Un cinquième seulement des déplacés ont des papiers en règle, selon une enquête de l'USJ.
L'Institut des sciences politiques de l'Université Saint-Joseph (USJ) a rendu publics lundi les résultats d'une enquête menée en août 2016 auprès d'un échantillon de réfugiés syriens et de Libanais des communautés d'accueil. Cette étude porte principalement sur la perception qu'ont les réfugiés syriens de la sécurité et de l'accès aux services. Il en ressort, entre autres, que le sentiment de sécurité des réfugiés est souvent lié à leur capacité à renouveler leur permis de séjour.
Un premier sondage financé par le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) a été mené en juin 2015 par des étudiants libanais et syriens, des enseignants et des travailleurs sociaux. Un suivi des résultats a ensuite été effectué en août 2016, afin de pouvoir comparer l'évolution des perceptions. À chaque fois, 1 200 questionnaires ont été remplis par les réfugiés dans 120 villages. Six cents questionnaires ont été remplis par des Libanais se trouvant dans les mêmes villages.
« Cette étude nous permet de continuer à mesurer la perception qu'ont les réfugiés des questions de sécurité et d'accès aux services, et d'analyser les causes qui alimentent ces perceptions, explique Carole Charabati, directrice de l'Institut des sciences politiques de l'USJ. L'enquête nous donne aussi accès à la perception qu'a la communauté libanaise des réfugiés. Elle nous permet également de faire un suivi des informations sur les tensions dans le pays. Nous avons pu comparer entre 2015 et 2016 pour évaluer les changements et localiser les vulnérabilités », ajoute-t-elle.
Selon l'enquête, seulement 21 % des personnes interrogées avaient des permis de séjour valides en 2016 contre 30 % en 2015. Or 96,75 % des sondés pensent qu'avoir un permis de séjour en règle leur permet de se sentir plus en sécurité. Selon les statistiques, leurs plus grandes inquiétudes sont liées d'abord à la sécurité, puis à la santé et à l'éducation.
Quelque 80 % des réfugiés interrogés n'ont pas renouvelé leurs papiers en 2016 pour des raisons financières et 68 % ne l'ont pas fait parce qu'ils sont incapables de trouver un garant libanais. Pour rappel, la procédure de renouvellement d'un permis de séjour supposait jusqu'à récemment des frais d'enregistrement de 200 dollars. Les réfugiés sont désormais exemptés de ces frais. La procédure nécessite toujours d'avoir un garant libanais (ou sponsor) et un contrat de location, et de s'engager à ne pas travailler au Liban.
En outre, et même s'ils sont en principe interdits de travailler au Liban, 62 % des sondés ont un emploi qui, la plupart du temps, ne correspond pas à leurs qualifications ou aux métiers qu'ils exerçaient en Syrie.
La présentation des résultats a été suivie d'une intervention de Ghassan Moukheiber, député du Metn, qui a appelé à questionner plus de Libanais dans le futur afin d'en savoir plus sur leur vision des choses. Il a également suggéré de comparer cette étude à d'autres enquêtes « afin de permettre aux responsables de tirer les bonnes conclusions et d'agir ». M. Moukheiber a par ailleurs dénoncé le « manque de stratégie ou de plan d'action au niveau national ». « Les Libanais ont de plus en plus de ressentiment vis-à-vis des réfugiés syriens, ce qui peut mener au racisme. Cette attitude est malsaine sur le long terme », a-t-il mis en garde.
Khalil Gebara, conseiller du ministre de l'Intérieur, évoque pour sa part une véritable « success story » entre réfugiés et communautés d'accueil. « Les réfugiés syriens respectent la loi et les Libanais se sont montrés accueillants », a-t-il dit avant de préciser que les vols commis par des Syriens ont baissé en 2016 mais que l'on assiste à une hausse des arrestations de Syriens qui vendent de la drogue.
Karolina Lindholm Billing, représentante adjointe du HCR au Liban, a qualifié d' « exceptionnelle » l'hospitalité dont le Liban et les Libanais ont fait preuve envers les réfugiés syriens. « Nous allons nous baser sur les résultats de l'enquête pour voir comment améliorer le vivre-ensemble dans les régions où il y a des réfugiés », a-t-elle dit. La représentante du HCR a en outre insisté sur « l'importance du rôle des médias qui peuvent contribuer à changer la perception des Libanais en se basant sur des faits réels et non sur des histoires biaisées ».
Rouba Mhaissen, fondatrice et directrice de l'ONG Sawa qui vient en aide aux réfugiés syriens au Liban, a pour sa part critiqué l'attitude adoptée par l'État libanais et demandé de voir les choses en face. « Il faut se rendre à l'évidence: il y a un grand nombre de réfugiés en situation irrégulière qui travaillent malgré le fait qu'on leur ait interdit de le faire. Voyons les choses en face et travaillons à partir de là à améliorer la situation pour le bien de toute la société. Pour l'instant, il n'y a malheureusement pas de politique globale de la part du gouvernement », a-t-elle souligné. « Il arrive que Sawa reçoive des appels à 4 ou 5 heures du matin de la part de réfugiés dont les camps viennent de subir des raids menés par les forces de sécurité. Il y a tout un poids qui est porté par les associations de la société civile », a-t-elle conclu.
Les résultats de l'enquête menée par l'USJ peuvent être consultés sur: http://www.isp.usj.edu.lb/pdf/Perception%20of%20Security%20Feb%202017.pdf