Sous le patronage du ministère de la Santé publique, l'Institut supérieur de santé publique de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ) a organisé une conférence et une table ronde portant sur la « Collaboration interprofessionnelle dans le traitement du cancer », à l’Auditorium C du Campus des sciences médicales.
Dans son mot, la directrice de l’ISSP, le Pr Michèle Kosremelli Asmar, a témoigné que la première fois qu’elle a entendu parler de collaboration interprofessionnelle, c'était en 1993, alors qu’elle effectuait son internat dans un hôpital. « On m'a demandé durant cette période, poursuit-elle, de travailler sur un projet lié à ce sujet et je peux affirmer qu'à cette époque, la résistance était forte. Depuis, le concept a été développé. Aujourd'hui, la collaboration interprofessionnelle est l'une des compétences requises dans la formation de tous les professionnels de la santé et c'est une exigence de tous les conseils d'agrément. »
« L'essence de la discussion d'aujourd'hui, précise la directrice de l’ISSP, réside dans la nécessité d'une collaboration entre divers professionnels de la santé dans le continuum de soins des patients atteints de cancer. Les soins contre cette maladie ne se limitent pas à une seule discipline ou expertise. Il ne peut pas être proposé en silos. Il s’agit d’une tapisserie complexe qui associe les compétences, les connaissances et la compassion de divers professionnels de santé : oncologues, infirmières, chirurgiens, psychologues, travailleurs sociaux, nutritionnistes, physiothérapeutes, chercheurs et bien d’autres encore. »
Néanmoins, l’importance de la collaboration n’est pas simplement un concept, affirme le Pr Asmar, « C'est une planche de salut pour ceux qui luttent contre le cancer. Il s'agit de créer un écosystème dans lequel chaque professionnel de santé apporte une perspective et des compétences uniques au bien-être holistique du patient. La collaboration transcende les frontières organisationnelles, les égos et les hiérarchies. Il s'agit de favoriser une culture où la communication, le respect et l'empathie constituent la pierre angulaire de nos interactions. Dans le cadre des soins du cancer, la collaboration permet de fournir des soins complets adaptés aux besoins individuels de chaque patient. »
« Nous devons donc continuellement évoluer, innover et combler les lacunes de nos approches interdisciplinaires. Nous devons tirer parti de la technologie, des progrès de la recherche et de l’expertise collective pour remédier aux disparités en matière d’accès aux soins, améliorer les programmes de survie et faire progresser les stratégies préventives. Pour y parvenir, le développement de nouvelles mentalités est juge nécessaire. »
Aujourd’hui cette conférence se projette comme étant un catalyseur d'action. C’est l’occasion pour nous de forger de nouveaux partenariats, d’échanger des idées et de nous engager envers une vision commune : un avenir où chaque personne touchée par le cancer reçoit des soins compatissants de la plus haute qualité possible », conclut-elle.
« Comme nous avons dit : « Tous pour la patrie », à l'occasion du Jour de l'Indépendance, nous devons dire « Tous ensemble pour le patient », a déclaré pour sa part le doyen de la Faculté de médecine (FM) de l’USJ, le Pr Elie Nemer, et il ne faut pas ériger de barrières entre les professionnels de la santé, à condition qu'il y ait un accord sur l'objectif, qui est le l'intérêt du patient. Le chemin est long pour l’atteindre et il faut commencer par considérer la coopération non pas comme un sacrifice, mais plutôt comme un bénéfice pour le médecin, en plus d'être un devoir. La coopération, par exemple, entre la FM et l’ISSP élève le niveau des approches en matière de santé publique au sein de la Faculté. »
Le Pr Nemer a également évoqué la bonne mise en œuvre du Plan national de lutte contre le cancer et a réitéré l'importance du concept de coopération dans ce cadre, ainsi que son adoption à la FM et dans d'autres Instituts de santé de l'USJ.
« Il n’y a pas de meilleur domaine pour travailler sur la collaboration que le cancer, affirme de son côté le Dr Arafat Tfayli, représentant du ministre de la Santé publique, le Dr Firas Abiad. Sinon, poursuit-il, les soins ne seront pas optimaux. Cependant, jusqu'à présent, nous constatons des variations dans la manière de traiter nos patients, malgré les directives nationales et internationales. Le premier cercle de collaboration devrait être entre oncologues eux-mêmes, le deuxième cercle entre les professionnels de santé d'un même établissement : je ne peux désormais traiter mon patient sans avoir un pathologiste fiable, un chirurgien sur qui je peux compter, un travailleur social et un psychologue pour soutenir mon patient, un physiothérapeute et des infirmières. »
« L’aspect le plus important de la collaboration au sein d’une institution est un comité des tumeurs qui implique tous les spécialistes, ajoute le Dr Tfayli. En outre, le troisième cercle concerne les institutions souhaitant avoir des plans nationaux communs sur diverses questions médicales. Le quatrième niveau est le niveau national : c'est là que le ministère de la Santé joue un rôle majeur en ayant une vision globale de la manière dont nous dispensons des soins du cancer dans notre pays. »
Lors de la première session, six hôpitaux universitaires de Beyrouth ont partagé leurs expériences et stratégies en matière de collaboration interprofessionnelle dans les soins du cancer. L'hôpital Saint-George de Beyrouth était représenté par le Dr Dany Gholam et Mme Najibeh Saad. Ils ont partagé le succès du service du soin palliatif. Le Dr Hady Ghanem, Mme Léa Baaklini et Mme Dina Motran ont partagé l'expérience de l'hôpital LAU-Rizk. Mme Céline Abou Karam, représentant l'hôpital AUB-MC, a pris la parole pour présenter l'expérience de l'institut Nayef Basile. L'hôpital Hôtel-Dieu de France était représenté par le Dr Joseph Kattan, Mme Marie-Claire Mouhawej et Mme Jacqueline Awad. Le Dr Maroun Sadek a partagé l’expérience au sein de l'hôpital Libanais Geitaoui. Pour conclure la première partie, le Dr Ahmad Ibrahim a représenté l'hôpital Makassed.
Les participants ont unanimement reconnu l'importance de la collaboration interprofessionnelle, la considérant essentielle pour favoriser la communication et la coordination entre les différentes spécialités. Cela permet de répondre aux besoins du patient, d'optimiser son parcours de soins et d'améliorer sa qualité de vie
L'état des lieux a révélé la présence de la collaboration interprofessionnelle sans que ça soit appliquée dans tous ses aspects. Elle était particulièrement présente dans les soins palliatifs, avec un rôle important des organisations non gouvernementales. Les équipes multidisciplinaires étaient présentes dans tous les hôpitaux, malgré les variations de leurs membres. Certains établissements ont développé des programmes spécialisés et ont soutenu des projets de recherche.
Les différents hôpitaux ont mentionné la nécessité de soulever les obstacles empêchant la collaboration en soin du cancer. Ces obstacles se manifestent au niveau institutionnel, ainsi qu'au niveau national, notamment sur le plan financier, de l'expertise et de l'éducation, de la communication, de l'accès aux soins de support, ainsi que sur le plan légal, marqué par l'absence de lignes directrices nationales unifiées.
Tous les hôpitaux ont cependant partagé des perspectives sur les solutions possibles pour améliorer la mise en œuvre de la collaboration interprofessionnelle. Cela inclut une meilleure communication au sein de l'équipe de soins, des soins personnalisés, une meilleure prévention et une intervention précoce, une digitation des moyens de communication, une meilleure compréhension des rôles des membres de l'équipe de soin, et une implication au niveau universitaire et professionnel à travers les ordres et les syndicats.
Mme Nada Basile, survivante du cancer du sein, a partagé l’expérience vécue avec son équipe médicale tout au long de son parcours de soin. Elle a souligné les lacunes de communication entre le patient et le médecin, ainsi qu'entre les médecins eux-mêmes, le retard ou l'absence de l’orientation vers les soins de support, mettant en avant l'importance de la prévention et de l'intervention précoce tant pour la qualité de vie du patient que pour les coûts relatifs aux soins.
La deuxième session, qui a pris la forme d’une table ronde, a été modérée par Mme Rola Mouawad avec la participation du Pr Michèle Kosremelli Asmar. Elle a inclus comme participants, le Dr Arafat Tfayli, le Pr. Elie M. Sleiman Haroun, président du syndicat des hôpitaux, le Pr Roger Khater, président de la société Libanaise d’oncologie, le Dr Elie Dahdah, représentant l’Ordre des physiothérapeutes, Mme Farah Dimachkieh, représentant l’Ordre des infirmières, LE Dr Krystel Oueijan, représentant l’Ordre des nutritionnistes et le Dr Fatima Chehouri, présidente du Syndicat des ergothérapeutes. Tous les participants ont discuté des perspectives d’application de la collaboration interprofessionnelle.
Le Dr Tfayli a souligné l'importance d'améliorer la prévention, et a mis l’accent sur les campagnes de sensibilisation, la couverture des tiers-payants et la mise en place d'un « patient navigator » avant de pouvoir appliquer la collaboration interprofessionnelle. Le Dr Khater et M. Haroun ont, quant à eux, exprimé leurs préoccupations concernant la couverture médicale des médicaments.
Au niveau académique, le Pr Nemer a souligné l'absence de communication entre les membres de l'équipe pluridisciplinaire en soins du cancer, soulignant l'importance d'initier cette communication au niveau universitaire. Les représentants des ordres des infirmières, physiothérapeutes, ergothérapeutes et diététiciennes ont expliqué leurs rôles respectifs au sein de l'équipe de soins du patient cancéreux.
La discussion a également abordé la nécessité d'une réévaluation du système de santé pour effectuer des changements à tous les niveaux. La couverture financière des soins médicaux et de support a été discutée, mettant en lumière l'impact de l'infrastructure du ministère de la santé et la limitation des ressources sur la mise en œuvre et l’application optimale du plan national du cancer.
Les intervenants se sont mis en accord sur plusieurs points essentiels visant à renforcer la collaboration interprofessionnelle. Parmi ces points :
- L’importance de la prévention et de l'intervention précoce
- L’éducation du patient, la couverture des soins de support
- L’élaboration de lignes directrices nationales de procédures applicables aux différents hôpitaux, l'amélioration de l'accès aux médicaments
- Le rôle des universités dans la formation des prestataires de soins de santé, l'organisation d'ateliers sur l'interprofessionnalité dans les hôpitaux, l'application de politiques et procédures
-La compréhension du rôle de chaque membre de l’équipe pluridisciplinaire
- La reconnaissance des soins de soutien comme une nécessité
- L’inclusion de la collaboration interprofessionnelle dans l'accréditation des centres d'excellence, l'activation du Conseil supérieur de la santé
-L’étude du coût des soins de santé par le ministère des Finances
- L’amélioration du rôle des ONG dans la collaboration interprofessionnelle
- Le partage de l'expérience des hôpitaux de classe A de Beyrouth avec d'autres établissements dans différentes régions.
La table ronde s'est conclue par les recommandations suivantes :
- La nécessité d'une réforme des programmes académiques au niveau universitaire
- Chaque syndicat, ordre et hôpital participant à la conférence évalue sa situation actuelle par rapport aux stratégies adoptées, aux obstacles et aux facilitateurs de la collaboration interprofessionnelle dans les soins du cancer au Liban.
- La compilation des données recueillies par les universités, les ordres et les hôpitaux dans un document commun de recommandations.
- La présentation de ce document au ministère de la Santé publique en vue de son ajustement pour une mise en œuvre généralisée sur le terrain libanais après son adoption par le Ministère.
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