de simulation, ainsi que la rénovation des anciennes infrastructures se feront dans l’optique d’une université verte : création de parkings au campus médical et à Mar Roukoz et renforcement de la production d’énergie solaire dans l’optique de l’université verte. 

« De même, nous comptons offrir à nos étudiants, surtout ceux du dehors du Grand Beyrouth, plus de cinq cents lits à prix compétitifs dans de nouveaux foyers, l’un pour les jeunes filles portant le nom d’Isabelle Tyan à Achrafieh, et l’autre en cours de construction à Mar Roukoz. »

Fady Noun