Au Liban, la loi sur les loyers anciens ouvre le débat sur le droit au logement

Article paru dans l"orient-Le Jour 21/4/2015
21 Avril 2015

Pour la première fois au Liban, la loi dite de modernisation des loyers anciens, qui libéralise ce type de baux bloqués depuis plusieurs décennies, a fait émerger la notion de « droit au logement » dans le débat public. Au-delà, c'est toute la question de la politique de l'habitat qui est posée. C'est dans ce cadre que l'ONG Legal Agenda a planché sur le sujet avec l'Association des économistes libanais et le cabinet d'urbanisme Public Works Studio, en vue de favoriser la préparation d'un projet de loi relatif au « droit au logement ». L'avocat Nizar Saghié, directeur exécutif de Legal Agenda, livre à L'Orient-Le Jour ses pistes de réflexion sur une politique globale en la matière. Le droit au logement n'existe pas au Liban. Comment le définissez- vous ? La notion de « droit au logement » est en effet absente des textes libanais. Il a été mentionné pour la première fois dans la récente décision du Conseil constitutionnel, lorsque celui-ci a statué sur la loi de modernisation des loyers anciens. Dans leur décision, les sages font référence au droit au logement comme un droit fondamental, qui ne peut pas être nié. Il est important de noter qu'il ne concerne pas seulement les locataires de baux anciens. Les plus démunis d'entre eux doivent bien sûr être inclus dans une politique globale de l'habitat. Mais ce droit doit aussi s'appliquer à d'autres populations, dont les revenus ne leur permettent pas de louer sur le marché libre ; voire aux personnes dont le logement est jugé insalubre, indigne ou dangereux. N'estimez-vous pas qu'il faudrait aussi envisager des réparations pour les propriétaires qui ont été spoliés pendant des années ? Il est de coutume de dire que la libéralisation des loyers anciens met fin à une « injustice vis-à-vis des propriétaires, qui dure depuis 70 ans ». Mais ce n'est pas vrai : l'encadrement des loyers a dans un premier temps répondu à une pénurie de logements locatifs et des abus de la part des propriétaires (loyers excessifs, expulsions arbitraires...). À l'époque, les loyers perçus ne permettaient peut-être pas aux bailleurs de réaliser des bénéfices extraordinaires, mais ils leur fournissaient un rendement « juste » de leurs biens. L'injustice réelle n'a commencé qu'à partir des années 1980, quand la livre libanaise s'est effondrée. Au-delà de cette injustice à réparer, il y a aussi une question à se poser : qui sont aujourd'hui les propriétaires de logements anciens? Selon moi, un fort pourcentage de logements anciens a été vendu à des promoteurs immobiliers. Les anciens propriétaires acceptant de les vendre à 50 % de leur valeur. À charge pour les promoteurs d'indemniser les locataires. Avec cette loi de modernisation des loyers anciens, les promoteurs n'ont plus besoin de les dédommager et engrangent potentiellement des bénéfices énormes. Quelles sont vos principales pistes de réflexion ? L'État doit mieux encadrer les loyers. Plusieurs solutions s'offrent à lui. L'une repose sur l'encadrement des loyers selon différents critères (région, surface...). Les pouvoirs publics pourraient également décider de taxer les logements vacants : des pans entiers du parc immobilier ne sont occupés que quelques semaines par an (voire pas du tout). Mais la réforme la plus importante serait de définir les capacités d'assistance des pouvoirs publics. Puis, à partir de là, de cerner les catégories de personnes auxquelles venir en aide. Il n'est pas logique d'aider seulement les locataires de baux anciens, sans critère socio-économique, et ne rien prévoir pour les autres. Il faudrait également mettre en place une politique de construction de logements sociaux par l'État ou les municipalités. Quelles sont les chances d'aboutissement de ce projet ? Il nécessite un long temps de gestation. Je ne sais pas s'il sera adopté in fine, mais une partie importante de notre travail repose sur la sensibilisation : nous cherchons d'abord à inscrire cette problématique dans le débat public. Si les Libanais en viennent à envisager le « droit au logement » comme un droit intangible, nous aurons gagné. Un droit reconnu à l'international Droit fondamental et universel, le droit au logement est reconnu dans de nombreuses législations nationales et internationales. Il est, par exemple, mentionné dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté en 1976 par les Nations unies. De là à imaginer que ce droit soit reconnu par la communauté internationale? On en est loin. Aux États-Unis, en effet, ce droit n'a pas d'existence au niveau fédéral. Seuls quelques États ou villes l'ont reconnu. Encore n'est-ce pas un droit au logement stricto sensu, mais un droit à l'hébergement, qui ressortit davantage de l'aide d'urgence envers les plus démunis. En Europe, sa nature et son étendue varient selon les pays. En France, outre la Constitution de 1946 qui le consacre, plusieurs textes jusqu'à la loi Besson (1990) valident sa mise en œuvre. Le législateur y affirme que « le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation ». La nation n'a pas ici l'obligation de fournir un logement à toute personne qui en fait la demande, mais elle doit lui apporter une assistance (dans une forme que la loi définit). En 2007, le législateur français institue même un droit au logement opposable, qui impose à l'État une obligation de résultats (et non plus de moyens comme auparavant). Cette loi vise à garantir le droit à un logement à toute personne qui, résidant en France de façon stable et régulière, n'est pas en mesure d'accéder à un logement décent ou de s'y maintenir.