« Le fait d’avoir l’arabe comme langue maternelle m’a ouvert les portes de l’ONU »

Octobre 2022

Dans cette rubrique, Re-source, nous nous penchons sur des profils d’Anciens de l’ETIB qui ont brillé dans leur carrière. C’est dans ce cadre que s’inscrit cette entrevue avec Vladimir Khoury,  ancien de l’ETIB devenu Chef de l’Unité arabe à l’Organisation Internationale du Travail (OIT).

Racontez-nous en quelques mots votre parcours professionnel !

J’ai débuté ma carrière de traducteur au sein des Nations Unies en 2002, quand je suis arrivé à Genève. J’ai décroché mon premier contrat à l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) où j’ai fait mon stage en vue de l’obtention de mon DESS en terminologie que je préparais à l’Ecole de Traduction et d’Interprétation à l’Université de Genève. Puis, de fil en aiguille, j’ai commencé à enchaîner les contrats avec d’autres organisations internationales à Genève comme l’UIT (Union Internationale des Télécommunications), l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) ou l’OIT (Organisation Internationale du Travail). J’ai même eu l’opportunité de travailler auprès de l’Office des Nations Unies à Vienne (UNOV) et j’ai aussi travaillé pendant quelques années avec l’UNESCO en tant que traducteur indépendant. Après 7 ans de contrats de durée déterminée, j’ai présenté ma candidature à l’OIT pour un poste de traducteur junior (P3) qui était mis en concours. Toute l’expérience que j’avais acquise pendant ces années de travail dans différentes organisations m’a permis de réussir le concours. Ainsi, en janvier 2009, j’ai commencé à travailler pour l’OIT. Puis, au fil des années à l’OIT, j’ai gravi les échelons en passant par différentes phases professionnelles : traducteur junior, traducteur auto-révisé et réviseur et chef de l’unité de traduction arabe depuis janvier 2022.

En quoi la formation à l’ETIB vous a-t-elle servi ?

Avant de répondre à cette question, je tiens à exprimer ma profonde gratitude à tou(te)s les enseignant(e)s qui ont guidé mes pas à travers les années d’études à l’ETIB. Ils ont toujours fait en sorte que je me remette en question pour ne pas dormir sur mes lauriers. Des années plus tard, je garde au fond de moi ce sentiment de perfectionnisme dans mon travail et j’essaie à mon tour de l’inculquer à la nouvelle génération de traducteurs et traductrices. Einstein disait : « C’est le rôle essentiel du professeur d’éveiller la joie de travailler et de connaître » et j’ai eu beaucoup de chance d’avoir ce genre de professeurs au sein de l’ETIB, et rien que pour ça, je leur dis : MERCI ! Pour revenir à la formation que j’ai suivie à l’ETIB, elle a été clairement un tremplin pour ma carrière car sans elle, je n’aurai pas eu la motivation d’aller plus loin dans le monde de la traduction et très probablement j’aurai dévié vers quelque chose d’autre, mais toujours en relation avec les mots et les langues.

Que retenez-vous de votre parcours universitaire ?

La chose marquante que je retiens de mon parcours universitaire est la bonne culture générale qu’on nous a transmise afin de nous adapter à tous types d’environnement linguistique. On nous a toujours appris que le traducteur doit comprendre le texte, c’est-à-dire découvrir le cheminement mental du rédacteur ou de l’auteur : ses raisonnements, ses non-dits, ses redondances, ses insinuations, tout en s’arrêtant bien sûr à la phraséologie, aux expressions et aux termes employés, et pas seulement se limiter à la saisie de l’information.

Quel est votre plus beau moment à l’ETIB ?

Les moments les plus mémorables à l’ETIB sont ceux que nous passions à faire les guignols surtout à l’approche des fêtes de fin d’année ou à la fin des examens de fin d’année. Et le plus beau souvenir qui reste gravé dans ma tête, c’est l’idée que ma promotion a eue de créer la revue « contre-sens ». D’ailleurs, je garde toujours et précieusement une copie de cette revue, dédicacée par Mme Nathalie Hani, notre professeur d’anglais à l’ETIB.

Etre traducteur, cela vous a-t-il ouvert les bonnes portes professionnelles ?

Il est certain que la formation de traducteur que j’ai suivie à l’ETIB m’a préparé le terrain pour une carrière dans le domaine de la traduction, notamment au sein des Nations Unies, en allant de la traduction jusqu’à l’édition, tout en passant par la lecture d’épreuves.

Vous êtes installés en Suisse depuis combien d’années ? Quel est votre « plus » en tant que traducteur avec l’arabe comme langue maternelle ?

Je suis installé en Suisse depuis 2001. Le fait d’avoir la langue arabe comme langue maternelle a élargi mes horizons professionnels en m’ouvrant les portes des Nations Unies, surtout dans un pays où il y a peu de traducteurs qui ont l’arabe comme langue active, par rapport à d’autres traducteurs ayant d’autres combinaisons linguistiques.

Quelles compétences majeures jugez-vous indispensables à faire acquérir, de nos jours, à un traducteur/interprète ?

Il va sans dire que la première compétence dont devrait se doter un traducteur ou un interprète, est la maîtrise de la langue cible, en général la langue maternelle, tout en ayant une très bonne connaissance de la ou des langues sources et sachant effectuer une recherche documentaire et terminologique. De plus, avec le développement technologique, il est devenu tout aussi important pour un traducteur d’avoir une excellente maîtrise de la bureautique et des logiciels d’aide à la traduction (TAO). En outre, une aisance avec les logiciels utilisés par le client peut également être nécessaire, par exemple les suites de logiciels de création ou d’édition. De même, pour les traducteurs spécialisés en localisation ou sur les sites internet, savoir mettre en ligne les contenus web peut s’avérer nécessaire. Il est à signaler aussi que les demandes en compétences linguistiques et en domaines de spécialité sont très liées aux marchés et évoluent également rapidement.

Quel est le conseil que vous donneriez aux jeunes traducteurs et interprètes qui intègrent bientôt le marché du travail ?

Il ne faut pas considérer la traduction comme un métier, mais plutôt une aventure et une expérience. Plus d’aventures ils vivront, et plus d’expériences ils vont acquérir. Et c’est avec les expériences, qu’on sort grandis et matures. Miguel Sáenz, traducteur et linguiste, disait : « Si le traducteur fait son travail comme il le doit, c’est un bienfaiteur de l’humanité ; sinon, un authentique ennemi public. » Si j’ai un conseil à donner aux jeunes traducteurs et interprètes qui vont bientôt intégrer le marché du travail, c’est de donner au métier de traduction ou d’interprétation tout l’intérêt et la bienveillance qu’il mérite et ne pas favoriser la quantité au détriment de la qualité.   

Dans ce monde en pleine globalisation virtuelle, quelle est la plus-value de la formation de traduction/interprétation ?

Dans le monde d’aujourd’hui où les échanges se font de plus en plus nombreux, la formation de traduction tend vers une excellence dans la communication et la performance des acteurs inter-linguistiques, en essayant de réaliser des résultats tangibles qui soient à la hauteur des exigences du marché et qui participent d’une façon proactive dans toute négociation au niveau international.

Conseillerez-vous à vos enfants de suivre la même formation que vous ?

C’est une question très pertinente, parce que les temps ont bien changé depuis l’époque où les pères transmettaient à leurs fils la profession familiale. J’ai des jumeaux : Anthony et Gregory. Ils ont 20 ans. Si jamais ils ont envie de suivre la même voie que j’ai empruntée, je pense leur être de bon conseil. Le plus important à mes yeux, c’est qu’ils aiment leur métier pour y exceller. Je termine par une citation de Confucius, qui en dit long sur la relation que l'homme a avec le travail : « Choisis un travail que tu aimes, et tu n'auras pas à travailler un seul jour de ta vie ».

De tout temps, on retrouve beaucoup plus d’étudiantes en traduction que d’étudiants. Avec le recul, trouvez-vous que la traduction est une profession qui convient aux hommes ? Pourquoi ?

Je suis ravi qu’il y ait plus de femmes dans le monde de la traduction, car c’est un signe que les mœurs sont en train d’évoluer. Rappelons-nous que des siècles en arrière, les milieux intellectuels étaient réservés aux hommes. Du coup, les femmes étaient obligées d’écrire anonymement ou d’emprunter le nom de leur mari. Heureusement, cette époque est bel et bien révolue. Qu’on soit homme ou femme, si l’on a le bon profil professionnel et les compétences adéquates pour se lancer dans une carrière de traducteur, il ne faut pas hésiter !

 

Propos recueillis par :

Elsa Yazbek Charabati

Chef du Département d’Interprétation

Rédactrice en chef de la « NdT »