Le mariage précoce existe au Liban parmi la population locale (13 %) et réfugiée syrienne (22 à 24 %). Il est principalement dû à la pauvreté et à la décision du père de famille, mais n'est pas lié à la crise syrienne. S'il est en régression constante au sein de la population libanaise depuis 1935 et jusqu'en 1992, rien ne permet pour l'instant de connaître la situation jusqu'à nos jours, autrement dit les mariages contractés ces dernières années par les Libanaises et Libanais de moins de 18 ans. Rien ne permet non plus de savoir si le phénomène poursuit sa régression, ou s'il revient en force au sein de la population libanaise, depuis la crise syrienne.
C'est ce que révèle une enquête sur le mariage précoce
réalisée par l'Institut des sciences politiques de l'Université Saint-Joseph, en collaboration avec l'ambassade du Canada. Une enquête dont les résultats ont été publiés en début de semaine, lors d'une rencontre-débat au campus des sciences sociales de la rue Huvelin. Et qui a vu la présence de l'ambassadrice du Canada, Michelle Cameron, du vice-recteur de l'USJ, le père Michel Scheuer, de l'ancienne directrice de l'ISP, Fadia Kiwan, et d'un parterre de personnalités académiques et de la société civile.
Les communautés musulmanes en tête
Le mariage des femmes avant l'âge de 18 ans est nettement plus important au sein des communautés musulmanes libanaises. C'est aussi ce qui ressort de l'enquête intitulée « Mariage précoce : illusion ou réalité », effectuée auprès des Libanais et des réfugiés syriens. La communauté alaouite vient en tête avec un taux de 16 %, suivie par les communautés sunnite (13 %) et chiite (12 %). Malgré un faible taux, les communautés chrétiennes ne sont pas en reste, avec un taux de 7 % pour les maronites et les grecs-orthodoxes, et de 6 % pour les grecs-catholiques.
Autre constatation du travail qui porte la signature de la directrice de l'Institut des sciences politiques, Carole Alsharabati, et de la chercheuse Hala Soubra Itani : « Les zones périphériques ont les taux les plus élevés de mariages précoces. Plus on s'approche du centre (villes ou agglomérations), moins il y a de mariages précoces. » La tendance à marier les jeunes filles à l'intérieur de la famille est aussi très nette. « 21 % des femmes mariées avant 18 ans ont pris des époux de la même famille, contre 16 % des femmes en général, toutes générations confondues. »
« Les données concernant la population libanaise ont été prises des listes électorales de 2014 figurant sur les registres du ministère de l'Intérieur. » Les femmes mariées avant l'âge de 18 ans ont été identifiées en fonction de l'âge de leur premier enfant. Parmi les 89 307 femmes recensées, 11 598 ont eu leur premier enfant avant 18 ans, soit 13 %, note l'étude. « C'est ce qui explique les limites de cette source d'information », reconnaissent les intervenantes. Les femmes et les hommes actuellement âgés de moins de 21 ans en sont exclus, de même que les personnes non inscrites sur les listes électorales, ainsi que les femmes mariées qui n'ont pas eu d'enfants, pour ne citer que ces quelques limitations.
« Trois millions de livres : le prix d'une jeune Syrienne »
C'est à partir des bases de données de l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) qu'ont été tirés les chiffres concernant la population syrienne réfugiée au Liban. « Des chiffres alarmants, constate Mme Itani, car quasiment le quart des femmes mariées enregistrées auprès du HCR, soit 22 984 femmes, se sont mariées avant 18 ans. » Le plus dramatique est que « 93 % de ces femmes sont mariées avec des hommes de 9 ans plus âgés qu'elles, en moyenne ». Sans compter que « les taux semblent n'avoir pas varié au fil des ans ». Précis et fiables, ces chiffres « sont incomplets, car les listes de l'agence onusienne ne sont pas exhaustives, un grand nombre de réfugiés n'étant pas inscrits ». « Ces listes indiquent de plus le statut social des Syriens à leur entrée au Liban, sans évoquer l'évolution de leur statut au cours de leur séjour. Les mariages contractés au Liban ne sont probablement pas mentionnés », reconnaît la chercheuse. Des informations circulent pourtant sur « le prix moyen » d'une jeune fille syrienne, « de l'ordre de trois millions de livres libanaises », assure-t-elle.
Une enquête sur le terrain a été menée pour compléter les deux procédures de recherche, avec pour objectif de combler les lacunes. Cette enquête a touché 675 personnes sur l'ensemble du territoire libanais, parmi lesquelles 450 Libanais et 225 Syriens. Elle a montré que le facteur tribal, plus prononcé chez les Syriens, pourrait être lié au phénomène des mariages précoces, alors que chez les Libanais, cette réalité est liée au facteur de l'appartenance confessionnelle. Autre constatation de taille, il semblerait que le niveau d'éducation de la mère ait une incidence sur les mariages précoces, bien plus que le niveau d'éducation du père. « Plus une mère est instruite, moins elle admet le mariage précoce pour ses enfants. » De plus, 98 % des femmes qui ont été mariées avant 18 ans se prononcent contre le mariage précoce. Cette enquête montre aussi des différences entre Libanais et Syriens : « 77 % des Libanais sont formellement contre le mariage précoce, alors que seulement 56 % des Syriens le sont. »
Ce n'est qu'un début
« L'objectif d'une telle étude est de comprendre l'ampleur du phénomène et ses raisons, afin d'envisager des solutions », explique Hala Soubra Itani. Mme Alsharabati reconnaît de son côté que l'enquête est loin d'être complète et devrait être approfondie. « Ce travail n'a pas l'ambition de connaître tout le problème ni d'en identifier toutes les causes. Ce n'est que le début », dit-elle, répondant aux réflexions de l'assistance.
Rappelons que l'initiative a vu le jour en septembre 2014, à l'issue d'une exposition de photos de Stéphanie Sinclair, intitulée Too young to wed, accompagnée d'une conférence à plusieurs voix sur le mariage des mineures. Cet événement avait été le fruit d'une collaboration entre l'USJ, l'ambassade du Canada et L'Orient-Le Jour, qui avait recueilli les témoignages de jeunes femmes libanaises et syriennes, mariées avant l'âge de 18 ans, dans plusieurs villages du pays, photos à l'appui.
La prochaine étape ? « Préparer de nouvelles recherches et mener davantage d'enquêtes sur les mariages précoces », promet Carole Alsharabati. « Le concours de l'État pourrait être précieux », comme le fait remarquer un membre de l'assistance. Mais à la condition qu'il prenne son rôle au sérieux. Pour la petite histoire, le ministère de l'Intérieur a monnayé les données fournies aux chercheuses sur 36 CD, à raison de 50 000 LL par CD. Un seul DVD aurait largement suffi...