Selon des sondages effectués par l'Institut des sciences politiques de l'USJ, 54 % des Libanais ne se sentent pas en sécurité, contre 26 % des Syriens.
Les Syriens au Liban sont prisonniers d'un « cercle vicieux d'insécurité », qu'alimentent en partie les appréhensions infondées des Libanais à leur égard. L'absentéisme de l'État en est le facteur principal. C'est ce que démontre la dernière étude effectuée par l'Institut des sciences politiques (ISP) de l'USJ sur le degré de sécurité que ressentent les Syriens vis-à-vis des Libanais, et les Libanais à leur égard.
L'étude vise à la fois à déconstruire les appréhensions mutuelles entre Libanais et Syriens, et à fournir à l'État des éléments de lecture et d'action. « Il y a aussi l'urgence de sensibiliser les États donateurs et de leur fournir des chiffres fixes et sérieux, surtout que la priorité de leur agenda, semble-t-il, n'est plus pour le Liban », précise à L'Orient-Le Jour la directrice de l'ISP, Carole Charabati.
Financée et soutenue par le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) de l'Onu, l'étude se base sur des sondages effectués, du 18 juin au 4 juillet, sur la base d'un formulaire en 50 questions, adressé à 1 208 Syriens et 608 Libanais, par une vingtaine d'étudiants, libanais et syriens, encadrés par Carole Charabati et par le chargé de cours Jihad Nammour.
Se déplaçant aux quatre coins du pays, à bord de deux voitures de location, et munis de 10 ipads pour un enregistrement simultané des données recueillies sur le terrain, les étudiants se sont rendus à des lieux choisis sur la base de la concentration démographique des déplacés, évaluée par le HCR.
Là, l'échantillonnage, quoique improvisé sur le terrain, devait couvrir certains critères, comme les types de logement. Les résultats de l'étude ont été annoncés hier, lors d'une conférence de presse au campus des sciences sociales de l'USJ.
Les Syriens sondés se sentent le moins en sécurité à Beyrouth, Ersal, Tripoli, Laboué et Baalbeck : 34 % des Syriens de la capitale disent ne pas se sentir en sécurité, contre 30 % au Nord, 27 % dans la Békaa, 18 % au Mont-Liban et 13 % au Sud.
D'une manière générale, la première source d'angoisse des déplacés est leur sécurité personnelle, menacée surtout par leur déplacement (le risque d'être arrêtés aux barrages, d'être harcelés par les autorités locales ou agressés par des Libanais...). Ils se sentent moins en sécurité dans des camps que dans des appartements loués, même s'ils y habitent à plusieurs. L'insécurité dans les camps est paradoxale, ceux-ci devant servir en principe d'abri sûr, comme c'est le cas en Jordanie et en Turquie.
L'entrave des papiers
Les Syriens sont également insécurisés par leur situation économique (62 % des Syriens sondés travaillent pour un salaire d'une moyenne de 393 USD) et l'impératif de détenir des papiers en règle (70 % des Syriens sondés n'ont pas entamé les formalités exigées pour légaliser leur séjour auprès de la Sûreté générale. En contrepartie, 79 % d'entre eux sont enregistrés auprès du HCR).
Selon l'étude, la principale entrave à l'obtention des papiers légaux est la procédure et son coût. Le permis de résidence, renouvelable chaque six mois, coûte 200 dollars au moins et n'est délivré que si le déplacé a un garant libanais, est signataire d'un contrat de location et s'engage à ne pas travailler au Liban. C'est principalement l'exigence d'un garant libanais et le coût élevé de la procédure qui empêchent les Syriens d'obtenir ce permis, précise l'étude.
Or la difficulté de légaliser leur présence au Liban affecte profondément le sentiment de sécurité des déplacés. D'ailleurs, c'est ce que pensent 87 à 91 % des Syriens sondés.
Les trois paramètres de la sécurité personnelle, les conditions de vie et les papiers requis sont donc liés. La situation illégale des déplacés entrave leur accès aux services, notamment sanitaires, et les contraint à limiter leurs déplacements. Mais ils ne peuvent longtemps fuir la nécessité d'assurer des rentrées, ce qui les conduit à chercher du travail, aussi minime en soit le salaire. Ils devront à la fois faire face aux aléas du déplacement – un défi en soi pour des réfugiés sans papiers – et gérer l'hostilité accrue des Libanais, à laquelle ils sont livrés à cause de leur travail (rivalité professionnelle, prise de contact directe avec les Libanais). C'est « le cercle vicieux de l'insécurité », explique Carole Charabati, schéma à l'appui.
La peur des barrages
Pour les Syriens sondés, franchir les barrages de contrôle est nécessaire pour se rendre à leur lieu de travail (le cas de 46 % d'entre eux), sinon pour accéder à des services de santé, d'éducation, d'aide, ou autres (le cas de 9 %), encore qu'ils ne sont pas sûrs d'obtenir ce service (37 % de l'échantillon se plaignent d'un traitement plus mauvais à leur égard que d'autres dans le processus).
Pour 71 % d'entre eux, franchir les barrages est inévitable. Ce passage n'a pas été sans problèmes pour 37 % des Syriens interrogés, ces problèmes étant les plus fréquents au Nord : 16 % au Mont-Liban, 32 % au Liban-Sud, 34 % à Beyrouth, 41 % dans la Békaa et 50 % au Nord ont dit avoir encouru des problèmes aux barrages. Ceux-ci sont comme une épée de Damoclès sur la tête des Syriens, qui sont amenés à inventer des moyens pour les fuir, comme descendre de voiture, peu avant le barrage, et poursuivre le chemin à pied. Mais la perception la plus négative à l'égard des institutions, exprimée par les Syriens, porte sur la Sûreté générale, l'armée et la police, faisant, elles, l'objet d'une opinion positive chez 75 % d'entre eux.
Néanmoins, le rapport aux autorités, ainsi que le degré de sécurité se détériorent progressivement, estiment les Syriens sondés, dont 50 % pensent que leur situation va encore s'aggraver. D'ailleurs, 76 % ne se sentent pas les bienvenus à Beyrouth, contre 50 % au Sud (le taux le plus bas, mais qui reste significatif).
L'effet des rumeurs
Aux pressions émanant des autorités officielles s'ajoutent, en effet, les pressions immédiates de la société d'accueil. L'étude fait état de 293 cas d'agression (dont 43 % sont verbales) sur les 1 208 Syriens sondés, soit une proportion du quart de l'échantillon. De ces cas, 86 % ont été imputés à des Libanais.
L'hostilité des Libanais à l'égard des Syriens est liée à la rivalité professionnelle, mais aussi au sentiment d'insécurité que ces derniers leur inspirent. Dans ce contexte de peur mutuelle, il existe une part de fantasmes, d'amalgames et de faits exagérés, que l'étude éclaire. Alors que les agressions (individuelles ou familiales) subies par les Syriens (24 %) sont plus nombreuses que celles rapportées par les Libanais sondés (9 %), et sachant qu'il est plus aisé pour les locaux de s'exprimer, ce sont pourtant ces derniers qui disent ressentir le plus d'insécurité (54 % des Libanais, contre 26 % des Syriens). En outre, beaucoup de Libanais ont dit avoir eu connaissance de cas d'agressions seulement par ouï-dire.
Le fossé qui se creuse entre Syriens et Libanais correspond à l'écart entre la perception et la réalité.