L’Observatoire de la fonction publique s’attelle à ancrer le concept de bonne gouvernance dans l’esprit des étudiants

Jeudi 16 février 2023

L'Orient - Le Jour / Par Micheline Abi  Khalil, le 16 février 2023 

Depuis sa fondation en 2015, cet organisme créé à l’USJ s’active à engager la réflexion sur des sujets au cœur de l’actualité libanaise avec, en ligne de mire, la restauration de la confiance entre les citoyens, notamment les jeunes, et l’administration publique.

Bonne gouvernance, démocratie, transparence, citoyenneté. Voilà les quatre thèmes qui régissent l’action menée par l’Observatoire de la fonction publique et de la bonne gouvernance (OFP) de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ). Créé en 2015 sous l’impulsion du père recteur, le professeur Salim Daccache s.j.,, l’Observatoire appuie toute initiative visant à favoriser la bonne gouvernance, qu’elle soit politique, institutionnelle ou administrative, ainsi que la réforme et le renforcement de la fonction publique. Dirigée par le professeur Pascal Monin, cette structure s’engage en effet à « rétablir la confiance entre les citoyens, y compris entre les jeunes et l’administration publique, colonne vertébrale de l’État ». Elle s’attache aussi à « agir activement en faveur de la réhabilitation de l’administration publique, de l’État de droit, de la transparence, de la citoyenneté, de la bonne gouvernance publique, de la responsabilité, de l’intégrité et surtout de la lutte contre la corruption », précise le Pr Monin.

Au cours des trois dernières années, l’OFP a organisé plus de 30 évènements portant sur des thématiques en rapport avec la démocratie participative, le droit des citoyens d’accéder à l’information dans le secteur public, le rôle des médias et des journalistes dans la bonne gouvernance, l’audit juricomptable et la transparence, les élections, la bonne gouvernance environnementale, etc. « Nous agissons dans le cadre des orientations fixées par notre recteur le Pr Daccache qui avait affirmé que « la mise en place de l’OFP cristallise la volonté de l’USJ de proposer des réformes fondamentales du système et un changement de ses pratiques destructrices qui poussent les jeunes à émigrer », souligne Pascal Monin. À cet égard, ajoute-t-il, « nous affirmons notre adhésion à l’ancrage du concept de bonne gouvernance dans l’esprit des jeunes, en particulier, les étudiants, à travers les valeurs jésuites basées sur la lutte contre la corruption, la protection des libertés fondamentales et la construction d’un État de droit ».

Source majeure de la production de savoirs et de connaissances, mais aussi agent important de leur transmission et de leur diffusion, l’Université joue un rôle essentiel dans les orientations de la société et les projets de réforme, d’après le Pr Monin. Et c’est en partant de ce principe que l’USJ œuvre, via l’OFP, à assumer son rôle et à répondre aux attentes de la société libanaise. « L’USJ, dont la tradition a de tout temps contribué à développer ces valeurs au Liban, continue d’être un lieu de débat intellectuel et politique pour les jeunes, ouvert à toute la société. Nous refusons de subir passivement. Nous ne pouvons pas rester des spectateurs. Au contraire, nous essayons d’être des acteurs de changement », indique le directeur de l’OFP en soulignant que, pour mieux réussir sa mission, l’Observatoire s’emploie à rassembler, autour d’une même table, les différentes parties prenantes et expertises et d’impliquer dans ses activités un large éventail d’intervenants, d’experts, de partenaires, de décideurs, d’ONG et d’acteurs de la société civile. Il s’efforce surtout d’impliquer les jeunes.

« Dans un contexte comme celui de la réalité libanaise et dans le but de raviver l’intérêt des jeunes pour la bonne gouvernance et la fonction publique, l’OFP les associe aux multiples activités qu’il organise, les incitant à participer aux différents panels, débats et autres événements », a-t-il encore affirmé.

Une expérience édifiante pour les jeunes

C’est ainsi que Patricia Abi Mansour, 24 ans, a participé il y a plus de deux ans à la campagne de sensibilisation contre la corruption, Dod el-Fasad, l’un des projets financés par l’UE et menés par l’OFP en collaboration avec l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables (Aldic). Dans un pays rongé par la mauvaise gestion et la corruption aux plus hauts échelons, la jeune fille, alors étudiante en droit à l’USJ, assure avoir été « positivement impactée » par cette action-là. « En tant que jeune Libanaise, le thème de la corruption me touchait de près, mon pays étant miné par cette gangrène, confie-t-elle. Mais ce qui m’a le plus marquée, c’est que lors de cette campagne, nous nous sommes adressés au peuple, source de tout pouvoir, et non aux politiciens qui se savent corrompus. Nous sommes allés à la rencontre de tout un chacun et avons participé à des réunions et des rencontres pour faire signer la déclaration contre la corruption. » Travaillant actuellement depuis le Liban pour une firme basée aux Émirats arabes unis, Patricia Abi Mansour estime que, même si les résultats des dernières législatives n’ont pas été à la hauteur des attentes, un « pas en avant » a été enregistré grâce à la mobilisation de la population désireuse de se défaire des carcans politiques.

Même son de cloche du côté de Lynne Sader, 26 ans, au terme d’un stage de dix mois au sein de l’OFP. Dix mois qui, selon ses termes, ont été « fort enrichissants ». L’étudiante s’est impliquée dans les tâches administratives liées à l’organisation des différents événements et activités de l’Observatoire, assurant, entre autres, le suivi et le contact avec les panélistes ou encore les partenaires internes et externes. « Je me suis trouvée propulsée dans un autre monde très loin de ma formation initiale en études bancaires et gestion de risques », précise-t-elle. Gardant un souvenir mémorable de ses rencontres, la jeune fille raconte : « Tout était nouveau pour moi mais j’ai appris un tas de choses, notamment sur des lois et des textes dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Petit à petit, j’ai commencé à m’intéresser à la politique, à la chose publique, à me dire qu’il est possible de faire changer les choses au Liban, que la jeune génération est en mesure de construire quelque chose de nouveau. » Travaillant actuellement au sein de l’École supérieure des ingénieurs de Beyrouth (ESIB), Lynne Sader assure avoir choisi de rester au pays par « pure conviction ». « Si tout le monde déserte le Liban, comment va-t-on le changer ? » lance-t-elle. Et de marteler : « Il faut rester pour que nous puissions transmettre notre expérience et notre savoir-faire. »

De son côté, Tracy Sakr a estimé que l’Observatoire constitue un lieu de rencontre, de partage et d’échange d’idées regroupant des personnes de tous bords. Après avoir décroché en 2019 un job étudiant au sein de l’OFP, la jeune fille de 24 ans, formée en sciences politiques, a intégré depuis quelques années l’administration publique. Elle affirme que les multiples tâches qu’elle a effectuées au sein de l’OFP lui ont permis d’approfondir ses connaissances et de cultiver ses compétences. « L’action de l’Observatoire s’articule essentiellement autour de la sensibilisation et l’élaboration de documents de travail ou “policy papers” », indique-t-elle. « Toutefois, si l’on réussit à faire avancer, voire à faire adopter ces documents par les instances concernées, son impact sera nettement plus grand », ajoute-t-elle.

Afin d’inciter les étudiants, quelle que soit leur université, à choisir plus fréquemment des sujets en rapport avec la bonne gouvernance publique dans leurs thèses de doctorat, l’OFP a lancé en 2020 le prix Michel Eddé destiné à récompenser la meilleure thèse de doctorat sur ce thème.

« L’USJ mise sur les jeunes qu’elle encourage à vivre pleinement leur rôle, comme lors de la révolution, quand elle les a accompagnés dans leur élan », remarque le Pr Monin. « Si, lors du soulèvement populaire qui a regroupé beaucoup d’acteurs, certains ont oublié le but principal, à savoir obliger la classe politique dirigeante à rendre des comptes, il n’empêche qu’ils finiront par savoir que notre rôle est d’observer, de dénoncer et de proposer des solutions d’avenir », a-t-il encore indiqué.

Par ailleurs, l’Observatoire s’est récemment doté d’un Conseil consultatif regroupant d’éminentes figures académiques, des juristes, des économistes, des politologues, d’anciens ministres mais aussi des directeurs généraux, car « tout n’est pas noir au Liban, il est nécessaire de braquer les feux sur les bonnes pratiques », comme le précise le Pr Monin. « Malgré la crise, l’ambiance délétère qui règne dans le pays, la perte de repères et d’espoir dans l’avenir, l’USJ et l’OFP poursuivent leur mission qui constitue une lueur d’espoir au bout du tunnel, assure-t-il. Nous sommes les fils de l’espérance et nous croyons toujours en cette lueur d’espoir. »

À l’approche des élections municipales qui doivent normalement se tenir en mai prochain, « si elles ne sont pas ajournées une nouvelle fois », l’Observatoire va plancher sur des thématiques brûlantes d’actualité, comme la gouvernance publique, la décentralisation administrative et la démocratie participative, tout en poursuivant ses travaux sur la protection de l’environnement et la réforme de la fonction publique.

« L’USJ restera un haut lieu d’excellence, d’espoir et de promesse pour les jeunes à qui elle cherche à inculquer une véritable culture citoyenne tout comme à les aider à construire un pays à leur image et non à celle de ceux qui l’ont mené à la faillite », promet le Pr Monin.

Des études rendues publiques

Associé aux ONG Kulluna Irada et Legal Agenda, à l’Aldic ainsi qu’à l’Observatoire des droits des déposants au barreau de Beyrouth, l’OFP a lancé un appel il y a moins d’un mois contre l’impunité au Liban. Intitulé « Pas d’impunité pour les responsables de la plus grande faillite de l’histoire », cet appel intervient à la suite d’une rencontre organisée le 11 janvier dernier par l’OFP contre cette culture qui, loin d’être nouvelle, s’est institutionnalisée au fil des ans au Liban, empêchant la justice d’avancer. Préconisant cinq conditions préalables à tout plan de sortie de crise, cette initiative s’inscrit dans le cadre d’une longue tradition de conférences, séminaires, colloques, tables rondes, enquêtes, analyses et recherches dont les actes, travaux et résultats sont constamment publiés et partagés avec les acteurs concernés, comme ce fut le cas avec le document de travail sur le renforcement de la gouvernance environnementale au Liban. Basé sur une série de séminaires organisés par l’OFP en partenariat avec le ministère de l’Environnement et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), il a été officiellement présenté en juin passé lors d’une grande session de synthèse. L’OFP avait déjà publié Démocratie en crise, démocratie en mutation : de la défiance populaire à la participation citoyenne (éditions de l’USJ), ainsi qu’un autre ouvrage : The Good Governance Book, avec la Fondation Konrad Adenauer Stiftung. En collaboration avec ce même organisme, l’OFP avait lancé les forums de la bonne gouvernance au lendemain de la double explosion de Beyrouth, une initiative qui, selon le Pr Monin, « représente un message d’espoir et de foi inébranlable de l’USJ et de l’OFP, que la résurrection est inévitable, que la vie reprend toujours le dessus, plus forte et plus lumineuse, et que Beyrouth ne meurt jamais ».