O7 face à la guerre du Liban
Quand l'espoir se construit sur le terrain : l'expérience d'un étudiant engagé
Entrevue O7
Marwan Hamadeh – étudiant à la Faculté de pharmacie
Il faut dire que le Liban ne manquera jamais de nous surprendre par son large éventail de saveurs. Ces dernières années, le pays a été plongé dans une succession amère de crises, l’une plus dévastatrice que l’autre. Pour couronner le tout, la guerre est venue amplifier les drames, entraînant le déplacement de nombreuses familles, la destruction de foyers et des bouleversements profonds, notamment dans la vie des étudiants contraints d’osciller entre survie et quête de développement personnel.
Pourtant, même dans cette recette de souffrances et d’incertitude, l’espoir se trouve sur la liste des ingrédients. Tel une étincelle, il ravive le feu de la résilience grâce à des acteurs de l’ombre qui défient le chaos pour tendre la main aux plus vulnérables. Parmi eux, Marwan Hamadeh, étudiant en 4e année de pharmacie à l’USJ, a lancé une initiative personnelle à la fois sur le terrain et sous forme de donations. Pour en savoir plus sur cette démarche, nous avons posé quelques questions à Marwan :
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Marwan Hamadeh étudiant en 4e année de pharmacie a l’USJ ; j’ai une triple nationalité : ivoirienne, gabonaise et libanaise puisque j’ai grandi en Afrique. Je suis une personne profondément attachée aux valeurs familiales et à l'affectif, et j'accorde une grande importance à être présent pour mes proches, que ce soit ma famille ou mes amis. Durant mon temps libre, j’aime sortir avec mes amis et, en été, j’aime voyager et surtout retourner en Afrique.
Comment la guerre a-t-elle impacté ton quotidien ?
Personnellement, j’ai vécu la guerre avant même les bombardements de septembre, car je viens du Sud. Chaque été, je m’y rends de temps en temps pour rendre visite à ma grand-mère. J’ai aussi une tradition : celle de visiter la tombe de mon frère durant les fêtes de Ramadan et d’Al-Adha. Bien sûr, je n’ai plus pu y aller quand la guerre a commencé. J’y suis retourné une dernière fois en août, mais c’était un risque à prendre. Ensuite, lorsque les bombardements de septembre ont éclaté, j’ai dû quitter ma maison à Zoukak el Blat. Avec ma mère et ma sœur, nous avons trouvé refuge à Zgharta, où nous avons été très bien accueillis.
Comment a commencé ton initiative ?
Dans cette situation difficile, je ressentais le besoin d’agir. Avec ma mère, nous avons d'abord cherché des écoles qui accueillaient des déplacés et nous nous sommes rendus sur place pour les soutenir. Je pense que mes origines du Sud ont joué un rôle important, car les déplacés se sont sentis plus à l’aise de se confier à moi. Cette situation m'a profondément marqué, et j'ai réalisé qu'au lieu de dépenser de l'argent pour des repas coûteux, je pouvais l'utiliser pour aider ceux qui en avaient réellement besoin. L'initiative a débuté modestement, avec mes parents, en mettant de côté une somme pour acheter des produits de première nécessité, mais certainement, ce n’était pas suffisant. Un jour, une amie d’Afrique, avec laquelle je discutais, a été tellement touchée par la démarche qu'elle a décidé de contribuer en envoyant une somme d'argent importante. Cette aide m’a donné l’idée de solliciter d'autres amis en Afrique, qui ont également répondu présent. Les montants de dons variaient entre 10 et 3000 dollars par personne. Qu'il s'agisse d'amis libanais ou africains, ils étaient tous fiers de participer à cette initiative. Avec de tels montants, il devenait nécessaire d’organiser les efforts de manière plus structurée. Je me suis tourné alors vers la municipalité de Zgharta, qui effectuait un travail remarquable de recensement des réfugiés jusqu’à Ehden. Chaque jour, une liste des produits nécessaires était dressée. Je déposais alors des cartons aux familles dans les écoles mais aussi aux familles d’accueil, en établissant un contact direct avec elles.
Une partie importante de cette aide est passée par un supermarché local qui se faisait livrer par un autre situé dans la banlieue sud de Beyrouth. Le propriétaire, malgré les risques, allait chaque jour récupérer ses marchandises et les vendre. Donc, notre aide ne se limitait pas seulement à la distribution de vivres, mais aussi à soutenir de petites entreprises locales.
J’ai également organisé des activités pour les enfants, comme des séances de coloriage et de jeux en leur assurant du matériel, du jus, des snacks et des bonbons.
Qu’est-ce qui t’as poussé à entreprendre cette démarche ?
Je suis très attaché à mon village et mon pays, donc en voyant tout ce qui se passait, mon cœur était meurtri. Aussi, étant très démonstratif, j’aime montrer mon amour aux autres à travers des actes concrets et la vie m’a appris qu’il faut être là les uns pour les autres. En famille aussi on est très soudés et je considère le Liban comme ma famille, donc c’est vrai, la situation est dure et on souffre, mais comme on dit « Ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières ». J’ai fait ce que je pouvais avec ce que j’avais.
Ton initiative s’est-elle limitée à des donations dans la région de Zgharta ?
Non, je connaissais des familles dans notre voisinage au Sud qui avaient énormément besoin d’aide. J’ai donc envoyé de l’argent à des personnes de confiance, pour des cas spécifiques, ou bien fourni des aides sous forme de produits de première nécessité.
Il y avait également un cas psychiatrique, une fille de 17 ans atteinte de schizophrénie sévère. Il fallait l’aider, donc nous avons apporté un soutien moral à la famille du mieux que nous le pouvions car cette initiative ne se limite pas à de l’argent ou des produits. La fille avait un cas grave mais il n’était pas possible de la prendre en charge, car cela nécessitait des soins coûteux. Nous avons donc parlé aux associations humanitaires et finalement, la municipalité a pris en charge son dossier. Il est important de mettre en lumière ce genre de maladies qui porte atteinte non seulement à la personne elle-même, mais à son entourage également.
Pourquoi as-tu choisi de te retourner vers l’O7 aujourd’hui ?
En ce moment, avec les finaux qui approchent, je suis complètement débordé. Je reste en contact avec les familles, mais je ne peux pas les aider plus que ça, je me dirige donc vers l’O7 qui est une cellule fiable et à laquelle j’ai adhéré il y a un moment déjà. J’ai toujours été profondément touché par ses initiatives et je trouve l’O7 très inspirante.
J’ai fait plein de donations à l’O7 jusqu’à présent et je compte continuer à en faire chaque mardi et mercredi d’ici la fin de la guerre. J’envoie de tout, produits d’hygiène, nourriture et même des snacks aux enfants. Je ne veux pas m’arrêter uniquement aux nécessités, car les enfants, ils ne connaissent pas la guerre. Peut-être que des bonbons peuvent sembler des futilités pour certains, mais voir les enfants sourire fera certainement plaisir à leurs parents. Il faut aussi prendre en compte le fait qu’il y a des ONG qui financent déjà le déjeuner et le diner.
Comment as-tu fait pour jongler entre tes études et le bénévolat ?
Les deux premières semaines, l’Université était fermée. Comme j’étais chez moi à ne rien faire, autant faire quelque chose de productif pour moi et pour les autres. Ensuite, quand les cours en ligne ont commencé, le matin j’y assistais et durant la pause, j’allais directement aider puisque les écoles étaient à quelques pas de la maison. Ensuite, après les cours j’y repartais. Mais ma mère et ma sœur ont joué un rôle très important en m’apportant de l’aide dans la logistique.
Je voulais le faire moi-même et non pas en passant par une association, car je souhaitais avoir un contact direct avec les personnes. Je ne faisais pas ça par nécessité mais par envie.
Est-ce qu’on verra ce genre d’initiative après la guerre ?
Certainement, pour l’après-guerre il y aura beaucoup de travail à faire, puisqu’il y a des personnes qui ne pourront même pas retourner chez elles, donc les familles auront besoin d’un soutien matériel mais aussi d’un soutien psychologique.
J’aimerais aussi ajouter que toutes les familles que j’ai aidées m’ont invité après la guerre à venir les voir ou partager un repas, pour montrer à quel point les Libanais sont hospitaliers.