Lorsque la Sûreté générale ouvre ses portes aux étudiants en master de communication politique à l'institut des Sciences Po de l'USJ, cela donne une rencontre de plus de deux heures avec le général Abbas Ibrahim. La vingtaine d'étudiants qui ont participé à cet événement, accompagnés de la directrice de l'institut Carole Charabaty et du directeur du master Pascal Monin, sont allés ce soir-là de découverte en découverte.
Au départ, le décor n'a pas été conçu pour les mettre à l'aise : les formalités, même allégées, de la Sûreté générale pour leur permettre d'entrer dans le bâtiment, puis l'installation dans l'auditorium destiné à accueillir un public nombreux, ainsi que l'ouverture de la rencontre par l'hymne national suivi de l'hymne de la Sûreté ont impressionné les étudiants. Le directeur de la Sûreté avait aussi convié à cette rencontre les principaux officiers de cette institution, dans le but de faciliter des échanges entre les étudiants, mais leur présence en uniforme ajoutait encore au côté officiel. Toutefois, quand le général Ibrahim a pris la parole, en libanais, l'atmosphère a commencé à se détendre à mesure que les étudiants posaient leurs questions, jusqu'au pot final qui a réuni tout le monde loin de tout formalisme.
Aux étudiants libanais et français venus l'écouter, Abbas Ibrahim a expliqué que la Sûreté générale « ressemble encore au Liban que nous voulons, dans sa diversité, son efficacité et son respect de la loi, alors que d'autres institutions publiques ont des ratés dans leur fonctionnement ».
« La démocratie est actuellement en déclin dans le monde entier, mais malgré cela, nous y restons attachés au Liban », a-t-il dit. Tout en reconnaissant que le Liban traverse actuellement une des périodes les plus délicates de son histoire, le général Ibrahim a rappelé que la mission de la Sûreté est de préserver la liberté et la sécurité du pays, « non contre les citoyens mais pour eux », sachant que les salaires des fonctionnaires civils et militaires de l'État sont payés par le contribuable libanais. Il a aussi insisté sur le fait que la sécurité est sociale avant d'être militaire.
Il a expliqué que c'est dans ce cadre qu'il a effectué des visites dans les régions défavorisées à Tripoli et dans la Békaa, pour être à l'écoute des citoyens qui sont en général « oubliés » par les services de l'État. Il y a d'ailleurs eu un échange avec les étudiants à ce sujet, ceux-ci voulant savoir si sa visite à Bab el-Tebbaneh ne peut pas être considérée comme étant dirigée contre le ministre démissionnaire Achraf Rifi. Le chef de la Sûreté a expliqué que ses visites dans les régions ne sont dirigées contre personne, mais elles visent à écouter les doléances des citoyens les plus défavorisés et à briser le tabou des divisions confessionnelles. Dans la Békaa, il a déclaré à ceux qu'il a rencontrés qu'il appartient à la communauté chiite qui a longtemps été considérée comme celle des déshérités. Elle a modifié la donne depuis, mais il ne veut pas que d'autres communautés connaissent les mêmes privations qui engendrent des frustrations.
En réponse à une question sur l'autosécurité prônée par certaines parties, Abbas Ibrahim a affirmé son opposition totale à ce concept. La solution aux incidents sécuritaires qui se multiplient est dans « un État fort et juste » capable de répondre aux attentes des citoyens. Toute autre formule d'autosécurité signifie l'établissement de lignes de démarcation internes dans le pays. Selon lui, les incidents entre les déplacés syriens et les Libanais sont dus au fait qu'il y a un nombre élevé de Syriens au Liban (ils sont désormais plus d'un million et demi) qui sont en grande majorité dans la misère. Il est donc normal qu'il y ait des frictions qui doivent être réglées par une plus grande justice sociale pour les Libanais et pour les Syriens, a-t-il dit, estimant que la communauté internationale n'a pas fait son devoir à l'égard du Liban et qu'elle a été plus généreuse avec la Turquie et avec la Jordanie.
Évoquant la lutte contre le terrorisme, il a affirmé qu'il n'y a presque plus de cellules dormantes au Liban, car elles sont pour la plupart identifiées et les différents services travaillent pour les démanteler. Il a ajouté que les services libanais sont très performants en la matière, ayant une longue expérience qui remonte à plus de trente ans. Il a aussi expliqué qu'il y a une certaine coordination avec les services étrangers, mais souvent ce sont les Libanais qui aident les services étrangers.
En réponse à une question, il a annoncé que les Palestiniens des camps seront dotés de passeports biométriques à partir du 31 octobre en tant que Palestiniens résidant au Liban. Il s'est prononcé en faveur de l'amélioration des conditions de vie des réfugiés palestiniens. Selon lui, il faudrait aborder ce dossier avec plus d'humanité.
Il a aussi annoncé que la Sûreté générale est désormais dotée d'un département des droits de l'homme pour coopérer avec les différentes ONG sur ce dossier. Au sujet de la prison des étrangers sous le pont près du Palais de justice, Abbas Ibrahim a rappelé qu'il l'avait qualifiée de « prison de la honte » dès qu'il avait pris en charge ses fonctions à la tête de la Sûreté en 2011. Il a finalement réussi à la déplacer. Le nouveau centre de détention a été inauguré le 27 août et il est pratiquement géré par Caritas, selon lui.
Par ailleurs, le conseil de l'ordre des journalistes et son président Élias Aoun ont décidé de rendre hommage au directeur de la Sûreté au cours d'un déjeuner donné en son honneur au restaurant Le Maillon. Cela a été l'occasion d'une conversation à bâtons rompus sur la sécurité et la présidence. M. Ibrahim a assuré qu'il y a une chance sérieuse d'aboutir à un accord sur la présidence, ajoutant que le président de la Chambre, Nabih Berry, ne sera pas un obstacle à l'élection du général Aoun.