Pr Nicolas Louka occupe plusieurs postes de direction à la Faculté des sciences (FS) de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ), notamment en tant que directeur du Hall de technologies, du Centre d'Analyses et de Recherche de la FS, ainsi que de l'UR "Technologies et Valorisation agro-alimentaire". Expert en conception d'équipements industriels, il est également chargé du transfert de technologie. Nous avons eu l'occasion de le rencontrer pour parler de son rôle, du Hall de technologies, et des perspectives qu'il offre pour la recherche, l'innovation et la collaboration avec l'industrie.
Propos recueillis par Roger Haddad
Qu’est-ce que le Hall de technologies ?
Le Hall de technologies est un espace conçu pour faciliter les tests et les essais à échelle préindustrielle. Concrètement, il s'agit d'un bâtiment équipé d'une infrastructure technique robuste, incluant des sources de fluides indispensables comme la vapeur, l'air comprimé, de l'eau chaude et froide, ainsi que divers types de branchements électriques. Nous disposons également d'équipements plus spécifiques comme des pompes à vide, des réservoirs de mélange et potentiellement des éléments tels que le CO2 ou l'azote.
Ce qui est essentiel, c'est la présence de ce que nous appelons des "opérations unitaires", qui sont des processus fondamentaux dans la transformation industrielle. Cela inclut des opérations comme le séchage, qui peut se faire par ébullition ou par air chaud, ainsi que des procédés de séparation tels que la filtration, l'ultrafiltration, ou encore l'osmose inverse. Ces outils permettent de réaliser des tests de faisabilité, des essais d'optimisation et même de la recherche appliquée.
Nous avons la capacité d'intégrer des équipements pilotes, soit développés en interne à partir de nos propres inventions, soit prêtés par des industriels, pour mener des recherches à différents niveaux. C'est ainsi que le Hall joue un rôle crucial dans la réalisation d'essais en conditions réelles, tout en assurant une synergie entre les recherches théoriques et les applications industrielles.
Le Hall soutient-il la recherche et l’innovation des étudiants et des chercheurs ? Comment accèdent-ils aux ressources du Hall ?
Absolument, le Hall de technologies est un outil indispensable pour quiconque souhaite dépasser le cadre du laboratoire classique. Le laboratoire est l'endroit où les idées naissent et prennent forme, mais lorsqu'il s'agit de les appliquer dans un contexte industriel, il devient nécessaire d'avoir accès à des installations plus vastes et pluridisciplinaires, permettant d'intégrer divers procédés à plus grande échelle. Cela inclut, par exemple, la combinaison de la filtration, du séchage et de la destruction des micro-organismes, le tout dans une chaîne de production plus complexe.
Au sein de la FS, tous les étudiants et chercheurs ont le droit d’accéder aux ressources du Hall et du Centre d'Analyses et de Recherche, que je dirige également. Bien sûr, certaines machines sont plus dangereuses et nécessitent un accompagnement, mais sous la supervision des professeurs, les étudiants peuvent participer activement à des projets innovants. Par exemple, nous travaillons actuellement sur un projet visant à améliorer la productivité des biopesticides à partir de sous-produits de l’industrie agroalimentaire. Ce type de projet implique souvent un étudiant en master ou en thèse, sous la direction d’un professeur responsable, et utilise des machines spécifiques du Hall pour tester des procédés de transformation et optimiser les résultats.
Ainsi, le Hall n'est pas seulement un lieu d’expérimentation, mais un véritable moteur d’innovation où les étudiants peuvent mettre en œuvre leurs connaissances tout en bénéficiant d'un soutien technique et matériel.
Le Hall contribue-t-il à renforcer les collaborations entre la Faculté des sciences, l’USJ et les secteurs industriels ?
Oui, un Hall de technologies comme celui-ci est indispensable pour renforcer les collaborations avec les secteurs industriels, qu'ils soient nationaux ou internationaux. Il permet aux industriels de bénéficier d'installations complètes sans avoir à investir eux-mêmes dans l'infrastructure nécessaire. Au lieu d'acheter des chaudières, des compresseurs ou des générateurs, ils peuvent utiliser nos équipements pour effectuer des tests, des études de faisabilité, ou même développer de nouveaux produits.
Par exemple, nous travaillons avec plusieurs industriels locaux sur des projets allant de la production de chips et des cacahuètes allégées en huile à l'utilisation de déchets plastiques pour produire du fioul, ou encore sur des composteurs des déchets fermentescibles. Ces collaborations sont facilitées par notre capacité à accueillir les équipements des entreprises, à les intégrer dans notre structure, et à fournir un cadre scientifique pour la recherche. Le Hall sert également de plateforme pour la conception et la fabrication de réacteurs ou d'autres équipements industriels sur mesure, souvent dans le cadre de contrats de recherche ou d’études doctorales.
Ces collaborations sont essentielles pour la recherche appliquée et l’innovation, et le Hall de technologies joue un rôle clé en offrant un lieu où ces partenariats peuvent se développer efficacement.
Quels sont les projets phares réalisés au sein du Hall de technologies ?
Avant de répondre à cette question, mais dans le même contexte, je tiens à rendre hommage à notre défunt partenaire, M. Joseph Al-Kazzi, PDG de la société Al-Kazzi, qui a grandement contribué à notre développement grâce à son soutien financier pour plusieurs thèses de doctorat. C’est grâce à son appui, ainsi qu’à celui du Conseil de la recherche de l’USJ, que nous avons pu poser les premières bases du Hall de technologies.
L'un des projets récents mené en collaboration avec des équipes en France concerne la production de colorants d'une qualité exceptionnelle. Ces colorants sont produits par voie biotechnologique par de levures (Yarrowia Lipolytica) et présentent des propriétés antibactériennes et antifongiques. En plus d’être stables et non toxiques, ils ont une forte activité antioxydante, ce qui les rend particulièrement intéressants pour des applications dans le domaine médical ou alimentaire, par exemple pour teinter les blouses chirurgicales ou les jouets des enfants.
Un autre projet marquant, développé en collaboration avec les sociétés Al-Kazzi et Agreene Organics, est celui que nous menons actuellement sur les cacahuètes, où nous avons réussi à réduire de manière significative la teneur en huile tout en doublant le taux de protéines, et ce, sans avoir recours à des procédés chimiques. C’est un procédé physique innovant et confidentiel, et nous espérons voir ce produit sur le marché très prochainement.
Nous avons également travaillé, avec la société Al-Kazzi, sur des pois chiches et du maïs croustillants, produits sans friture, un autre projet qui devrait bientôt être commercialisé. Par ailleurs, nous avons collaboré avec Arc-en-Ciel pour installer une usine de production de biopesticides dans la région de la Bekaa, en utilisant des méthodes développées au Hall.
Un autre projet phare concerne l’élimination des toxines dans des produits liquides. Nous avons mis au point une méthode permettant de réduire les mycotoxines de 95 %, ce qui permet de rendre des produits comme le lait, le jus de fruits ou le vin conformes aux normes sanitaires, même s’ils dépassaient largement les seuils autorisés.
Enfin, nous travaillons actuellement sur des produits alimentaires enrichis en polyphénols, avec des applications allant des fromages aux chips en passant par le sel, qui, grâce aux polyphénols, pourrait avoir un effet bénéfique sur la tension artérielle. Tous ces projets sont des exemples concrets des avancées technologiques réalisées au sein du Hall, et témoignent du potentiel immense qu'il représente pour l'innovation.
Le Hall de technologies, sous la direction du Pr Nicolas Louka, joue un rôle crucial dans la transformation de la recherche scientifique en solutions concrètes pour l’industrie. Grâce à une infrastructure de pointe, il offre un espace unique pour les collaborations entre l’université et le secteur privé, tout en soutenant l’innovation des étudiants et des chercheurs. Que ce soit dans le domaine agroalimentaire, biotechnologique ou industriel, les projets qui y sont développés contribuent non seulement à l’avancement de la recherche, mais aussi au développement de produits ayant un impact direct sur la société.