S.E.M. Nicolas Tueni aux étudiants de Master en Sciences PO

Rencontre
12 Octobre 2017

Nicolas Tuéni : « Au ministère de la Lutte contre la corruption, je fais mon second service militaire... »

L'annonce de la création d'un ministère chargé de la Lutte contre la corruption avait donné beaucoup d'espoirs aux Libanais, surtout les jeunes désireux de croire en un avenir digne dans ce pays. Dix mois plus tard, l'impression générale oscille entre désillusion, frustration ou fatalisme. Plutôt que de ressasser les critiques, les étudiants en master de communication politique de l'Institut des sciences politiques de l'USJ ont préféré s'adresser directement au ministre Nicolas Tuéni qui a saisi cette occasion pour clarifier de nombreux points au sujet de l'activité de son ministère. Selon lui, la situation est loin d'être aussi bloquée qu'on ne le croit, puisqu'il s'agit de jeter les bases et de créer un cadre légal au fonctionnement des institutions de l'État... « Et puis, la lutte contre la corruption, a-t-il insisté, est une responsabilité collective... »

Entre une tournée à Jbeil pour dénoncer un empiétement sur les biens-fonds maritimes publics et une réception au cours de laquelle il doit représenter le chef de l'État, Nicolas Tuéni a donc reçu les étudiants accompagnés de la directrice de l'Institut Carole Charabaty et du directeur du master de communication politique Pascal Monin. Dans le décor élégant de son appartement à Achrafieh, le ministre a patiemment expliqué aux étudiants la démarche de son ministère, sachant qu'il n'a ni moyens ni effectifs, et que, dans le projet de budget, il a zéro livre libanaise.

 

Face aux étudiants qui avaient plein de reproches en tête, le ministre avait bien préparé sa défense, se livrant même à un exposé historique sur les institutions chargées de la lutte contre la corruption dans le monde. Il a ainsi précisé que le Liban s'est largement inspiré du modèle singapourien. Mais avec des différences tout de même, dues notamment à l'absence de budget pour le ministère. Bien entendu, il aurait pu s'adresser au PNUD, disposé généralement à financer ce genre d'initiative, mais il a préféré s'abstenir en se disant que le gouvernement est censé avoir une durée de vie limitée jusqu'au mois de mai 2017 (date initiale des législatives avant leur report d'un an). Le ministre a fait à ce sujet une mauvaise estimation, puisque le gouvernement doit donc rester en place jusqu'en mai 2018. Pour pouvoir travailler, sans utiliser les fonds de l'État, il a donc choisi d'avoir recours aux bénévoles, qu'il s'agisse de juges, de professeurs, d'experts ou de simples militants, « tout le monde, a-t-il dit, est censé mettre la main à la pâte ».

En principe, le ministre Tuéni a décidé d'agir dans deux directions. La première porte sur un travail de fond, notamment au niveau de la création d'un cadre légal pour la lutte contre la corruption, et la seconde se résume à des actions ponctuelles sur le terrain pour maintenir une mobilisation populaire et médiatique.
Dans le premier volet, le ministre a ainsi préparé, ou contribué à le faire, plusieurs projets de loi, dont un seul a été voté et les autres attendent encore. Le premier texte porte sur le libre accès à l'information, qui est à la base de la lutte contre la corruption, puisqu'il permet à tout citoyen d'avoir accès aux informations concernant les institutions publiques. Ce projet de loi avait été préparé par le bloc du Changement et de la Réforme, et il a été voté par le Parlement il y a quelques mois. Le deuxième projet porte sur la protection de ceux qui donnent l'alerte sur un fait de corruption, pour encourager les citoyens à dénoncer les exactions sans craindre des représailles. Le troisième porte sur l'enrichissement illicite dû à l'exercice de la fonction publique, le quatrième prévoit la création de la Haute Autorité de la lutte contre la corruption. Cette autorité devrait remplacer le ministère et devenir une structure permanente. Enfin, le cinquième projet de loi porte sur un mécanisme unifié dans le fonctionnement des institutions publiques. Le ministre Tuéni s'est rendu récemment chez le président de la Chambre pour lui demander de soumettre les quatre derniers projets à l'ordre du jour de la prochaine séance parlementaire de législation.

Pour Tuéni, si ces textes sont adoptés, ils constitueront les véritables outils de travail dans la lutte contre la corruption, sachant que le ministère ou la future Haute Autorité ne dispose pas d'une police particulière pour faire appliquer les décisions. Mais il a ajouté que la lutte contre la corruption passe par le renforcement du pouvoir judiciaire, qui doit, lui, prendre le relais. Il a précisé ainsi que son bureau a déjà reçu 150 plaintes judiciaires, mais son rôle se limite à les déférer devant la justice.

Tuéni a aussi déclaré aux étudiants que la lutte contre la corruption ne consiste pas nécessairement dans des actions spectaculaires ou dans l'envoi de personnes en prison. Elle vise à instaurer une nouvelle mentalité dans le traitement de la chose publique. Il a affirmé ainsi que, depuis la création de son ministère, il n'y a plus eu de contrats de gré à gré conclus par le gouvernement. Au contraire, tous les contrats passent désormais par un appel d'offres et par la direction des adjudications. De même, le projet de loi sur le budget qui devrait être soumis au vote de la Chambre la semaine prochaine a permis de faire des économies budgétaires, alors que la balance commerciale du pays est en hausse. Tuéni a répété que la lutte contre la corruption passe essentiellement par une régulation du fonctionnement des institutions. Mais, face aux questions des étudiants, il a reconnu que le travail à accomplir est immense, puisque le Liban est 136e sur 176 dans le classement des indices de la corruption (pour information, les pays scandinaves sont en tête de ceux qui ne sont pas atteints par le fléau de la corruption). Ce qui est loin d'être flatteur. En réponse à une question, Tuéni a déclaré que le système confessionnel actuel favorise la corruption, ainsi que les inégalités sociales. Mais il s'est empressé d'ajouter que la lutte contre la corruption n'est pas une mission impossible et la corruption n'est pas une fatalité pour les Libanais. Il s'agit, selon lui, de faire un effort collectif, ajoutant que les jeunes avec leurs idéaux et leur enthousiasme ont un grand rôle à jouer dans ce combat. « En ce qui me concerne, a-t-il dit, je fais dans ce ministère mon second service militaire... »