Nasri Antoine Diab vient de publier, aux Éditions de l’Université Saint-Joseph, un ouvrage intitulé « Éthique et droit de la santé » (315 pages), préfacé par le Pr Roland Tomb, doyen de la Faculté de médecine de l’USJ. Il s’agit du sixième ouvrage juridique publié par l’auteur.
Nasri Antoine Diab est l’un des spécialistes du droit de la santé au Liban. Professeur de droit et avocat aux barreaux de Beyrouth et de Paris, il est membre du Comité d’éthique médicale de l’Hôtel-Dieu de France depuis 2011, ainsi que du Comité consultatif national libanais d’éthique (CCNLE) pour les sciences de la vie et de la santé. Il a plus de vingt-cinq ans d’expérience en tant que consultant auprès d’hôpitaux, de laboratoires, de sociétés de management de la santé et de médecins. Il a donné des cours et des séminaires à l’Institut de gestion de la santé et de la protection sociale de la Faculté de médecine de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth ainsi que des « lectures » à la Faculty of Medicine & Medical Sciences – University of Balamand. En outre, il a publié un grand nombre d’articles de droit de la santé, parus dans la Revue du barreau de Beyrouth « Al Adl », Travaux et Jours (revue de l’Université Saint-Joseph), Proche-Orient études juridiques (revue de la Faculté de droit de l’Université Saint-Joseph), Alcinoé (revue de philosophie), La Revue libanaise de médecine d’urgence, la revue Cap Santé – Hôtel-Dieu de France, ainsi que la revue française de référence en psychiatrie L’Encéphale. Il est Review Editor on the Editorial Board of Social Psychiatry and Psychiatric Rehabilitation (section spéciale de la revue « Frontiers in Psychiatry ») et était membre du Conseil scientifique de la Revue libanaise de médecine d’urgence.
Le droit de la santé et l’éthique dans la santé sont les deux binômes de cet ouvrage.
Pour ce qui est de l’aspect strictement juridique, les deux textes libanais majeurs qui sont analysés sont le Code de déontologie médicale, promulgué par la loi n°288 du 22 février 1994 et refondu par la loi n°240 du 22 octobre 2012 et la loi n°574 sur les droits du patient et le consentement éclairé du 11 février 2004. Comme le montrent les recherches de droit comparé menées par Nasri Diab, notamment en droits français et américain, ces deux textes de loi sont de haut niveau et apportent des réponses à pratiquement toutes les questions que peuvent se poser les professionnels de la santé et leurs patients. En effet, le droit de la santé se situe au confluent du droit public (notamment administratif) et du droit privé (contrats, responsabilité), tandis que les droits fondamentaux y jouent un rôle majeur (libertés publiques, respect de la personne), ce qui constitue un défi intéressant à relever pour tout esprit juridique curieux.
L’éthique en matière de santé était pour l’auteur un domaine vierge qu’il lui a fallu défricher. Venant d’une école de pensée qui privilégie le droit « dur » en faveur du droit « mou », l’auteur a dû évoluer dans un monde où la source de l’action (ou de l’abstention) découle non pas d’une règle contraignante mais de ce que Kant qualifiait de « la bonté intrinsèque de l’action » : on peut être obligé à des actions mais non à des intentions. Pour les juristes, l’éthique est le rapprochement du droit et de la morale ; le juriste qui se penche sur une question d’éthique médicale doit donc se départir de son réflexe naturel de faire une application stricte et automatique de la loi (pour autant que ceci puisse être fait) en vue de fixer les droits, les obligations et les responsabilités des différentes parties, pour aller plus loin que le texte et tenter d’en dégager l’esprit. Plusieurs systèmes normatifs régulent la vie de l’homme en société, le droit n’étant pas le seul à le faire, puisque la morale et l’éthique le font aussi. Souvent la règle morale ne parvient pas à se concrétiser dans une règle de droit, et on la voit alors « errer aux frontières du droit », selon la belle expression imagée du doyen Georges Ripert. Pour les médecins, l’éthique médicale constitue « l’exigence d’une certaine forme de comportement de la médecine au service du malade », qui se distingue de la bioéthique laquelle est « la mise en forme… d’un questionnement sur les conflits de valeurs suscités par le développement technoscientifique dans le domaine du vivant ».
Distinguer le bien du mal, voilà le fin mot de l’éthique et le nœud de la difficulté. Il existe des règles de droit positif, des règles de déontologie d’application obligatoire, des procédures internes au sein de l’institution hospitalière, etc. Que vient donc faire cette nouvelle strate de normes qu’est l’éthique et où se situe-t-elle dans ce lourd corpus ? Et que sont le bien et le mal dans un monde médical tellement mouvant ? En 1973, le professeur Jean Bernard commençait son ouvrage « Grandeur et tentations de la médecine » en se demandant tour à tour ce que découvrirait un médecin de 1900, « endormi par quelque sortilège », qui s’éveille en 1930, puis un deuxième médecin, assoupi en 1930, qui est tiré de sa léthargie en 1960 et, enfin, un troisième médecin plongé dans le sommeil en 1960 et qui s’éveille en 1990. Ceci était pour dire que les progrès en médecine sont tellement importants et rapides que les questionnements sur l’éthique ne peuvent que suivre le même mouvement et devenir donc plus complexes ; puis le droit suit. En général, le processus chronologique est le suivant : le progrès de la médecine sur un point précis suscite des interrogations ; l’éthique y apporte des réponses ; le droit consacre ces réponses.
Prenons l’exemple de l’interruption volontaire de grossesse, qui fait l’objet de dispositions contenues dans le Code pénal libanais et dans le Code de déontologie médicale. Ces textes secs et brefs ne tiennent pas compte de la multiplicité des cas qui se posent au quotidien aux praticiens : faut-il accepter d’interrompre la grossesse de la victime d’un viol, ou encore celle de la femme dont le fœtus est atteint de malformations qui rendent la mort de l’enfant inéluctable à la naissance ? Sans chercher à créer des branches et des sous-branches, force est de constater que même l’éthique, et rien que dans le domaine de la santé, se décline en une large palette de variations et que la tendance est à sa formalisation et à sa consolidation au niveau international, notamment dans tout ce qui touche aux essais cliniques et à la recherche impliquant l’être humain.
La pandémie de la Covid-19 a constitué un véritable laboratoire juridico-éthique. Au niveau strictement juridique, tous les repères que nous prenions pour acquis ont été mis sous tension, confirmant le constat de la philosophe américaine Susan Neiman selon laquelle nous devons « apprendre à ne pas juger acquis les différents postulats qui nous sont proposés à tel ou tel moment », constat que Nasri Diab a mis en exergue de son ouvrage : fermeture de frontières, interdiction de se déplacer, surveillance et « traque » individuelle, couvre-feu, passeport sanitaire, confinement et mise à l’isolement, vaccination obligatoire et licenciement pour les réfractaires, sélections de patients et priorité des hospitalisations, etc. Les textes législatifs et réglementaires adoptés à travers le monde ont mis à rude épreuve les systèmes juridiques les plus évolués et les plus démocratiques.
L’ouvrage couvre tous les sujets que les juristes (avocats, magistrats, enseignants de droit), les professionnels de la santé (médecins, infirmiers, psychologues, etc.) et les patients ne manquent pas de se poser : la faute médicale, la médecine d’urgence, les infections hospitalières, le droit du patient à l’information, le secret médical, le droit de la santé au travail, la réglementation de la profession de psychologue, la réglementation et la déontologie de la profession infirmière, le comité d’éthique au sein de l’hôpital, etc. L’appareil de référence (plus de mille notes de bas pages) permet au lecteur d’approfondir sa recherche et sa réflexion.