La restitution des biens mal acquis et la préservation des droits et intérêts de l’Etat

إسترداد الأموال المتأتية عن الفساد والمحافظة على حقوق الدولة اللبنانية ومصالحها
21 juin 2023

La Faculté de droit et des sciences politiques (FDSP) de l’USJ a organisé une conférence-discussion sur le thème brûlant de la restitution des biens mal acquis et la préservation des droits et intérêts de l’Etat libanais, le 21 juin 2023 à l’Amphithéâtre Gulbenkian du Campus des sciences sociales, en présence d’un parterre de personnalités, de juristes et de citoyens intéressés.

Prenant la parole à l’ouverture, le Pr. Salim Daccache s.j., recteur de l’USJ, a commencé par féliciter la Faculté « d’avoir osé retenir ce thème de la restitution des biens mal acquis comme sujet de réflexion juridique et morale, en ce moment de l’histoire de notre pays où beaucoup de choses se disent parfois sans fondement scientifique et sans réalité objective ». Le recteur a insisté sur la nécessité d’éclairer le public sur les procédés techniques de préservation des droits de l’Etat libanais et de récupération des biens publics spoliés, et de « renforcer l’arsenal juridique qui préserve les biens de l’Etat, considérés par des représentants du monde politique et des affaires et même parfois par les simples citoyens, non comme un bien sacré profitant à la communauté nationale mais comme un butin ». Regrettant l’attitude de l’Etat « qui ne montre pas qu’il est présent, debout, juste et capable de sanctionner », il a dénoncé les vols qualifiés et évoqué le destin incertain des fonds des déposants non seulement en devises mais aussi en monnaie nationale. « Garder cette situation en état d’éveil est un devoir pour nous », a-t-il poursuivi, « un devoir qui incombe aux forces vives et éthiques de la société civile comme l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et sa faculté de droit et des sciences politiques ».

Le doyen de la FDSP et ancienne ministre de la Justice, Pr Marie-Claude Najm Kobeh, dont la communication portait sur la préservation des droits et intérêts de l’Etat libanais, est revenue sur les embûches récemment placées sur le chemin de la Direction du Contentieux de l’Etat au ministère de la Justice lorsque cette direction a décidé, à la suite des poursuites engagées par le ministère public libanais, de constituer l’Etat libanais partie civile à la procédure libanaise dans l’affaire Salamé, puis à la procédure en cours devant les tribunaux français. Déconstruisant, par des arguments de texte et de logique juridique, la thèse selon laquelle la Direction du Contentieux de l’Etat ne peut agir sans demande ou autorisation préalable du ministre concerné par le dossier, Mme Najm a considéré que la question dépasse de loin le cas de l’espèce puisque, s’agissant de sauvegarder les droits et intérêts de l’Etat, l’enjeu est celui de l’autonomie même de la Direction du Contentieux par rapport à la classe politique. Subordonner toute action en justice à l’aval du ministre conduirait en effet à mettre les intérêts de l’Etat dans la dépendance du ministre concerné, qui pourrait décider d’agir ou de ne pas agir en fonction de ses intérêts ou de ceux du parti auquel il serait affilié. De fait, qui est l’Etat, qui est autorisé à agir en justice en son nom ? Derrière ces questions de technique juridique, se profile aussi une question de philosophie politique. L’Etat, en tout cas, ne saurait être réduit au gouvernement ou aux ministres.

A son tour, Me William Bourdon, fondateur et avocat de Sherpa, association visant à prévenir et à combattre les crimes économiques, a d’abord rappelé l’évolution mondiale de la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent, évoquant « une universalisation de l’intolérance des citoyens du monde, qui se substitue à la culture de la résignation et qui est portée par une société civile de plus en plus professionnelle, exigeante et audacieuse ». Revenant sur les enseignements tirés des premières plaintes qu’il avait déposées en 2007 contre trois chefs d’Etat africains - Bongo (Gabon), Obiang (Guinée équatoriale) et Sassou N’Guesso (Congo-Brazzville) - ou encore de l’affaire des biens mal acquis par Rifaat el Assad, Me Bourdon a rappelé que « la grande voyoucratie mondiale ne peut prospérer que parce qu’il y a des compétences qui se mettent à son service : des auditeurs, des banques, des notaires, des avocats… qui sont à chaque fois le déshonneur de leur profession » et a martelé : « Il n’y a pas de lutte contre la corruption sans juges indépendants. Il n’y a pas de lutte contre la corruption sans une société civile professionnelle courageuse et protégée par l’Etat ».

Concernant les avoirs confisqués, il a notamment évoqué la nouvelle loi française de 2021 qui organise les modalités de restitution de biens mal acquis aux populations appauvries, Afin d’empêcher que l’Etat étranger ne recycle les biens récupérés dans un circuit de corruption, la loi soumet la récupération de la valeur des biens mal acquis à la condition que l’État mette en œuvre des projets de développement dans l’intérêt de la population. Interrogé, par ailleurs, sur les nouveaux outils du settlement et du plea agreement permettant à la personne poursuivie d’éviter des sanctions pénales en plaidant coupable et en acceptant que les biens saisis soient définitivement confisqués, il a indiqué que les exemples sont encore très peu nombreux parce que les grands corrupteurs construisent souvent leur système de défense dans le déni. Rappelant en revanche que les procédures judiciaires dans les grands scandales financiers n’ont été possibles que parce qu’il y a eu des lanceurs d’alerte, il a encouragé les citoyens libanais à poster les documents et informations qu’ils détiendraient sur la plateforme ALB- Alerte Lebanon, qu’il a dit parfaitement sécurisée. 

La dernière intervention a été effectuée par la juge Rana Akoum, responsable du bureau de coopération internationale instauré par la ministre Najm en 2021 au ministère de la Justice, et qui a participé à l’élaboration des lois anti-corruption adoptées par le Parlement libanais. Dans une communication synthétique d’une grande clarté et précision, la magistrate a expliqué les mécanismes techniques de restitution des biens mal acquis, à la suite de procédures engagées au Liban ou à l’étranger. Envisageant tour à tour les différentes voies offertes à la fois par les textes libanais et les instruments internationaux, elle a indiqué pour chacune de ces voies quelles sont les autorités compétentes, et détaillé leurs conditions et exigences ainsi que leurs effets. Mme Akoum a mis un accent particulier sur les nouveautés apportées par les lois édictées entre 2020 et 2022, et conclu sur l’importance de l’arsenal ainsi mis à disposition de la justice pour combattre efficacement la corruption et assurer la transparence de la vie publique.

Les discussions animées qui ont suivi – menées de main de maître par Me Karim Daher, chargé de cours à la FDSP, président de la Commission pour la protection des droits des déposants au Barreau de Beyrouth et membre du Groupe de haut niveau de l’ONU sur la responsabilité, la transparence et l’intégrité financière internationales (FACTI High Level Panel) – ont révélé le grand intérêt du public pour les questions abordées. C’était en effet l’objectif premier de la conférence : éclairer les citoyens sur des thématiques cruciales, loin des surenchères et des enjeux politiques, susciter le débat public autour de ces questions et inciter la société civile à faire de véritables pressions sur les responsables pour prévenir et sanctionner les pratiques financières criminelles.

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