Colloque : « La cour pénale internationale et les pays arabes »

L’inauguration du colloque s’est tenue le 26 novembre 2015, à l’Amphithéâtre Gulbenkian, du Campus des sciences sociales
jeudi 26 novembre 2015
15h
Amphithéâtre Gulbenkian - Campus des sciences sociales

L’inauguration du colloque « La cour pénale internationale et les pays arabes » s’est tenue le 26 novembre 2015, à l’Amphithéâtre Gulbenkian, du Campus des sciences sociales. Cet événement organisé par le Centre d’études des droits du monde arabe (CEDROMA) de la Faculté de droit et des sciences politiques de l’USJ, et placé sous le patronage du ministère de la Justice, a notamment réuni, autour du Recteur de l’Université Saint-Joseph le Professeur Salim Daccache s.j., du doyen de la Faculté de droit Mme Léna Gannagé et du directeur du CEDROMA Mme Marie-Claude Najm, de nombreuses personnalités dont le ministre de l’Information Ramzi Joreige, l’ancien premier ministre de Jordanie Awn el Khasawneh, le député Ghassan Moukheiber, les anciens ministres Ibrahim Najjar, Bahige Tabbarah et Naji Boustany, le bâtonnier nouvellement élu Antonio Hachem, le Recteur Joseph Maila, les ambassadeurs d’Espagne Milagros Hernando et d’Algérie Ahmed Bouziane, le président Ralph Riachi et de nombreuses personnalités du monde juridique et judiciaire. À cette occasion, Mme Marie-Claude Najm, Professeur à la Faculté de droit et des sciences politiques et Directeur du CEDROMA, a précisé que l’objectif de ce colloque est de « mener une réflexion constructive, au moment où la Cour traverse une période de crise, sur les problématiques liées à son fonctionnement et son activité, et en particulier, sur le rôle que pourraient y jouer les pays arabes. Sur les 22 membres de la Ligue des Etats Arabes, seuls cinq (la Jordanie, la Tunisie, Djibouti, les Comores, et, tout récemment, la Palestine) ont rejoint les rangs de la CPI. La réticence des autres pays arabes est-elle justifiée ? Comment effacer la méfiance, les incertitudes et les malentendus – au demeurant réciproques – qui ont pu s’installer entre la Cour et les pays arabes ? Quelle justice pénale internationale peut-on espérer aux lendemains – qui déchantent – de nos si brefs printemps ? La Cour sera-t-elle appelée à juger les crimes abominables commis dans les territoires palestiniens, en Syrie, en Irak et ailleurs, par les acteurs de tous bords ? Le temps du conflit fera-t-il place au temps de la justice ? Quelle réponse, enfin, au phénomène de l’Etat islamique- phénomène transnational, par ses ressources, par l’étendue géographique et la nature des crimes commis, par la diversité des nationalités de ses combattants ? Il y va, il est certain, de la crédibilité même de l’institution ». Et de souligner : « Longtemps confinée au seul continent africain, la Cour est aujourd’hui interpellée par des situations nouvelles : va-t-elle s’attaquer aux situations sensibles, gagnant ainsi en crédibilité, au risque de perdre le soutien de grandes puissances ? Ces questions ne font que traduire, en réalité, les tensions et tiraillements qui rythment l’existence même de la Cour : tiraillement entre des objectifs nobles et ambitieux (sanction, dissuasion, rapidité, indépendance…) et le poids amer de la réalité (moyens limités, politique des deux poids deux mesures, coopération inégale et sélective des Etats…). Tiraillement entre l’idéal de justice et la nécessité du compromis… Au-delà quel est l’avenir de la justice pénale internationale ? Quelle articulation avec les justices nationales ? Comment mettre fin à l’impunité si des mécanismes de compétence extraterritoriale ne sont pas adoptés ? La justice internationale est-elle un instrument de paix et de démocratie ou risque-t-elle parfois, comme on a pu le lui reprocher, de compromettre la stabilité et la réconciliation ? » « Vous pressentez déjà, Mesdames et Messieurs, toute la richesse et la complexité des questions posées… (…) Questions qui s’inscrivent, enfin, dans la mission du Centre d’études des droits du monde arabe : depuis sa création le 20 novembre 1997, le CEDROMA s’efforce d’approfondir la connaissance des droits des pays arabes, dans une perspective de droit comparé, notamment avec le droit français et les traditions européennes », a-t-elle ajouté. De son côté, Mme Léna Gannagé, Doyen de la Faculté de droit et des sciences politiques, a souligné qu’« en choisissant de consacrer un colloque à l’adhésion des pays arabes à la Cour pénale internationale, le Professeur Marie-Claude Najm nous invite à réfléchir à un sujet sensible et complexe, un sujet qui interpelle, bien au-delà des juristes, les responsables et les dirigeants politiques, un sujet qui met les sociétés civiles du monde arabe face à elles-mêmes, à leur histoire récente, et parfois à leurs contradictions ». « La rencontre des pays arabes et de la justice internationale ne va pas de soi. La culture de l’impunité s’est installée de longue date dans les pays arabes (…) L’adhésion des pays arabes à la Cour pénale internationale invite précisément à rompre avec cette culture de l’impunité. Mais elle soulève aussi immédiatement la question de savoir si le recours à la justice pénale internationale constitue la voie la plus appropriée pour y parvenir ». Et de poser une question essentielle : « Le caractère sélectif de la justice pénale internationale lui retire-t-il nécessairement toute légitimité ? L’inégalité devant la justice prive-t-elle nécessairement celle-ci de l’ensemble de ces vertus ? », notant que cette question est d’autant plus essentielle pour les pays arabes que « leur adhésion à la Cour pénale ne peut faire abstraction des réalités locales, de la défaillance de l’Etat de droit dans le monde arabe et de ses répercussions sur les systèmes judiciaires nationaux ». Bien souvent, a-t-elle constaté, « il ne s’agira pas tellement pour ces pays de choisir entre la justice internationale et la justice nationale, il s’agira bien davantage de choisir entre la justice internationale et le déni de justice, c’est-à-dire la poursuite de l’impunité, l’absence de réparation pour les victimes et leurs familles. Les choix à opérer sont de ce fait extrêmement complexes, et les réponses sont loin d’être définitives. C’est l’objet de ce colloque que de tenter de les esquisser. » Par ailleurs, M. Mohammad Saab, représentant le ministre de la Justice M. Achraf Rifi, a rappelé que malgré la participation de la République libanaise dans l’élaboration du Statut de Rome, le Liban comme de nombreux pays arabes n’a pas adhéré au Statut. S’il a déclaré ne pas être surpris par la position israélienne clairement hostile à la création de la Cour, il a ajouté que de nombreux activistes dans le domaine des droits de l’homme et de la justice pénale s’interrogent sur les raisons véritables du manque d’adhésion des pays arabes au Statut de Rome, alors même qu’une telle adhésion est de nature à renforcer leur position à l’égard d’Israël et de ses agressions, et qu’elle leur permettrait de jouer un rôle important dans tout amendement futur du Statut de la Cour, prenant ainsi l’exemple du crime d’agression qui a été intégré aux crimes relevant de la compétence de la Cour à la suite d’une forte revendication arabe lors de la rédaction du Statut. Et de conclure en appelant tous les Etats arabes qui ne l’ont pas encore fait à rejoindre les rangs de la Cour. Enfin, le Pr. Salim Daccache s.j., Recteur de l’Université Saint-Joseph, a souligné que « C’est un réel service que ce Centre (CEDROMA) a rendu au monde arabe et ce n’est pas une répétition stérile que d’insister aujourd’hui sur cette mission toujours vivante et à venir, du fait que notre monde est confronté à de nombreux conflits auxquels seuls les chercheurs et experts peuvent apporter des réponses méthodiques et objectives adaptées à la situation spécifique et tenant compte des principes et valeurs qui animent la raison universelle ». Concernant le thème du colloque, le Pr. Daccache, prenant pour point de départ la pensée des philosophes puisée dans la conscience humaine, a déclaré : « Le droit d’intervention au nom des valeurs humaines universelles est une donnée de base qui ouvre la porte à la nécessité d’une juridiction universelle, juste et équitable (…).Ce qui est recherché derrière cette revendication, n’est point une recherche d’une meilleure organisation des affaires des hommes, mais une paix universelle fondée sur deux ou trois principes : les hommes méritent cette paix eux qui ont vécu longtemps dans l’insécurité et la guerre ; la justice est le maître mot à rendre par cette gouvernance universelle, sa tâche étant d’aider les gens à vivre harmonieusement leur pluralisme ; la philosophie et les philosophes doivent être à la pointe de ce combat pour la paix (…). En réalité, nous sommes de nos jours bien loin, dans notre monde du Proche et du Moyen Orient, de la cité vertueuse jadis pensée par Platon ou Al-Farabi (…) Les conflits étant ce qu’ils sont et les responsables des injustices bravant toute justice, celle de ce monde ou celle du ciel, nous avons bien besoin de cette cour pénale internationale afin, du moins, qu’elle puisse dissuader par la peur et obliger tout responsable à rendre compte de ses actes qui manqueraient de vertu et d’humanité ».