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L'Orient-Le Jour
À l'USJ, la pratique néfaste du mariage précoce a été exposée en images lors d'une table ronde et d'un vernissage réalisés par l'université, l'ambassade du Canada et « L'Orient-Le Jour ». Un panel d'expertes a cerné le sujet sous toutes ses coutures.
L’exposition « Trop jeunes pour le mariage » se poursuivra jusqu’au 29 septembre. De gauche à droite : Hilary Childs-Adams, Leila Azouri, Anne-Marie el-Hage, Fadia Kiwan, Leila Awada et Hala Itani.
DROITS DE L’HOMME
À l'USJ, la pratique néfaste du mariage précoce a été exposée hier en images lors d'une table ronde et d'un vernissage réalisés par l'université, l'ambassade du Canada et « L'Orient-Le Jour ». Un panel d'expertes a cerné le sujet sous toutes ses coutures.
Quand on aborde le sujet du mariage précoce, les chiffres des Fonds de l'Onu pour la population sont, le moins qu'on puisse dire, ahurissants. Aujourd'hui dans le monde, on dénombre environ 67 millions de femmes entre 20 et 24 ans qui se sont mariées avant d'avoir eu 18 ans. Parmi elles, une fille sur 9 s'est mariée avant d'avoir eu 15 ans. À en croire les chiffres, plus de 142 millions de fillettes mineures se marieront encore au cours des dix prochaines années, soit 40 000 filles par jour environ. Si, dans des pays comme le Nigeria, 75 pour cent des femmes vivent cette expérience douloureuse, et plus de la moitié d'entre elles au Yémen, cela ne veut pas pour autant dire que le Liban échappe au fléau. Selon une étude réalisée en 2009 par l'Administration centrale des statistiques, 13 pour cent des filles se marient à un âge précoce au pays du Cèdre.
Stéphanie Sinclair est photographe au magazine National Geographic. Depuis plus de dix ans, elle dissémine partout dans le monde des clichés de mineures mariées qu'elle a rencontrées dans le cadre de son travail au Yémen, en Afghanistan, en Inde, au Népal ou encore en Éthiopie. Soucieux de faire campagne pour cette cause mondiale, le Canada a décidé de présenter l'exposition réalisée par la photographe et son équipe dans une dizaine de pays, dont le Liban.
Hier, au campus des sciences sociales de l'Université Saint-Joseph, une table ronde était organisée pour traiter du sujet afin d'inaugurer l'exposition, réalisée au moyen d'un partenariat entre l'ambassade du Canada, l'Institut des sciences politiques de l'USJ et L'Orient-Le Jour. L'exposition Sinclair ne présentant pas spécifiquement le mariage précoce au Liban, c'est notre collègue Anne-Marie el-Hage, ayant mené l'enquête sur le terrain à ce sujet depuis plusieurs années, qui a complété la collection de clichés par des photos prises lors de ses reportages.
Sur les photos exposées dans le hall de l'amphithéâtre Gulbenkian, l'on peut voir Ghulam (11 ans) en compagnie de son époux Faiz (40 ans), peu de temps avant leur mariage en Afghanistan. La fiancée qui voulait devenir enseignante est triste ; elle a été retirée de l'école quelques jours plus tôt. Sarita, elle, pleure avant son départ à la demeure de son nouveau mari. Elle n'a que 15 ans. Le visage de Bibi Aïcha, pour sa part, témoigne des agressions qu'elle a dû subir depuis son mariage conclu pour expier le crime d'un membre de sa famille. Elle a les oreilles et le nez coupés. Sous la photo d'une autre fillette, cette légende qui en dit long : « J'ai été élevée par mon mari, je ne me souviens même plus quand je lui ai été offerte... »
« Ces photos me touchent énormément », a affirmé l'ambassadrice du Canada Hilary Childs-Adams au lancement de la table ronde, après un mot d'accueil de la directrice de l'Institut des sciences politiques Carole Charabaty. « Depuis deux ans, heureusement, le mouvement pour lutter contre le mariage précoce prend plus d'ampleur. Ce phénomène détruit la vie des filles par le biais de grossesses non désirées, de maladies sexuelles, d'agressions, sans oublier qu'il met un terme à l'éducation et favorise la pauvreté », a ajouté la diplomate.
Un panel exclusivement féminin
Pour sa part, Anne-Marie el-Hage a tenté d'aborder le sujet d'un point de vue libanais en reprenant le récit de ses reportages au Akkar et dans d'autres régions. « Tout a commencé en 2010, alors que je menais une enquête sur l'analphabétisme au Akkar, a raconté la journaliste. Un père de famille m'a alors confié qu'il retirait sa fille de 12 ans de l'école pour la marier. Pendant plus de 4 ans, j'ai tenté d'en savoir plus, mais les habitants refusaient d'en parler. Ce n'est que cet été que j'ai pu me frayer un chemin vers des mineures qui ont eu à subir un mariage précoce. Ce genre de mariage est fréquent dans le Akkar, au Hermel, dans la Békaa et au Liban-Sud. Un peu partout à l'exception de la capitale. Et ce problème devient de plus en plus fréquent avec l'afflux des réfugiés syriens. Dans leurs camps, ces derniers concluent de nombreux mariages précoces. »
Ainsi, notre collègue a rapporté les histoires du village chiite de Siddiqine, sur les hauteurs de Tyr, et de Faour, un village sunnite de bédouins. Il y a d'abord celle de Ghadir (16 ans) qui a choisi d'épouser celui qu'elle aime, Mohammad (25 ans), peut-être par pauvreté « ou parce que c'est la norme ». Celle aussi de Nisrine, mariée à 15 ans par ses parents à un homme riche, le premier qui a demandé sa main. Étant aujourd'hui malheureuse, sa mère regrette de l'avoir mariée. Ou encore celle de Nadam, mariée à 14 ans pour expier un crime de famille ; de Kaoukab, qui a marié sa fille à 13 ans, mais aussi les histoires des réfugiées syriennes, le mariage précoce étant déjà assez répandu en Syrie.
« Un réfugié syrien a attendu que sa fille ait ses règles pour la donner en mariage. La petite croyait que le mariage se limitait juste aux festivités. La nuit de ses noces, elle s'est cachée dans l'armoire quand son mari a tenté de l'approcher, avant que sa belle-sœur ne la force dans les jours suivants à se soumettre », a raconté Anne-Marie el-Hage.
Leila Awada, avocate et activiste au sein de l'ONG Kafa, a assuré que ces fillettes sont souvent celles qui viennent 20 ans plus tard solliciter le soutien de l'association. « On se demande alors pourquoi elles sont restées avec leur mari tout ce temps. Pourquoi elles ont eu plusieurs enfants alors que leur homme les battait. Que voulez-vous qu'elles fassent si elles n'avaient que 14 ans ? » s'est interrogée l'avocate qui a qualifié cette situation de « prostitution légale » et qui a dénoncé l'absence de toute influence des autorités sur les tribunaux religieux au Liban, et le fait que certains cheikhs acceptent de marier de jeunes couples souvent mineurs sans l'accord de leurs parents. Des mariages souvent non reconnus qui finissent par mettre en danger la fille épousée.
Le Dr Fadia Kiwan, ancienne directrice de l'Institut des sciences politiques qui modérait le débat, a profité de l'intervention pour souligner l'importance de sensibiliser les jeunes à l'éducation sexuelle de manière saine et dénoncer certaines pratiques comme l'excision. « Le mariage précoce est un thème qui a refait surface dans nos sociétés arabes quand on a surtout vu des files d'attente d'hommes devant les mosquées attendant de marier leurs filles car ils ne pouvaient plus les nourrir », a-t-elle noté.
À chaque communauté ses lois
De son côté, Me Leila Azouri, présidente au sein de la Commission nationale pour les droits de la femme, a noté que dans 11 pays arabes, plus de 55 pour cent des pratiques jurisprudentielles encourageantes concernant la femme étaient en rapport avec les statuts civils. « Deux seulement concernent malheureusement le mariage précoce : une décision en Égypte de ne pas documenter les mariages de mineures et le cas de la Yéménite mariée à huit ans qui a demandé le divorce. Dans de nombreux pays arabes, les lois fixent un âge minimum pour les mariages qui varie d'un pays à l'autre, mais des exceptions sont toujours acceptées. Au Liban, chaque communauté a ses lois. La commission nationale étant consciente de la difficulté d'avaliser une loi unifiée à ce propos, nous préparons un projet qui stipule que tout mariage incluant une mineure doit obtenir le permis du juge des mineurs », a-t-elle relevé.
Enfin, le Dr Hala Itani, professeure à l'institut, a exposé les facteurs qui favorisent les mariages précoces, notamment la pauvreté, la vie rurale. « En Occident, avec l'urbanisation, nous avons même vu une diminution des mariages normaux », a-t-elle déclaré, énumérant les solutions pour lutter contre ce phénomène (notamment l'éducation) et ses conséquences. « Ces mariages augmentent la durée de fertilité d'une femme, surtout que les hommes qui épousent des mineures ont moins de contrôle sur la fréquence de leurs relations sexuelles. Cela favorise la pauvreté et consacre ainsi un cercle vicieux, a-t-elle affirmé. Sans oublier le viol, la prostitution et le fait qu'une femme qui se marie avant 15 ans a 60 fois plus de risques de faire une fausse couche ou d'accoucher d'un enfant malade qu'une femme qui se marie après 20 ans. »