L’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ) a lancé la Chaire d’études phéniciennes, lors d’une cérémonie qui a eu lieu le mardi 28 mai 2024 à l’amphithéâtre Laila Turqui de la Bibliothèque orientale (BO) de l’Université, en présence d’anciens ministres, de doyens, de directeurs, de professeurs, d’étudiants, d’anciens et d’amis de l’USJ. Cet évènement a été marqué par une conférence inaugurale tenue par le Professeur Françoise Briquel-Chatonnet intitulée « Qui étaient les Phéniciens ? Du mythe à l’histoire ».
Le Recteur de l’USJ, le Pr Salim Daccache s.j., a ouvert la cérémonie par des remerciements chaleureux à tous ceux qui ont contribué à la création de cette Chaire, notamment Mme Maha Khalil Chalabi dont l’enthousiasme et le dévouement pour la Phénicie ont été déterminants. « Grâce à son engagement, a-t-il précisé, une précieuse bibliothèque phénicienne de 2000 ouvrages a été attribuée à la Chaire et est désormais installée au quatrième étage de la Bibliothèque Orientale ».
Le Pr Daccache a également exprimé sa gratitude envers le Dr Roland Tomb, Doyen honoraire de la Faculté de médecine de l’USJ, pour avoir ravivé l’idée de cette Chaire. « Son amour pour la Phénicie et son héritage, a déclaré le Recteur, a conduit à l’introduction de l’apprentissage de la langue phénicienne dans le programme des études en médecine. » Le Recteur a remercié aussi le Pr Françoise Briquel-Chatonnet, éminente historienne et directrice de recherche au CNRS, pour avoir accepté de diriger cette nouvelle Chaire, ainsi que M. Joseph Rustom, directeur de la Bibliothèque Orientale, pour avoir accueilli favorablement cette initiative et aménagé les locaux en un temps record.
En outre, le Pr Daccache a insisté sur l’importance de cette Chaire pour l’USJ et pour le Liban, soulignant qu’elle marque un engagement scientifique et humain pour mieux connaître et valoriser le patrimoine phénicien. « Trois Conseils, a ajouté le Recteur, ont été créés pour assurer une bonne gouvernance de la Chaire : le Conseil scientifique international, présidé par Mme Briquel-Chatonnet, le Conseil d’orientation présidé par le Pr Tomb, et le Comité d’honneur présidé par Mme Khalil Chalabi. M. Maroun Khoreich devient directeur exécutif de la Chaire. » « Tout cela, a-t-il poursuivi, pour dire et affirmer que ce projet ne sera seulement une initiative sans lendemain, mais une chaire qui marquera les études phéniciennes. (…) Et enfin, la question traditionnelle qu'on va se poser. Sommes-nous, les Libanais, les descendants des Phéniciens ? À mon avis, si le critère est l'entrepreneuriat, la créativité et la mobilité, nous serons tous des Phéniciens. »
Ce fut ensuite au tour de Mme Maha Khalil Chalabi, ambassadrice de bonne volonté de l'UNESCO et figure emblématique de la préservation du patrimoine phénicien, de prendre la parole. Elle a ainsi souligné l’importance du passé, du présent et du futur comme points d’ancrage pour chaque être humain. En se remémorant son passé d’étudiante à l’USJ, elle a exprimé sa joie de voir la Chaire d’études phéniciennes s’implanter à la BO, lieu propice pour offrir aux générations futures les richesses de l’histoire phénicienne.
Par ailleurs, Mme Chalabi a annoncé avoir cédé à l’USJ sa bibliothèque personnelle riche de plus de 2000 ouvrages sur la Phénicie et constituée au fil des décennies. Elle a appelé à prendre soin de ce précieux héritage pour encourager la recherche et la préservation des sites historiques autour de la Méditerranée, tout en développant le tourisme culturel.
Pour sa part, le Pr Roland Tomb a évoqué l’histoire moderne du Liban en relation avec le phénicianisme, soulignant le rôle de ce courant de pensée dans la construction de l’identité nationale libanaise. En effet, lors de la proclamation du Grand Liban en 1920, précise Tomb, les Phéniciens ont été au cœur du débat politique et culturel, promus par des intellectuels comme Charles Corm. Le phénicianisme prend de l’essor dans la mesure où il peut cristalliser et justifier une identité nationale spécifique non fondée sur la religion. Un siècle plus tard, les débats politiques changent complètement de registre. Les « ismes » d’antan ne constituent plus des enjeux. Le phénicianisme, remisé au rang d’une curiosité folklorique, a disparu des débats. Il a cependant contribué à forger une identité nationale distincte, fondée sur un héritage humaniste et culturel « tellement ancré dans les esprits que ses symboles auraient apparu sur les timbres libanais, sur les billets de banques libanais, sur les noms des sociétés, des projets étatiques comme Elissar, des hôtels comme Phoenicia et Ahiram, des lycées comme Melkart et Cadmos. »
« Et ces dernières années, note Tomb, une banque prend le nom de Fenicia Bank et une nouvelle université s'implante au Sud, Phoenicia University, deux initiatives musulmanes chiites. Nous sommes à des années-lumière de l'exclusivisme chrétien et maronite. Beyrouth redécouvre ses vestiges cananéens et phéniciens, on instaure une journée de l'alphabet, des cours optionnels d'épigraphie phénicienne connaissent un grand succès à l'USJ. Le phénicianisme n'est heureusement plus un enjeu politique, n'est plus un enjeu idéologique, mais le passé phénicien est une composante assimilée et assumée de notre pays. »
Cependant, le Pr Tomb a regretté que l’intérêt académique pour les études phéniciennes soit souvent négligé au Liban, malgré l’essor considérable de ces études à l’étranger. « La création de cette Chaire vise à combler ce manque, ajoute-t-il, en promouvant l’éducation et la recherche sur la civilisation, la langue et l’histoire phéniciennes ». En outre, il a annoncé plusieurs initiatives, notamment un cycle de conférences annuelles, des visites de sites phéniciens, des cours en partenariat avec des établissements scientifiques libanais et l’Institut français du Proche-Orient, ainsi qu’un site web et une newsletter pour diffuser les activités de la chaire.
De son côté, le Pr Françoise Briquel-Chatonnet a exprimé son honneur et sa gratitude d’être la première titulaire de cette Chaire. Elle a souligné l’importance de définir clairement l’objet d’étude, les Phéniciens, et insisté sur l’approche historique pour comprendre cette civilisation antique, en distinguant les faits historiques des revendications identitaires modernes. Elle a également évoqué le rôle crucial des Phéniciens dans l’histoire, notamment leur contribution à la diffusion de l’alphabet phénicien, un système simple et efficace qui a favorisé les échanges culturels et commerciaux, sans oublier de mentionner les découvertes archéologiques qui continuent d’éclairer notre compréhension de la religion, de l’architecture et des pratiques culturelles phéniciennes.
La conférence inaugurale a ainsi ouvert de nouvelles perspectives pour mieux connaître les réalités du monde phénicien, un monde marqué par une civilisation d’entrepreneurs et de navigateurs ayant laissé une empreinte indélébile dans l’Histoire.
L’inauguration de la Chaire d’études phéniciennes à l’USJ marque le début d’une nouvelle ère de recherche et de valorisation de l’héritage phénicien. Grâce à cette Chaire, l’USJ renforce sa position de premier plan dans l’étude et la préservation de ce patrimoine, contribuant ainsi à enrichir la connaissance et la reconnaissance de la civilisation phénicienne dans le monde universitaire et au-delà.
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