« Combattre l’impunité ». C’est sous cet intitulé que s’est ouvert le 23 mai dernier le cycle de conférences organisé par le Centre d’études des droits du monde arabe de la Faculté de droit de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (CEDROMA), avec le soutien de l’Institut français du Liban, en présence du premier président de la Cour de cassation, Souheil Abboud, de Madame Sabine Sciortino, conseillère de coopération et d’action culturelle, directrice de l’Institut français du Liban, de Madame Mathilde Pousse, attachée de coopération auprès de l’ambassade de France, de plusieurs familles de victimes de l’explosion du 4 août, ainsi que de nombreux juristes, magistrats, avocats et activistes de la société civile.
Dans son allocution d’ouverture, le Recteur de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, le Professeur Salim Daccache s.j., a évoqué l’engagement de l’Université dans la lutte contre l’impunité et les différents manifestations, séminaires et conférences organisés autour de ce thème dans plusieurs institutions. Le doyen, Marie-Claude Najm, a souligné à cet égard le rôle des facultés de droit dans la nécessité de porter ce combat rappelant que si « l’impunité se nourrit de la corruption politique et financière, comme de la faiblesse des appareils judiciaires, elle ne se maintient que par la résignation des sociétés civiles ».
Prenant la parole au nom de l’Institut français du Liban, Madame Sabine Sciortino, conseillère de coopération et d’action culturelle, a mis en évidence les enjeux attachés à la lutte contre l’impunité en rappelant que « lutter contre l'impunité, c'est refuser l'amnésie et rechercher la vérité pour redonner du sens. Lutter contre l'impunité, c'est entendre la souffrance des victimes et de leur famille et leur redonner une identité. Lutter contre l'impunité, c'est rendre justice, pour rompre la spirale de la vengeance personnelle et permettre de nouveau de dessiner un horizon collectif, un horizon commun. Car il ne pourra y avoir de redressement du Liban sans justice ».
Le cycle de conférences a été présenté par le directeur du CEDROMA, le Professeur Léna Gannagé, qui a affirmé que le thème de l’impunité s’est imposé assez vite au Centre « dicté par l’actualité libanaise et par la violence de la crise qui sévit dans le pays (…). L’une des raisons majeures à l’origine du désastre actuel réside dans la certitude qu’éprouvent ceux qui l’ont provoqué que nul ne viendra leur demander des comptes, que nul n’engagera leur responsabilité, en somme qu’ils sont au-dessus des lois et hors d’atteinte de la justice ». Elle a rappelé comment l’impunité s’était progressivement installée dans le paysage juridique libanais à la faveur de la loi d’amnistie du 26 août 1991 qui a mis les principaux protagonistes de la guerre à l’abri des poursuites.
« Plutôt que de rendre des comptes ou de voir leur responsabilité engagée, les protagonistes de la guerre ont été directement propulsés à la tête ou à l’intérieur des institutions étatiques. À un moment où il aurait fallu penser l’édification de l’État, c’est le contraire qui s’est produit. La culture milicienne a envahi les institutions libanaises : elle y a exacerbé la logique du partage des parts et des biens de l’État. Elle a progressivement détruit une à une toutes les institutions libanaises et il était normal que l’une de ses premières victimes ait été l’institution judiciaire elle-même ».
Le directeur du CEDROMA a enfin souligné « la nécessité pour les universités d’interpeller, d’interroger, de déranger (…) elles doivent réveiller la capacité d’indignation, refuser les résignations mortifères, condamner le relativisme des valeurs et la normalisation de ce qui est profondément anormal ».
Le colloque s’est déroulé sur deux après-midis : la première, le 23 mai, portait sur l’entrave à la justice dans la tragédie du port de Beyrouth. Le panel réunissait M. Bertrand Mathieu, professeur émérite de l’Université Panthéon-Sorbonne qui a traité de la question des responsables politiques devant la justice, en revenant avec beaucoup de nuances sur la question sensible des immunités en droit libanais, à la lumière de l’expérience française. Son intervention a été suivie par celle de M. Fadi Oneissy, Président honoraire de la Cour d’appel du Mont-Liban, apportant ainsi pour la première fois, le regard très précieux d’un magistrat sur différents volets de l’affaire du port : les immunités, les recours en dessaisissement et en récusation, la compétence du Parquet général pour ordonner la « libération » des personnes en détention.
La parole a été ensuite donnée à M. Neil Hart, qui, à la demande du barreau de Beyrouth, a suivi le dossier de la société Savaro au Royaume-Uni. Dans une intervention qui a transporté le public vers la High Court de Londres, il a rappelé les différentes étapes de la procédure devant les juridictions britanniques. La séance s’est achevée avec le témoignage, fort et émouvant, de Cécile Roukoz, dont le frère Joseph Roukoz a perdu la vie dans l’explosion du port. Le débat qui a suivi a permis aux familles des victimes d’exprimer leur émotion et leur indignation face au déni de justice dans cette tragédie.
Le second panel, qui s’est déroulé le 24 mai, portait sur le déni de responsabilité face à la crise financière et plus précisément sur la question de la responsabilité de l’État, de la Banque centrale et des banques libanaises dans le déclenchement et l’aggravation de la crise. La modération du panel a été assurée par Madame Lamia Moubayed, directrice de l’Institut des finances Bassil Fleyhan. Ont pris la parole à cette occasion, Maître Karim Daher, avocat à la cour, ancien président de la commission de défense des droits des déposants du barreau de Beyrouth ; Maître Akram Azoury, avocat-conseil de l’Association des Banques du Liban ; M. Ghassan Ayache, ancien vice-gouverneur de la Banque du Liban et Madame Marie-Claude Najm, doyen de la Faculté de droit et ancienne ministre de la Justice.
Trois heures de discussions intenses et de débat avec le public au cours desquelles ont été soulevées d’importantes questions de fond, notamment celle de la répartition des responsabilités entre l’État, la Banque du Liban, le secteur bancaire et les déposants ; celle des modalités et des limites de la restitution des dépôts, les obstacles actuels à l’adoption d’un plan de redressement ou les moyens de restaurer la confiance à l’égard des banques.
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