L'Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ) et la Fondation Bruno Buozzi ont organisé une rencontre en hommage au P. Paolo Dall’Oglio s.j. disparu le 27 juillet 2013 à Raqqa en Syrie. Cette rencontre s’est tenue le 1er novembre 2018 à l’Auditorium Francois S. Bassil au Campus de l'innovation et du sport, rue de Damas, en présence du Pr Salim Daccache s.j., recteur de l’USJ, de l’ambassadeur d’Italie SE M. Massimo Marotti, du nonce apostolique Mgr Joseph Spiteri, des archevêques Paul Mattar, Jihad Battah, Charles Mourad et Khaled Akasheh, du Supérieur Provincial de la Compagnie de Jésus au Proche-Orient et au Maghreb, P. Dany Younès s.j., et un parterre de prêtres et d’amis du père Dall’Oglio.
Dans son mot d’ouverture le Pr Salim Daccache a rappelé qu’« il y a cinq ans et plus, le 29 juillet 2013, notre compagnon jésuite se rendait au quartier général de l'État islamique à Raqqa, en Syrie, sa terre d'adoption, pour demander la libération de journalistes otages du groupe djihadiste. Depuis, il n'a plus été revu. » Cette absence forcée n’est pas pour autant le signe d’une disparition totale du P. Dall’Oglio, car toujours selon le Pr Daccache « Paolo a été et il est toujours, pour moi et pour nous, Jésuites du Proche-Orient, un compagnon, voire un frère jésuite, certes parfois pas commode pour ses idées et son engagement à tous vents. »
« Paolo Dall’Oglio fut une voix, ajoute le Pr Daccache, mais une voix forte qui dérangeait, qui nous dérangeait parfois comme celle de certains prophètes dont le destin était de parler, d’élever la voix, de rugir contre les injustices et de crier pour le bien. (…) Qui de nous ne se rappelle cette voix si profonde qui martelait les mots et les lettres, tant en langue occidentale qu’en langue arabe. Une voix radicale qui n’accepte pas les solutions à bas prix. »
Et au recteur de l’USJ d’enchaîner : «Rappelons-nous que Paolo, malgré la rage de la voix forte et puissante, n’était qu’un homme du dialogue dans toutes ses consonances. (…) La grande question de Paolo, celle qu’il n’a jamais cessé de porter, était la suivante : que vient dire l’Islam aux chrétiens ? Et par là même : vers quoi entraîne-t-il le christianisme ? À la suite de Charles de Foucauld et de Louis Massignon, ses deux grands maîtres spirituels, Paolo pensait que la religion musulmane, par le mystère qu’elle posait aux chrétiens, poussait l’Église vers une plus forte radicalité dans l’imitation du Christ, vers plus d’humilité, d’esprit d’accueil et de service. »
À propos de la guerre de Syrie, Dall’Oglio disait, selon le Pr Daccache : « Pour des raisons qui ont à voir avec l’engagement de ma vie, cette guerre civile ne porte pas seulement atteinte aux conditions minimales de vie pour les chrétiens orientaux, mes frères, qui se trouvent piégés entre deux camps, mais plus profondément, c’est une guerre civile qui déchire mon âme (…) Cette guerre civile m’est insupportable. Je voudrais faire quelque chose pour l’arrêter.»
Et au recteur d’affirmer que « Jusqu’au bout, Paolo a cru que la parole et le dialogue pouvaient être des armes efficaces, même face à ceux qui les refusaient. »
Ensuite le Pr Daccache a lu une lettre adressée par les parents du P. Dall’Oglio aux participants à cette rencontre, dans laquelle ils affirment qu’en pensant à « Paolo et en raffermissant l’appel afin que soient déployés tous les efforts encore possibles pour avoir de ses nouvelles », ils pensent aussi aux « autres disparus, enlevés ou prisonniers de ce conflit » et insistent à ce que la vérité et la justice sur ces crimes « soient des priorités de la communauté internationale. »
Pour sa part, l'ambassadeur d'Italie au Liban, Massimo Marotti, a confirmé que son gouvernement suit de près l’épreuve de disparition du P. Dall’Oglio. La projection d’un film intitulé « Pasteur et homme de dialogue : la mémoire et le message », a été suivi par le discours de Mgr Khaled Akasheh, directeur du Bureau pour l’Islam auprès du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, dans lequel il a évoqué ses souvenirs et les événements qu'il a vécus auprès du P. Dall’Oglio.
Une table ronde autour de l’œuvre et la vie du P. Paolo, a regroupé lors de la rencontre, le Pr Luigi Troaini, professeur des relations internationales à l'Université pontificale Saint Thomas d'Aquin, de l’écrivain Moustapha Jouni, de l’écrivain Ghazi Berro qui a traduit vers l’arabe un ouvrage concernant le P. Dall’Oglio intitulé « L’amoureux de l’Islam et le croyant en Jésus », et le président de la fondation Bruno Buozzi, Georgio Benvenuto.
Après la table ronde, un discours a été prononcé par Mme Emmanuela C. Del Re, vice-ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale de l'Italie, dans lequel elle a confirmé l'insistance du gouvernement italien à révéler la vérité sur la disparition du P. Dall’Oglio à Raqqa.
« C’est à Paolo le jésuite (…) à Paolo, situé dans la controverse (…) à Paolo, mon confrère jésuite que je veux rendre hommage. » Ce sont ces multiples facettes du P. Dall’Oglio que le P. Dany Younès s.j. a voulu célébrer dans son mot de clôture, et qui rappellent selon le Provincial « la figure d’Abraham, Al-Khalil, le « confident », capable d’amitié, de compagnonnage, de conversation. »
« Son caractère provocateur, enchaîne le P. Younès, sa capacité incroyable de se situer au cœur des controverses et de réfléchir à partir d’elles, contrastaient trop avec mon inertie, ma prudence et ma timidité. Mais quand je rumine ce peu de paroles échangées, je me retrouve devant un ami. Il m’a confié, comme un ami à son ami, son immense amour pour la Compagnie de Jésus, et son grand désir pour la Compagnie qu’elle soit à la hauteur de sa vocation. Ce faisant, il convoquait ma propre capacité d’amitié. Il me convoquait à la réflexion à partir de la controverse, de l’épreuve dont Abraham fut si familier. »
Et de conclure « Malgré qu’il nous ait tous tirés avec lui au sein de la controverse, où la violence des humains crie vers la Miséricorde de Dieu, nous pouvons célébrer ensemble notre amitié et rendre hommage à Paolo. »