L’enfer des prisons d’Assad porté à l’écran

L'histoire d'ex-détenus libanais dans les geôles syriennes a été évoquée vendredi lors de la projection du documentaire « Tadmor » à l'Université Saint-Joseph.
30 Octobre 2017

Prononcer son nom suffit à provoquer l'effroi en Syrie. Tadmor (Palmyre, en français), la prison du désert, a longtemps été réputée pour être le lieu où les sévices les plus extrêmes étaient infligés aux détenus. Selon un rapport d'Amnesty International publié en 2001, « la prison de Tadmor semble avoir été conçue pour infliger aux détenus des souffrances et une humiliation maximales ». Détruite partiellement par l'organisation État islamique en 2015, elle fut construite en 1920 sous le mandat français.

À l'occasion du lancement du master arabe en démocratie et droits de l'homme (ArMA), l'Université Saint-Joseph a choisi de projeter le film documentaire Tadmor pour clôturer la journée d'inauguration. En présence des réalisateurs Monika Borgmann et Lokman Slim, la séance a été suivie d'un débat durant lequel un ex-détenu palestinien a rappelé que « ce que montre le film n'est que la partie émergée de l'iceberg, la torture ayant décuplé depuis le début de la contestation contre le régime ». Le documentaire de reconstitution fait intervenir d'anciens détenus libanais rejouant tour à tour leur passé tragique. Le supplice dit du « pneu », le supplice de la chaise allemande, ou encore ces séquences relatant l'avalement forcé d'un oiseau entier et le partage d'un repas arrosé d'urine sont évoqués dans le film. « Le chiffre officiel communiqué par le gouvernement s'élève à 624 Libanais disparus dans les geôles syriennes », souligne le coréalisateur du documentaire Lokman Slim.

« Faire ce film était un besoin physique pour moi, afin de rompre le silence autour de ce sujet et suite à la répression visant le soulèvement populaire », précise Monika Borgmann, également cofondatrice de l'Umam avec Lokman Slim.
Ce centre de documentation et de recherche a pour mission de confronter les Libanais à leur propre histoire. C'est dans cette optique que Massacre avait vu le jour, un film donnant la parole aux bourreaux présents à Sabra et Chatila en 1982.

Une séance de questions-réponses a suivi la projection de Tadmor. « Si nous sommes contre Daech, cela ne nous donne pas le droit de fermer les yeux sur la barbarie d'Assad », a lancé Oussama, un spectateur intervenant lors du débat.

Torture à l'échelle industrielle
Grâce à la torture infligée, le régime en guerre contre son propre peuple a pour maxime de « tuer Pierre pour éduquer Jean », selon un ancien geôlier des centres de détention, exilé en Jordanie, s'exprimant dans le documentaire de Sophie Nivelle-Cardinale et Étienne Huver (Disparus, la guerre invisible en Syrie, prix Albert-Londres 2016). Car la violence insoutenable prodiguée contre les détenus est loin d'être le fruit du hasard ou de quelques ultras du régime, mais relève en réalité d'une véritable politique d'État, décidée au plus haut niveau. Quelque 200 000 personnes auraient ainsi disparu, selon les auteurs du documentaire.

À l'heure actuelle, la terreur carcérale pour faire taire toute opposition est encore de mise. Mais depuis l'éclatement de la révolution en 2011, l'opacité qui planait sur les méfaits du régime Assad s'est dissipée, ceux-ci ayant pu être révélés au grand jour par le biais de César, photographe de la police militaire en exil. Collectés au péril de sa vie, les 53 000 clichés de cadavres torturés à mort ont été rendus publics en 2015. Le récit de César a été rapporté et publié par la journaliste Garance Le Caisne, sans provoquer toutefois de réaction forte de la communauté internationale. Au contraire, la violence prodiguée et médiatisée par Daech semble avoir anesthésié l'opinion publique et pris le pas sur les violences du régime, pourtant responsable de la majorité des crimes commis contre les civils (dans 92% des cas) depuis le début de la répression, selon le Réseau syrien des droits de l'homme (SNHR).

Méthodes nazies
Les photographies des corps émaciés et mutilés rappellent les heures sombres de l'histoire européenne de 1940 à 1945. Comme l'expliquent les journalistes Hedi Aouidj et Mathieu Palain dans leur enquête, cela n'est pas un hasard. L'initiateur des méthodes de torture syriennes n'étant autre qu'Aloïs Brunner, haut dignitaire nazi réfugié à Damas et bras droit d'Adolf Eichmann, responsable logistique de la « solution finale ».

« Les protagonistes du film sont les porte-parole de ceux qui ne peuvent pas parler, parce qu'ils sont encore emprisonnés ou déjà morts », confie Monika Borgmann, concluant qu'« aujourd'hui, la situation est probablement encore pire, la torture sexuelle étant systématique ». Chaque semaine, entre 20 et 100 personnes sont sorties de leur cellule pour être pendues au milieu de la nuit, selon le dernier rapport d'Amnesty International, portant à 13 000 le nombre d'exécutions depuis 2011.
Au final, ce récit n'est donc pas à considérer comme une mémoire lointaine de ce qu'était Tadmor, mais comme un témoignage de ce qui se passe actuellement dans les geôles du régime.